jeudi 14 juillet 2016

L'infirmière va au restaurant et elle est pas contente (Attention : ça ne parle pas boulot, quoique quand même un peu...)



- Bah je demande qui fait la femme et qui fait l'homme !

Voilà, voilà... Ça c'était la réponse du serveur à qui je venais de demander la carte normale des menus, celle avec les prix. Mais bon, remettons nous dans le contexte mon chaton ou tu vas être perdu...

Hier, c'était jour de fête. Je ne te parle pas du feu d'artifice du 14 Juillet ou de la fête nationale dont je me tamponne la rate, non. Je veux te parler là de quelque chose de bien plus incroyable que ça : hier c'était la première fois depuis longtemps où mon mari et moi avions notre soirée et notre nuit à tous les deux sans les gosses à la maison. Et là, n'importe quel parent me dira : " Naaaan comment vous avez fais ? La chance !! ". Ouais, la chance. 

Pour ceux qui ne se rendraient pas vraiment compte du truc de dingue que ça représente, on pourrait dire que la fréquence de ce genre d'évènement doit être à peu près proportionnelle à une année de télétransmissions sans aucun rejet de la CPAM ou au nombre de fois où j'ai entendu Marisol Touraine s'indigner des conditions de travail pénibles des soignants. Tu l'auras compris, une soirée entre parents sans enfant est assez rare et ça, ça se fête ! Au restaurant donc...

J'ai fais la surprise d'emmener Chéri-Chéri dans un très bon resto'. La déco' y est sobre et chouette avec des tons "Greige" comme ils disent dans les magazines de décoration (pour ne pas dire "Gris et Beige" ce qui est nettement moins joli) avec des touches de bois qui te font oublier que tu te trouves en plein centre ville. Bref, l'espace d'une soirée tu offres à ton estomac un cocon de bien-être qui te change des "Chéri tu veux manger quoi ce soir ?... Du vin et du saucisson ? Cool, transmission de pensée ! Ramène le tire bouchon !". 

Nous nous sommes donc installés et le serveur nous a amené la carte des menus. 
J'ai rapidement compris que quelque chose péchait : sur ma carte je n'avais pas les prix... Pour avoir fais d'autres restaurants gastronomiques, je connaissais le truc : on donne à monsieur la carte avec les prix et on laisse madame dans un espèce de suspens financier autrement appelé "Jeu de regards avec le conjoint un poil transpirant du portefeuille". Son but sera de te faire discrètement un signe de tête pour acquiescer ou non quand tu lui diras tout sourire "Mais sinon le caviar d'aubergine sur son émincé de foie gras mi-cuit allongé sur son lit de homard lui même couché sur une pluie de truffe ça a l'air bien non?". Non, d'ailleurs sa tête qui te fait de grands signes te dit que non c'est bon sauf si tu veux continuer à boire de la bière et manger du saucisson tous les soirs en attendant les prochains virements des caisses de sécu' sur ton compte bancaire. 

Mais ça tu ne le sais pas puisque tu n'as pas les prix... Donc plutôt que de passer mon temps à chercher sur sa carte les montants de tel ou tel plat, j'ai levé mon doigt comme une enfant bien élevée au milieu de ses camarades de classe et j'ai demandé "Excusez moi, je pourrais avoir une autre carte, celle avec les prix s'il vous plait ?". Tu as vu, je suis une nana polie.


- Je m'en excuse, c'est qu'au début je vous avais demandé si votre venue chez nous était en lien avec un évènement particulier, comme quelque chose à fêter...

" Et bien non, justement, donc comme personne n'invite personne, j'ai justement envie de connaitre les prix et puis entre nous, même si monsieur m'invitait, on fait compte commun donc bon... Je trouve ça hyper réducteur pour moi qui suis une nana de voir que d'emblée vous avez pu pensé que ce serait mon mari qui allait m'inviter, ça aurait pu être tout à fait l'inverse ! Sérieusement, je pensais que ça ne se faisait plus ce genre de chose."

- Effectivement, ça ne se fait presque plus, mais chez nous, nous souhaitons maintenir cette tradition...


