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samedi 19 octobre 2019

Combien ça me coûte ?




- Tiens, l’autre jour…

Aïe. Je ne sais pas toi, mais moi, quand mes patients commencent leur phrase par « Tiens, l’autre jour… », c’est souvent pour m’annoncer un potin. Une nouvelle pas toujours fraiche et souvent liée au cancer d’un voisin, du fils du voisin ou de la belle-fille de la nièce de la voisine. Un potin, dont je suis souvent déjà au courent parce que je soigne la personne concernée ou parce que la patiente juste avant ma fana de ragots avait elle aussi commencée une phrase par « Tiens, l’autre jour… ».

J’étais accroupie en train de refaire le pansement de ma patiente dans une position qui ne m’était pas vraiment confortable et mes oreilles et mon cerveau étaient en mode filtre-à-ragots. Tout en la soignant avec les yeux fixés sur mes pinces, sa plaie et son pied, je l’entendais ranger ses papiers et pousser de la main le monticule de bazar qu’elle avait accumulé sur sa table. Je me demandais comment aurait réagi Marie Kondo, la star coréenne du rangement. Je pense qu’elle aurait gardé son agaçant sourire et qu’elle serait allée se mettre en PLS dans coin en imaginant devoir ranger le bordel sur la table et dans le reste de la maison. Puis ma patiente a ajouté :

- … J’ai jeté un œil sur mes relevés de sécurité sociale, pour voir les montants de vos soins… Mes oreilles et mon cerveau ont quitté leur filtre-à-ragots pour écouter la suite de sa phrase : … Ça vous fait une belle somme ! 

Bordel. J’aurais préféré l’entendre me parler du cancer du voisin. Ma patiente n’avait pas dit « ça fait une belle somme ! », non. Elle avait dit « ça VOUS fait une belle somme ! » et ça rendait le sens de sa phrase bien différent…

Cette dame chez qui je me rend quotidiennement n’avance pas ses soins. C’est le fameux 100%, le all-inclusive de l’affection de longue durée qui permet à la sécurité sociale de rémunérer directement les professionnels pour les soins nécessaires au bon maintien de l’état de santé de cette patiente. Elle sortait d’une longue hospitalisation de plusieurs semaines qui avait bien dû coûter plusieurs dizaines de milliers d’euros à la sécurité sociale. Mais ce qui semblait l’interroger ce n’était pas ce que me soins allaient coûter à la sécu’, c’était ce que cela allait me rapporter. Sur mon compte bancaire, dans mon porte-monnaie, dans ma poche à moi, son infirmière libérale. On était samedi, j’étais fatiguée. A cette heure, mon homme et nos filles devaient surement être à la piscine. Et même l’idée de les imaginer patauger dans un bouillon de culture tiède au milieu d’enfants incontinents me donnaient envie de rentrer les rejoindre. Je préférais jouer dans l’eau plutôt que d’avoir à rétablir les vérités de ce que je gagnais vraiment. Non pas que je me devais de justifier de mes revenus auprès de ma patiente, j’en avais juste marre d’entendre « oui mais toi, t’es libérale, tu gagnes bien ta vie ! ».

Elle a terminé de ranger ses papiers en classant l’affaire d’un « Vous vous en sortez bien… » qui m’a agacé. J’ai eu envie de souffler à m’en vider les poumons pour me laisser couler au fond de la piscine, là où tout est calme et silencieux. Elle est récurrente cette question d’argent et elle me gonfle un peu avec le temps. Mais je comprends les gens qui me questionnent sur mes revenus. On associe l’argent au libéral comme on associerait le rhum à la Martinique. Dans tous les cas on est saoulé, on sait que l’un ne définit pas l’autre, mais c’est la première chose à laquelle on pense quand on en parle. C’est réducteur et ça ferme souvent le débat autour des vraies valeurs de mon métier (et de la beauté de cette île). Les libéraux encaissent les chèques de leurs patients malades, ils savent exactement ce que coûte la santé et le matériel de soin. Il y a un rapport à l’argent très étroit, presque mystérieux et gênant d’ailleurs. Et pour cause, nous sommes des chefs d’entreprise qui basons nos revenus sur la mauvaise santé des gens. Tout comme les cliniques, les hôpitaux et les HAD mais comme ce sont des structures et non des gens qui vous facturent en tête à tête, cela semble moins gêner les patients.

- Oui enfin j’ai 60% de charges à payer dessus…

« Ah bon ? Tant que ça ? » m’a-t-elle dit l’air visiblement surprise. Ça veut dire que pour une prise de sang à 6€08, je ne touche réellement que 40% de mon soin, soit 2€43. Que pour son soin d’hygiène complet et ses nombreux petits pansements gratuits (car inclus dans le forfait d’accompagnement de 18€40 de l’heure), je touche réellement 7€36. 7€ pour laver, essuyer, habiller, panser et écouter que je coute cher mais que je touche finalement une belle somme. Sept euros… Et encore, après ça, je dois encore payer mes impôts. Elle semblait tomber des nues alors que je terminais de l’habiller. Et comme j’avais le temps, parce que ses soins m’en demandait beaucoup, j’ai commencé à énumérer le montant de tout ce que je devais payer chaque mois pour pouvoir soigner mes patients :

vendredi 26 avril 2019

Leur dire des choses...

