samedi 28 novembre 2015

Ma brune… Je n’ai pas tenu ma promesse.





- Mais ton muguet ! Je n’ai pas eu le temps de t’en bêcher un peu !


J’ai rassuré ma petite brune en lui disant que l’important c’était elle et surtout sa santé mais que « Oui, bien sûr, vu qu’elle insistait je viendrais en chercher un petit carré dans son jardin pour le planter dans le mien ». J’ai serré légèrement sa paume toute froide et j’ai frotté affectueusement le dessus de sa main, si maigre que je sentais sa peau bouger dessous la mienne, comme si l’épiderme qui l’enveloppait était trop grand pour son petit corps de vieille. D’ailleurs, c’est un peu con de caresser la main de cette façon. On veut paraitre affectueuse et touchée par son départ, mais c’est le genre de geste qui pu l’  « Adieu ! » qu’on n’a pas osé dire de peur de porter la poisse. J’ai remis sa main bien au chaud sous la couverture croisée sur son cœur.


Les portes de l’ambulance se sont refermées sur le geste de ma main saluant ma brune emmitouflée jusqu’au cou. Elle m’a paru si petite, vieille et fragile d’un coup… 


L’ambulance est partie, ta maison est toute vide et elle sent toujours le diner de la veille. J’ai l’impression que je vais te voir arriver de ta cuisine, t’essuyant les mains sur ton tablier en me disant : « Un café ? Non, t’aimes toujours pas ça ? Alors prends donc une crotte au chocolat ! ». 


Elles sont pourtant immondes ces crottes à la crème blanchie depuis le Noël de l’année dernière, mais j’en mange une presque tous les jours, comme pour me punir de ne pas boire ton café si gentiment offert. Je suis retournée dans le salon pour récupérer mes affaires, ranger les tiennes, et la couette de ton lit que j’avais été chercher en urgence dans ta chambre pour tenter de te réchauffer au mieux. Une nuit sur le carrelage du salon, on a trouvé mieux comme sommeil réparateur ! Mais l’âge approchant des cent ans, une envie de pipi en pleine nuit, une chaise mal placée, des troubles de l’équilibre, et hop : une brune à regarder le plafond pendant des heures en espérant que, pour une fois, je ne serais pas en retard le lendemain matin…



Je referme la porte de ta maison qui sent bon la cire pour meuble, le café de la veille et cette odeur de vieux papier que je n’ai jamais su expliquer. Je râle contre cette fichue chaise, contre ses toilettes trop loin de ton lit, contre le montauban que tu n’as jamais voulu utiliser « Le jour où je pisserai dans ma chambre, ce sera dans mon lit et là, ca s’ra pas bon ! ». Je râle parce que je sais que tu ne rentreras pas chez toi ma Brune, parce que tu ne retourneras jamais dans ton jardin, parce que ton muguet fleurira sans toi pour une fois.
Tu n’en étais pas à ta première cascade, mais aujourd’hui tu as marqué des points ! Je t’aurais bien mis « 10 » sur ma pancarte, mais ta fille avait levée la sienne avant moi et avait noté dessus « Foyer logement ». J’ai voulu lui expliquer que là bas les vieux ne tombent pas moins, que là bas il n’y a pas toutes ces copines avec qui tu aimes prendre l’apéro et jouer aux cartes, que là bas le muguet il ne fleurit que dans les vases et que là bas et bien, ce n’est pas chez toi.



Tu ne le sais pas à ce moment là, mais tu ne te promèneras plus jamais dans ce jardin en friche que tu affectionnes tant et tailler à l’occasion ce pied de romarin géant que tu as planté il y a plus de cinquante ans. Tu ne repasseras jamais la porte de la maison que tu habites depuis plus d’un demi-siècle et qui a vu grandir tes enfants et mourir ton mari. Tu supplies ceux que tu as fais naitre de te laisser rentrer chez toi, mais ils ont déjà vendu ta maison…

Ce matin, j’ai demandé à un patient de me laisser regarder dans son journal et j'y ai lu ton nom. Je pensais bien t’y trouver parce qu’il y a trois jours, j’ai entendu les cloches du village annoncer qu’un enfant du pays nous avait quitté : c’était toi, ma Brune. Une commode au foyer logement et une cascade qui aurait mérité plus qu’un « 10 » t’ont envoyé direct dans la rubrique nécrologique. Ça m'a pincé le cœur tu sais...


Depuis trois jours, je soutiens ta vieille copine qui est chagrinée de t’avoir perdue. Moi, je repense beaucoup à toi, à ton café que je n’ai jamais voulu boire, à tes cheveux bruns qui se refusaient de blanchir malgré ton age et à ton muguet que je ne suis jamais allée bêcher. Je te l’avais pourtant promis, mais je n’ai jamais eu le cœur de retourner seule dans ce jardin dans lequel on se promenait si souvent toutes les deux, ton bras sous le mien, toi, moi, ton romarin et le muguet dans un coin…




La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...