mardi 5 mai 2015

Coup de gueule infi' # 10 : glissement de tâche légalisé, une pente savonneuse pour la sécurité des soins.

 
  
" Un décret habilite les aides à domiciles à réaliser des aspirations endo-trachéales."

En lisant le dernier article de "La passion du soin", j'ai eu l'impression qu'on venait de lancer un nouveau pavé dans la mare marécageuse des infirmières libérales. Et il suffit de lire les réactions sur les réseaux sociaux pour comprendre que le sujet du glissement de tâche est sensible.

Certains semblent ne pas comprendre pourquoi on se sent une nouvelle fois attaqué et non reconnu.  Ils se demandent ce qu'il y a de mal à octroyer le droit à des aides à domicile à réaliser des soins techniques infirmiers. D'autres prétextent que notre refus de "donner" certains de nos soins relève plus d'une "prétention de soignant tout puissant" que d'une réelle envie de voir évoluer la prise en charge des soins. Certains encore arguent l'argument soit disant infaillible du "Mais ça existe déjà depuis longtemps alors pourquoi ne pas le rendre légal ?"
C'est vrai ça, après tout... Et si tous ces arguments se valaient ? Mais chacun campe sur ces positions parce que lorsque l'on touche aux compétences, aux capacités ou aux responsabilités, ce sont les sensibilités de chacun qui parlent...

Ce n'est pas la première fois qu'on nous fait le coup, et comme le dit le proverbe : "Chaton-mignon échaudé craint l'eau froide !". Et je crois que les infirmières libérales en ont tout simplement marre. 
Marre d'avoir dû se battre pour ne pas que les pharmaciens aient le droit de vacciner dans leurs officines. Fatiguées d'avoir dû se battre contre l'article 30 bis de la loi santé de Marisol Touraine qui aurait permis à des non infirmiers de réaliser des soins techniques en l'absence d'infirmier. Agacées de se battre au quotidien contre des SSIAD et des HAD s'octroyant nos prises en charges de patients (c'est une réalité contre laquelle j'ai dû me battre à plusieurs reprises, je n'invente rien). Dépitée d'avoir l'impression que notre métier, que notre spécialité, ne sont pas reconnu.

La vraie question à se poser est  : " D'où vient la nécessité de faire appel à des professionnels non diplômés des soins infirmiers pour réaliser des actes techniques normalement obtenus par un diplôme d'état ?"

Je ne me sens pas dans la toute puissance lorsque je m'élève contre l'autorisation donnée aux aides à domiciles de réaliser des aspirations endo-trachéales. Je travaille au quotidien avec ces personnes pour qui j'ai le plus grand respect. Mais je me questionne juste sur les conséquences qui en découlent. Que se passera-t-il le jour où une aspiration se passera mal (admettons, dans le pire des cas : perforation de la carène). Est ce que les cinq jours de formation leur seront suffisants pour anticiper, réagir, adapter et prendre en charge l'état du patient qui se dégrade ? Sous quel couvert vont-elles agir ? Qui prendra la responsabilité de leur acte ? Pensez-vous qu'elles seront reconnue financièrement pour la prise de risque d'un tel acte ? Pensez-vous qu'on leur octroiera plus de temps de travail pour prendre soin de ces patients (celles que je côtoie sont déjà limité dans leur temps de présence et ont parfois du mal à préparer le repas, faire le ménage et prendre le temps pour les gens) ?

Certains diront que c'est pour le bien du patient et qu'après tout, les familles peuvent bien faire ce soin, alors pourquoi pas les aides à domiciles. Admettons, pourquoi pas. 
Je pourrais aussi former les familles à poser des perfusions et à administrer des antibiotiques. Admettons. Je pourrais également former l'aide à domicile à réaliser les méchages d'une plaie. Admettons. Tous les soins infirmiers pourraient être réalisables par des non soignants, moyennant matériel technique et formation adaptée. Tout le monde peut devenir infirmier, ce n'est pas un métier hors de portée. Il suffit de passer le concours d'entrée de l'IFSI et d'obtenir un diplôme reconnu de l’État après trois années d'études et de stages. 

Soyons fou, je pourrais également faire de la plomberie, ou de électricité. Moyennant une formation de cinq jours, je serais peut être capable de réparer les ballons d'eau chaude ou de mettre à jour le réseau électrique des patients chez qui j'interviens. Mais je ne le ferais pas. Car même si ces formations sont intéressantes et arrangeantes pour le patient, je ne prendrais pas le risque de mettre le feu à une maison ou d'inonder une habitation. Ces gens ont un métier pour lequel ils ont été formés. Je ne vois pas pourquoi, sous couvert de faire des économies, je ferais prendre un risque à autrui.

"Économie", qui que quoi ?! Le mot est lâché.
Je ne cesse de me dire que si ce décret a été voté, c'est avant tout pour faire réaliser des économies à l’État. Pourquoi faire appel à une infirmière pour qu'elle vienne aspirer son patient (facturé 9€60), si l'auxiliaire de vie en train de faire le ménage, peut le réaliser ?

Plus les projets de loi fusent, moins j'ai l'impression d'être considérée dans ma profession. Plus les décrets de loi sont votés, moins j'ai l'impression d'être comprise par ceux qui nous gouvernent. Plus les Gouvernements se succèdent et plus j'ai l'impression que la sécurité des soins et des patients passent au second plan au nom du sacro-saint  trou de la sécu'...

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...