vendredi 2 août 2019

On a pas le temps.




- Vous êtes en communication avec le CHU. Veuillez patienter, nous recherchons votre correspondant. Vous êtes en communication avec…


Cinq minutes que je suis au téléphone avec le service dont ma patiente est sortie. La nana que j’ai eu bout du fil me fait régulièrement patienter en me balançant sans prévenir l’énervante musique d’attente quand ce n’est pas le son de ses discussions avec ses collègues qu’elle m’impose. « Tu pars en vacances ce soir toi ? ». Bordel, si elle savait comme je m’en fous. Je bois une gorgée de thé dans la tasse posée sur la table basse devant moi. Il est froid et c’est con, mais ça m’agace. Peut-être parce que je n’ai pas fait ma sieste. Peut-être parce que j’en suis à mon onzième jour travaillé non-stop. Peut-être parce que moi, mes vacances, elles sont déjà passées...

- Ca a été faxé à la pharmacie !

Quoi ? Je venais de reprendre une gorgée de thé et j'ai manqué de m’étouffer. Je la fais répéter. Mon ordonnance d’actes infirmiers serait faxée à la pharmacie de ma patiente à douze kilomètres aller-retour de mon cabinet. . Quand j’ai demandé à la personne que j’avais au téléphone pourquoi mon ordonnance de réfection de pansements (dont j’avais  pourtant demandé l’envoi par la poste une semaine plus tôt) avait été faxée à la pharmacie, elle m’a répondu : pour gagner du temps.

Du temps et de la patience, je commençais sérieusement à en manquer. Je lui ai demandé si on pouvait carrément lever le secret professionnel autour des soins de ma patiente en envoyant également la feuille de transmissions infirmières qui va bien au pharmacien, parce que je ne l’avais pas reçu non plus. La collègue à l’autre bout du téléphone s’est offusquée : « La patiente est bien sortie avec un courrier médical, non ? ». J’ai confirmé. Une vingtaine de lignes écrit par un médecin pour un autre médecin expliquant pourquoi ma patiente était passée par les soins intensifs avant d’être hospitalisée trois semaines chez eux. Cette patiente chez qui j’allais chaque jour depuis deux ans et qui a disparu du jour au lendemain de mes tournées de soins après un gros malaise à domicile. Et puis, plus de nouvelle ni d’elle ni du service qui ne m’avait pas appelé pour me prévenir de sa sortie. La semaine dernière, ma patiente m’a appelé :

- Je suis rentrée chez moi en début d’après-midi. Il faudrait repasser demain matin…

J’ai écarquillé de grands yeux qu’elle ne pouvait voir, lui ai posé deux, trois questions. Ce n’était pas la grosse forme, quelques pansements à refaire, mais elle était soulagée d’être de retour chez elle, et moi d’avoir enfin de ses nouvelles. Quoique, un peu dégoûtée de ne pas avoir été prévenue par le service qui aurait pu en profiter pour me faire un rapide topo de la situation par téléphone. J’ai ouvert mon agenda, effacé des patients dont les noms étaient écrit au crayon de bois pour les décaler autour de midi en croisant les doigts pour qu’ils ne me reprochent pas un retard contre lequel je ne pouvais rien. J’ai noté le nom de ma patiente sans trop savoir ce qui m’attendait chez elle en plus de sa toilette habituelle qui ne durait jamais plus de trente minutes.


Le lendemain, après une heure de soins, je suis sortie en colère de chez elle. Une sortie de merde, voilà ce que c’était. N’ayons pas peur des mots, parce que je peux vous assurer que je me suis trouvée littéralement dedans, la merde. Une patiente perdue dans la prise des ses nouveaux traitements avec laquelle il fallut reprendre et réexpliquer l’ordonnance. Six pansements, rien que ça, dont deux nécessitant des irrigations et la pose de mèches. Aucune ordonnance de prescription de matériel : j’ai vidé ma mallette dans laquelle je garde heureusement toujours une petite réserve. A mon arrivée chez elle, j’ai cherché, sans trop y croire, une feuille de transmissions infirmières. Un bout de papier ou même un post-it sur lequel serait noté ce qui aurait été fait pour elle depuis trois semaines, les derniers soins effectués et ce qui me restait à faire. Mais il n’y avait rien. Rien, même pas une ordonnances d’actes infirmiers pour que je puisse facturer mes soins et être payée (au moins des deux pansements méchés puisque les quatre autres passent en "gratuits"). J’ai retrouvé une patiente recouverte de six pansements saturés d’un œdème de plus de quinze kilo qui n’en finissait pas de couler… Et démerde toi avec ça. C’est tellement récurant et agaçant ce genre de situation, que c’est, je crois, ce qui pourrait un jour me faire arrêter les soins.

En libéral, je suis habituée à gérer dans l’urgence, à faire avec les moyens du bord. Mais là, de la part de mes collègues de service, j’ai vraiment eu l’impression d’être mal considérée. D’être vue comme la cinquième roue du chariot de soins… 
L’après-midi, pendant ma pause, j’ai appelé le service pour leur demander où était mes papiers de sortie. Mon ordonnance d’actes infirmiers, celle pour le matériel que j’avais dû intégralement avancer, ma feuille de transmissions pour mon recueil de données et le dernier diagramme de soins pour savoir où en était ma patiente dans les siens. L’infirmière que j’ai eu au téléphone a pris un grande inspiration et elle m’a répondu « on ne fait pas ça dans notre service, vos transmissions là… » et quand je lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu :

- On n’a pas le temps.

Bam, pas le temps. Pas le temps de bien coordonner les soins de son patient sortant. Pas le temps d’éviter à une collègue de se retrouver dans la merde ensuite. Pas le temps de permettre la bonne continuité des soins...

J’ai travaillé en service, je sais ce que c’est que de courir. Mais j’ai le souvenir que, si j’avais transféré une patiente de mon service vers un autre sans faire mes transmissions à la collègue qui allait s’occuper d’elle, je me serais fait pourrir. Parce qu’assurer la bonne continuité de ses soins même en dehors de l’hôpital, c’est une base et le manque de temps ne devrait pas être un argument pour passer outre. Et moi, là, j’ai vraiment eu l’impression de faire de la merde avec ma patiente parce qu’on m’avait mis la tête dedans. Est-ce parce qu’on est plus dedans les murs, est-ce parce qu’on ne porte plus la blouse que nos soins et notre travail auprès de nos patients semblent moins compter ? Est-ce parce qu’une fois qu’on quitte l’hôpital pour devenir libérale, on a parfois le sentiment de ne plus être estimé par nos collègues ?

Quand un de mes patients part en vacances se faire soigner ailleurs, quand il quitte son chez lui pour aller en maison de retraite ou de repos, quand je peux anticiper une hospitalisation, mes patients partent toujours avec une enveloppe dans laquelle j’ai glissé diagrammes de soin, ordonnances en cours et feuille de transmissions avec mes coordonnées et un « bon courage pour la suite des soins ! » à la fin de mon courrier. C’est la base. C’est normal et j’aimerai tellement que ce soit le cas partout pour que les libérales arrêtent de se sentir comme la cinquième roue complètement bancale d’un système de soin qui oblige ses soignants à courir partout et à répondre à leurs collègues à domicile « on n’a pas le temps pour vous ».




La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...