mercredi 28 août 2019

Attendre la grosse vague.




- Je crois que j’ai plus la niaque.


Merde, sérieusement, je lui ai dit ça ? J’avais raccroché quelques minutes plus tôt mon téléphone en ne manquant pas de l’embrasser. Elle, c’était une réalisatrice. Depuis un an et demi, on discute d’un projet de documentaire très chouette sur la profession à travers mes tournées. Un film sur moi mais surtout sur mon métier, sur ce qui m’anime et me donne envie de passer les portes de mes patients pour les soigner. Une chaine semblait intéressée et on devait en rediscuter. Mais elle a le regard de la réalisatrice qui voit et surtout une oreille attentive qui décèle quand quelque chose ne va pas. Elle m’a demandé « tu veux toujours le faire ? »

Oui, non… Oui. Moi et ma putain d’indécision. Celle qui me fait douter à moitié à poil devant mon placard le matin : un gilet, oui, mais qui ferme ou pas au cas où il y a du vent ? Je vais peut-être prendre une écharpe en plus… Le genre de questionnements surfaits qui, même si l’option choisie n’est pas la bonne, ne changera rien au cours de ma vie, si ce n’est le risque d’avoir attrapé un bon rhume.

Et un documentaire, ça changera quoi à la mienne. Et à la leur ?

Oui, non… Oui. J’ai perdu la niaque, je crois qu’il faut que je me fasse une raison. Et si c’était juste la trentaine basculant gentiment vers la quarantaine qui m’enfonçait vers une certaine sagesse ? Celle qui me ferait fermer ma gueule, quand bien même ce serait justifié. Mais c’est tellement pas moi… Je crois que l’échec du FlashMobPostal m’a mis un coup dans l’aile et dans mon envie de me rebeller contre le système de soin pour soutenir la cause des soignants. Avant ça, je disais en souriant que la profession infirmière était difficile à mobiliser. Depuis le FlashMob, je le dis sur un ton grave et résigné : les infirmières n’y croient plus, elles attendent la grosse vague en espérant ne pas boire la tasse. Moi, j’ai déjà le petit goût salé et dégueulasse au fond de la gorge. Et les vagues, j’en ai toujours eu très peur. 
Je les vois comme ça les infirmières : à l’eau, au milieu de la tempête. Certaines s’accrochant à leurs collègues, d’autres à leur proche retraite, certaines à un changement professionnel qu’elles attendent avec impatience comme le matin de noël, quelques-unes s’accrochent à leurs patients, à une odeur de service, aux pauses clopes pleines d’espoir et d’autres sont seules avec leur cœur en bouée à attendre la grosse vague. Celle qui te claque la tête, te fait boire la tasse et te fait couler là où tout est si sombre que le blanc de ta blouse ne parait plus... Pendant longtemps je me suis cru sur la plage à les regarder galérer dans les rouleaux, cherchant un moyen de leur envoyer de l’aide pour les ramener sur le sable. Et puis, fatiguée en me retenant à mon cœur un peu dégonflé, j’ai fini par me retourner et comprendre que j’avais de l’eau jusqu’au cou. D’un côté je surveille la plage en cherchant de l’aide et de l’autre, j’attends la grosse vague comme les autres.

Oui, non… Oui. Ce n’est tellement pas moi tout ça. Attendre qu’on fasse quelques chose pour moi, pour mes collègues sans être sûr qu’on arrivera un jour à faire entendre raison au Gouvernement. A faire comprendre à nos patients que rien ne va plus. A faire entendre que la santé en France est malade et qu’il faut prendre soin des soignants sans trop tarder, avant de couler. Il n’y a pas une semaine où sur le blog, insta ou facebook, je ne reçois pas le mail d’une collègue en train de se noyer et qui envoie une bouteille à la mer via des mots sur un clavier. Je commence à avoir la trouille que personne ne trouve le moyen de nous ramener sur le bord à temps.

Oui, non… Oui. Mon indécision et la crainte de mon avenir dans le libéral grandit de jour en jour. Je me dis que plutôt que chercher à tout prix à regagner la plage, je devrais utiliser les vagues qui cherchent à me couler pour me donner l’impulsion nécessaire afin de retourner à terre. Les vagues finissent toujours par s’écraser sur le sable non ? J’espère seulement qu’elles ne me feront pas trop boire la tasse avant…



vendredi 2 août 2019

On a pas le temps.




- Vous êtes en communication avec le CHU. Veuillez patienter, nous recherchons votre correspondant. Vous êtes en communication avec…


Cinq minutes que je suis au téléphone avec le service dont ma patiente est sortie. La nana que j’ai eu bout du fil me fait régulièrement patienter en me balançant sans prévenir l’énervante musique d’attente quand ce n’est pas le son de ses discussions avec ses collègues qu’elle m’impose. « Tu pars en vacances ce soir toi ? ». Bordel, si elle savait comme je m’en fous. Je bois une gorgée de thé dans la tasse posée sur la table basse devant moi. Il est froid et c’est con, mais ça m’agace. Peut-être parce que je n’ai pas fait ma sieste. Peut-être parce que j’en suis à mon onzième jour travaillé non-stop. Peut-être parce que moi, mes vacances, elles sont déjà passées...

- Ca a été faxé à la pharmacie !

Quoi ? Je venais de reprendre une gorgée de thé et j'ai manqué de m’étouffer. Je la fais répéter. Mon ordonnance d’actes infirmiers serait faxée à la pharmacie de ma patiente à douze kilomètres aller-retour de mon cabinet. . Quand j’ai demandé à la personne que j’avais au téléphone pourquoi mon ordonnance de réfection de pansements (dont j’avais  pourtant demandé l’envoi par la poste une semaine plus tôt) avait été faxée à la pharmacie, elle m’a répondu : pour gagner du temps.

Du temps et de la patience, je commençais sérieusement à en manquer. Je lui ai demandé si on pouvait carrément lever le secret professionnel autour des soins de ma patiente en envoyant également la feuille de transmissions infirmières qui va bien au pharmacien, parce que je ne l’avais pas reçu non plus. La collègue à l’autre bout du téléphone s’est offusquée : « La patiente est bien sortie avec un courrier médical, non ? ». J’ai confirmé. Une vingtaine de lignes écrit par un médecin pour un autre médecin expliquant pourquoi ma patiente était passée par les soins intensifs avant d’être hospitalisée trois semaines chez eux. Cette patiente chez qui j’allais chaque jour depuis deux ans et qui a disparu du jour au lendemain de mes tournées de soins après un gros malaise à domicile. Et puis, plus de nouvelle ni d’elle ni du service qui ne m’avait pas appelé pour me prévenir de sa sortie. La semaine dernière, ma patiente m’a appelé :

- Je suis rentrée chez moi en début d’après-midi. Il faudrait repasser demain matin…

J’ai écarquillé de grands yeux qu’elle ne pouvait voir, lui ai posé deux, trois questions. Ce n’était pas la grosse forme, quelques pansements à refaire, mais elle était soulagée d’être de retour chez elle, et moi d’avoir enfin de ses nouvelles. Quoique, un peu dégoûtée de ne pas avoir été prévenue par le service qui aurait pu en profiter pour me faire un rapide topo de la situation par téléphone. J’ai ouvert mon agenda, effacé des patients dont les noms étaient écrit au crayon de bois pour les décaler autour de midi en croisant les doigts pour qu’ils ne me reprochent pas un retard contre lequel je ne pouvais rien. J’ai noté le nom de ma patiente sans trop savoir ce qui m’attendait chez elle en plus de sa toilette habituelle qui ne durait jamais plus de trente minutes.

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...