vendredi 15 juillet 2016

Regarder la vie du dehors pour évacuer la tristesse du dedans




- Nan, mais c’est que vous avez vu, toute cette horreur… Mon Dieu…

Qu’est-ce que je pouvais bien dire à ma vieille patiente de 92 ans ? Lui dire que son Dieu c’était de l’arnaque et que je n’y croyais pas ? Lui dire qu’un mec appartenant à une catégorie socio-professionnelle aussi pointue ne devrait pas laisser des poussettes se faire écraser un soir de fête nationale ? 

Elle a essuyé cette larme qui s’échappait du coin de son œil, celui qui coule toujours tout seul : « Je ne m’arrête pas de pleurer depuis ce matin… Vous avez vu la télé ? »

Oui j’avais vu. 
J’ai vu les photos du camion immobilisé au pare-brise criblé de balles. J’ai vu cette vidéo sur laquelle je n’aurais jamais dû tomber mais qui s’est lancée toute seule sur mon fil Facebook hier, tard dans la nuit. Celle où l’on voit quelqu’un filmer en marchant entre les nombreux cadavres qui recouvraient le sol de la promenade des anglais de Nice, celle où l’on voit une mère morte aux côtés d’un tout petit bébé mort, lui aussi. Celle où l’on voit une femme se balançant d’avant en arrière en poussant des hurlements atroces en tenant dans ses bras le corps de celui qui semblait être son jeune enfant… Je l’ai vu oui. 
J’ai failli vomir dans mon lit. Mon estomac s’est contracté, alors que j’étais sous ma couette, j’ai failli dégobiller dans mon plumard alors que j’étais bien au chaud chez moi. Alors que l’horreur se jouait à l’autre bout de la France…

Oui je l’ai vu et j’aurai préféré ne rien voir et faire l’autruche sensible. 
Et puis ce matin au réveil, j’ai allumé mon téléphone, je suis retournée sur Facebook, pour prendre des nouvelles du pire, de ce qui m'avait empêché de dormir. Par besoin d'en savoir d'avantage, par nécessité de comprendre j'ai cherché... Et j’ai vu cette photo. Celle du corps d’une toute petite gamine cachée sous une couverture de survie dorée avec en premier plan ce poupon rose au regard figé vers le ciel, les yeux encore ouverts. Encore ouverts alors qu’ils auraient dû être fermés… 

J’ai vu oui, j’ai vu. Et ce matin j’ai pleuré dans mon lit en voyant cette photo.
J’ai pleuré parce que j’ai pensé à ma fille de quatre ans qui dormait juste au dessus que j’avais emmené à son premier feu d’artifice six jours plus tôt. Parce que ses grands yeux d'enfant émerveillés regardaient le ciel ce soir là et que son visage était éclairé par « Les belles jaunes, les belles rouges et les belles bleues maman, regarde c’est beau on dirait que c’est des ballons qui éclatent parce que c’est la fête !! ». Parce que c’est la fête… 

Mon mari est entré dans la chambre, m'a regardé, est monté sur le lit et s’est rapproché tout près de moi. J’ai pleuré dans ses bras rassurant jusqu’à me calmer avant d’aller rejoindre ma fille d'amour dans son lit pour me blottir dans son cou. 


- Comment on peut faire ça hein ?

J’en sais rien. Je sais plus. Et j'ai même plus envie de comprendre pourquoi...
Je ne sais pas quoi dire à ma vieille patiente en larme. A cette très vieille dame qui ne se voyait certainement pas commencer sa vie en connaissant la guerre et ses atrocités pour la terminée en pleurant toute l’horreur que dégueulait BFM TV…

Je lui ai juste conseillé de couper sa télé et de regarder par la fenêtre. Dehors, trois ou quatre gamins jouaient bruyamment autour d’une aire de jeux. Des parents avec des poussettes discutaient avec une voisine. Parce que dehors, il y a du soleil. Parce que dehors, il y a la vie. Je lui ai conseillé de regarder la vie derrière ses fenêtres plutôt que la mort devant les écrans bien cachée dans l’obscurité de sa toute petite chaumière... Regarder la vie de dehors pour évacuer la tristesse de dedans. C'est tout ce que j'ai trouvé pour elle, pour ses larmes qui coulent aux coins de ses yeux et pour les miens qui se brouillent au lendemain de ce jour de fête qui n'a plus rien d'heureux...


Bonus-Facebook- :  Nice, depuis hier soir mon corps est à l'ouest mais mon cœur et mes larmes sont dans le sud. Pensées bouleversées, solidarité plus que jamais et de l'amour, beaucoup, beaucoup d'Amour...


Malgré la peine, l'incompréhension et la gerbe, ouais la gerbe, notre plus belle réponse restera toujours nos sourires. Ça peut paraître con, niais si tu veux, inutile si tu le penses...

Le terrorisme terrorise, nous fait pousser des cris d'horreur, nous fait tomber les larmes. Je sais pleurer... Mais je sais surtout sourire. Parce que la plus belle réponse à ceux qui terrorisent réside justement dans le fait de leur montrer qu'ils n'y arriveront pas.


Nous pouvons sourire. Nous devons continuer à sourire. Leur montrer que même meurtri dans nos chairs et dans nos âmes nous sommes là, et que nous continuons de sourire. Pour ceux qui ont survécu, pour ceux qui se battent encore, pour ceux qui restent debout, pour ceux qui ne le peuvent plus : je suis vivante, je suis souriante et j'emmerde avec force et amour celui qui m'empêchera de le rester ❤. 

Tendres pensées mes chatons




[ Illustration en intro' par Mathou de Crayon d'Humeur ]

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...