(Handmade Human Heart - Charlotte Le Bon)



- Vous auriez dû me dire. Me dire qu’il allait mourir…

J’ai relevé les yeux de la veine de ma vieille patiente que j’étais en train de prélever. Elle avait parlé avec une voix douce, presque susurrée. Ses yeux étaient tristes sans être déprimés, lumineux mais pas franchement joyeux. Elle avait le regard de ceux qui font leur deuil, de ceux qui donnent le change en répondant « ça va ! » alors que non, ça ne va pas. Mais ça fait tellement longtemps que ça ne va plus, qu’ils ont peur d’emmerder les gens. Elle fait son deuil ma patiente. Qu’elle est conne cette expression... « Faire son deuil, ça prend du temps !», on dirait les conseils pour réussir une bonne tarte. Le deuil, on ne le fait pas, on fait avec, point. Et tu auras beau surveiller dedans de temps en temps pour être sûr que rien ne brûle, que rien ne foire, le deuil aura toujours ce goût dégueulasse qui ne donne pas envie de se resservir une part.

Deux ans plus tôt, c’était la veine de son mari que je prélevais pour la première fois. Il était fatigué alors le médecin avait prescrit un bilan sang complet, au cas où, et il avait eu le nez fin. Je suis repassée peu de temps après pour prélever le bilan pré-scanner et puis ensuite régulièrement pour prélever chacun des bilans sang avant ses chimio'. Sa veine, je la revois encore. Celle de gauche, pas celle de droite. L’angle parfait, pénétrer de temps et pas plus pour faire jaillir le sang. Je la connaissais par cœur. Un peu comme lui, depuis, avec le temps…
Et puis un jour, j’ai vu que rien n’allait plus. Je savais depuis le départ que ce jour allait arriver. Comme si au premier bilan j’avais compris, anticipé, capté qu’il était condamné. Je déteste avoir raison parfois. Le diagnostic du médecin était bon, mais le pronostic était mauvais. Mon patient avait écouté l’oncologue mais il n’avait pas entendu. Il n’avait pas compris ou ne voulait pas comprendre. Cancer, métastase, tumeur… Et puis c’est quoi ces mots ? « Tumeur » ? Il suffit de trancher le mot en deux pour avoir peur… Avec mon collègue, nous avancions à son rythme. Il préférait parler de « problème » plutôt que de « cancer », soit. Il aurait pu dire truc, machin, chose ou même l’appeler « mon connard » comme l’avait fait un ancien patient, j’aurais utilisé le même langage que lui. On ne va jamais plus vite que ce que le patient est capable d’entendre, c’est un principe.

On aimerait leur dire des choses à ceux qu’on soigne. 

Leur dire « vous avez un cancer, vous allez mourir ». Leur avouer « on ne peut rien pour vous, la partie est perdue », comme si c’était un jeu, comme s’il y avait quelque chose à gagner. J’aimerai leur dire combien je me sens parfois impuissante de leur tenir la main et de les écouter me dire que ça ira mieux demain, parce qu’ils sont simplement fatigués… J’aimerai leur dire combien je me sens mal parce que leur truc, leur machin, leur connard est en train de les priver de la vie et que je ne peux rien leur dire parce qu’ils ne sont pas prêts, parce qu’ils refusent d’entendre, parce qu’ils veulent garder leurs œillères pour profiter de leur vie, à leur façon, sans savoir…
J'aimerais dire à certains patients que je suis fatiguée de les entendre se plaindre d'un rien alors qu'il se passe tellement de choses tristes deux maisons plus loin. Leur dire que ce matin je n'avais pas envie d'aller les soigner parce que chez eux ça pue l'angoisse, parce que leur maison me déprime, parce que même lorsqu'il fait beau ils trouvent le moyen de dire que ça ne durera pas. J'aimerai dire à d'autre que je les aime de ces sentiments si étranges qui naissent parfois entre une compresse et une aiguille. Leur dire qu’égoïstement je voudrais qu'ils ne guérissent pas trop vite, qu'ils ne meurent pas non plus... Parce que ma tournée de soins sans eux sera tellement triste. 

Mon vieux patient est mort sans comprendre qu’il était mourant. Sa femme ne l’avait pas compris non plus. Ça a été brutal d'ouvrir les yeux d'un coup. Comment se résigner à voir l’autre partir pour de bon quand on l’a vu revenir chaque jour pendant presque soixante ans de sa vie…

J’ai retiré l’aiguille de la veine de la vieille dame. Et alors que je scotchais le coton boule au plis de son coude, je lui ai dit :

- J’aurais voulu vous dire tellement de choses…

Elle a posé sa main sur mon avant bras et a souri. Un sourire triste et heureux. Un sourire étrange tout droit sorti de son deuil. Elle avait compris, sans que je lui en dise davantage, que parfois le pire pour un soignant, c’est justement parfois devoir garder le silence…


[ Photo : Charlotte Le Bon ]

vendredi 22 février 2019

Les demi-teintes.