Tradition, tradition... J'ai pensé à toutes les traditions complètement cons dont nous, les femmes françaises, nous étions heureusement défaites : le droit de travailler sans demander l'avis de son mari, le droit d'ouvrir un compte bancaire sans l'avis de son mari, le droit de conduire et de passer son permis, le droit de se marier ou pas, le droit d'avoir des enfants ou pas... Le droit d'avoir d'emblée les prix du menu sur sa carte sans que quelqu'un puisse anticiper que l'homme allait payer.


Le chef du restaurant est venu nous voir un peu plus tard, pour nous demander si tout se passait bien et il en a profité pour revenir sur l'histoire des menus sans prix :

- Au risque de passer pour des ringards, nous trouvons au contraire que cela reste une démarche de galanterie. Et que comme on offre une belle bague à une femme, il est de l'ordre de ne pas toujours lui indiquer le prix.

Sérieusement ? J'ai eu l'impression d'un coup de revivre à l'époque de ma grand-mère. J'ai relevé des yeux étonnés vers mon conjoint qui semblait s'amuser de la situation et qui devait se demander à quel moment j'allais commencer à m'énerver. Le serveur a fait son retour avec un nouveau plat et je n'ai pu m'empêcher d'en rajouter une couche : "Et pour les couples homosexuels hommes ou femmes, vous faites comment ? Je veux dire, comment vous anticipez qui va inviter l'autre ?".

- Je ne pense pas que tant d'homosexuels que ça viennent manger chez nous...


Sans déconner, il est sérieux ? 10% de la population française serait homosexuelle si on en croit les statistiques, ça fait quand même pas mal de clients potentiels. Je me suis demandée si le mec sortait de tant en tant de son beau restaurant greige parce qu'il semblait persuadé qu'à part danser sur les chars de la gay-pride, les homosexuels ne mangeaient jamais au restaurant : 

- Mais si vraiment un couple homosexuel venait dans notre restaurant sans fêter quelque chose de particulier, il me suffirait de demander lequel des deux fait l'homme ou la femme !


Incroyable. Le mec persistait et semblait presque content de sa réflexion, et je pense sincèrement qu'il a voulu le dire sur le ton de l'humour. Moi je n'ai pas ri. Moi je me suis simplement dit "Mon gars, tu es con", et je lui ai répondu : Non, ça ne passerait pas. Alors il a rajouté : 

- Alors je demanderais qui est dessus et qui est dessous !

Ouah. Dingue. On avait touché le fond avec un parpaing d'humour bien lourd attaché à la cheville. "Non, ça non plus ça ne passerait pas. Vraiment.". Mon ton s'est voulu plus sec. J'en avais marre.


Je voulais juste une carte avec les prix et je me retrouvais plongé deux générations en arrière. Je l'ai regardé. Le mec qui avait dans mes âges semblait content de sa réflexion complètement déplacée. D'un coup, j'ai pensé à sa femme qui devait être bloquée depuis des années dans la position du missionnaire, en dessous, et à ce qu'il loupait de ne pas se laisser grimper dessus de temps en temps. J'ai pensé à mon frère et à son mari qui aiment aller dans les restaurants gastronomiques et qui devaient encore supporter ce genre de réflexions complètement cons venant de personnes qui ne comprenaient rien et qui, sous couvert de vouloir faire de l'humour, leur balançaient encore en 2016 "Alors, qui fait la femme ?". J'ai pensé à tous ces gens qui ne comprennent pas qu'on peut juste aimer faire l'amour sans décider de qui fera l'homme ou de qui fera la femme parce que c'est absurde de limiter le sexe aux sexes. 
J'ai relevé les yeux vers mon mari, tout aussi indigné que moi de voir que la soit disant galanterie cachait parfois une bien belle connerie.

Nous sommes sortis prendre l'air. J'ai eu beau essayé de penser à autre chose, je n'ai pu m'empêcher de me dire qu'il y avait encore du chemin à faire... Nous sommes passé devant un bar ambulant non loin du concert à ciel ouvert qui nous attendait. J'ai demandé à Chéri-Chéri de m'attendre et je suis allée lui acheter une bière. Comme quoi, il suffit parfois de lâcher 3€ à un barman pour remettre les choses dans l'ordre. Revenons donc à l'essentiel, levons nos bières et lassons-nous des traditions  !

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...