- Et puis, il n’y a que des beaufs ici !
D’un mouvement de menton, ma patiente m’indiquait les maisons situées au plus
près de la sienne, celles de ces nouveaux voisins du quartier dans lequel elle venait d’emménager. C’était un regroupement de maisons toutes simples qui
avaient pour point commun de porter sur leurs façades un petit panneau avec
trois lettres en majuscules. « Mais
bon, c’est les H.L.M. quoi ! », voilà ce qu’elle a rajouté en me
demandant de la suivre à l’intérieur. J’ai toujours détesté qu’on rattache
« Habitation à Loyer Modéré » à une catégorie sociale qui se voulait
toujours moins bien que la sienne. C’est peut-être parce que j’ai grandi dans un
immeuble H.L.M. et qu’à l’école, les gamins ricanaient en disant que j’habitais
une Habitation Limitée aux Moches. On était beaucoup d’enfants sans richesse
dans ma classe, mais eux habitaient une
maison. Et à la campagne, ça faisait une grande différence parce que ça faisait faussement plus "riche".
Le quartier de ma patiente n’était pas des plus jolis mais je le
trouvais charmant. Les crépis étaient d’un blanc crème un peu sale, les volets
en bois écaillés étaient peints d’un vieux-vert-sapin, les gravillons des
allées qui menaient aux portes d’entrée étaient bien souvent pleins de mauvaises
herbes mais chaque maison était pourvue d’un jardin de bonne taille qui
permettait d’avoir un potager et un coin pour laisser les enfants jouer en
sécurité. Il y avait des rires, des cris, des odeurs de barbecue l’été et des
chansons un peu fortes que les fenêtres entrouvertes laissaient échapper. L’ambiance était chouette.
Tout en suivant ma patiente jusqu’à la porte de sa maison, je saluais
d’un mouvement de main sa vieille voisine que je connaissais bien et dont
j’appréciais les petits sablés emballés par deux qu’elle me servait avec son verre
de jus d’orange infâme. Et alors que je pestais habituellement à chacune de ses
prises de sang de devoir compenser ses oreilles vieillissantes en parlant haut
et fort, j’étais soulagée pour une fois qu’elle n’ait pas eu à entendre le
jugement de cette voisine qui ne la connaissait même pas.
- Avec la naissance du p’tit on n’a pas eu le choix, on a dû trouver un logement plus grand et c’est tout ce qu’on nous a proposé !
Elle m’invita à entrer sans faire attention au « Bordel… J’avais pourtant demandé au plus grand de ranger ses
chaussures ! ». Alors que je cherchais un endroit où poser ma
mallette de soin, elle me demandait de fermer les yeux sur le linge qui
recouvrait la table de la salle à manger et qu’elle n’avait pas eu le temps de
plier. Et pourtant j’ai regardé, et un peu partout pour dire vrai, en faisant ma
curieuse discrète. J’étais trop contente de repasser la porte de cette maison que
je connaissais bien pour m’empêcher de regarder ce qu’elle était devenue.
Voyant mon embarras de ne savoir que faire de ma sacoche, elle me proposa d'aller
sur le canapé pour le soin, j’ai acquiescé, je m'en fichais pas mal. La seule chose qui m'importait était de refaire ses pansements.
Et alors que mes mains gantées de blanc ôtaient les sparadraps et les compresses sales, je me suis rappelé la
fois où j'avais dû m’occuper d’un pansement similaire au sien, mais situé au plis de l’aine
d’un patient à peine plus âgé que moi. Premier contact, premier soin et le jeune
homme devait se déshabiller devant une infirmière qu’il ne connaissait pas. Tendu.
Il m’avait alors demandé comment il fallait procéder :
- Pour qu’on soit à l’aise tous les deux, je vous propose qu’on s'installe sur le lit. Vous ne déshabillez que le bas jusqu’à mi-cuisse, vous vous allongez sur le dos et je m’occupe du reste...