- Et ton livre, tu le sens comment ?- Bleu Roi...

Depuis toujours, je vois ma vie et celle des autres en couleurs. Les sentiments, les sons, la musique, les reliefs sous mes doigts, les gens. Au delà de ce que je vois, ressens ou entends, j'ai dans le cerveau une symphonie de couleurs qui se mélangent. C'est assez difficile à expliquer car c'est pour moi aussi instinctif que de respirer.

Mais soyons honnête. Même si c"est chouette dit comme ça, ça n'a jamais été très utile de voir la vie autrement qu'en rose. Quoique... Il y a les changements de teintes. 

Les demi-teintes.

Il y avait cette dame chez qui j'allais chaque matin pour réaliser des soins. Rien de bien extraordinaire, des injections pour prévenir un risque de phlébite après une opération sans complication. Elle auréolait un orangé depuis le début des soins. Un orangé un peu fatigué, un peu pâle sans être triste pour autant. 
Un matin, elle m'a ouvert la porte. Pas plus fatiguée que la veille, pas moins agréable, elle n'a pas eu besoin de me parler pour que je comprenne que quelque chose n'allait pas : elle avait perdu une demi teinte.

Elle avait eu sa fille habitant à l'autre bout du monde au téléphone et ça avait suffit pour la déprimer un peu. Au point de lui faire perdre une demi teinte qui la tirait maintenant sur le marron...

Moi, je n'ai pas de couleur. Quand je me regarde dans un miroir, je ne me vois pas tel que je vois les autres... C'est ni fade ni triste. Je suis juste décolorée.

Mon deuxième livre lui est bleu roi et j'en suis ravie car c'est une couleur que j'adore. J'aime l'écrire, je me sens bien entre ses lignes. Il y a peu, il a été validé par mon éditrice qui, avec ses mots émus, a apporté à mon livre cette jolie teinte de bleu. Il me reste à écrire la fin...

J'espère maintenant qu'il vous colorera le coeur... Rendez vous dans quelques mois 💙

vendredi 15 février 2019

Ça ne sert à rien.



- Je voulais vous remercier pour les soins que vous avez fait à mon mari. Deux ans de soins, mais au final... Ça n'a servi à rien...

Parce qu'il est mort. 
Voilà ce que la vieille dame n'arrivait pas à me dire. 

"Ça ne sert à rien, les soins."

Si seulement elle savait combien de fois je me suis faite cette réflexion...

Me demander ce que je foutais là à écouter une dépressive me parler de sa vie qui va mal tout en sachant qu'elle n'ira pas mieux demain. Regarder ce mec toxicomane me dire qu'il n'a pas replongé alors qu'il suffisait que je plonge mes yeux dans les siens pour comprendre qu'il mentait comme un gosse face à sa mère. Toucher de mes mains un corps dont la vie s'échappe et me demander si j'ai encore le droit de dire que mes soins "soignent" alors qu'elle est en train de mourir...

La vieille dame a glissé devant moi le dossier dans lequel je cochais chacun de mes soins depuis deux ans. Un post-it avait été collé dessus par un de ses enfants pour ne pas que l'hôpital nous l'égard... Machinalement, je l'ai feuilleté. Beaucoup de surveillances et de soins cochés. Devant le sourire pudique et l'air triste de la vieille dame je lui ai dit :

- Il est resté chez vous, il a pu vous accompagner dans votre maison de vacances une dernière fois, il a pu aller au café chaque matin et rire avec les copains, il s'est réveillé dans vos bras, vous a pris la tête, vous a cassé les pieds... Et vous a brisé le coeur parce qu'il est mort. Alors non, tout ça, ça n'est pas rien...

Je suis une soignante qui ne soigne pas toujours et je me demande souvent à quoi ça sert tout ça. Mais j'essaye de faire comme ci pour ne pas que ça serve à rien.

samedi 29 décembre 2018

C'est dans la boite (et dans le coeur aussi)



- Ah oui j'allais oublier, il faut passer chez mon voisin. Il a une bronchite et est tout perdu dans les médicaments que lui a prescrit le médecin !

Le monsieur en question est un de mes très vieux patients. J'ai reposé la tasse de thé que m'avait offert ma patiente et j'ai filé le voir pour jeter un oeil à ses traitements... Gratuitement.

Gratuit pas cher parce que je n'ai pas le droit de facturer un passage en plus de celui que je fais déjà chaque semaine pour refaire son pilulier. Saleté de bronchite et de nomenclature ! Un peu halluciné de m'entendre lui dire que j'étais là gratuitement, il m'a offert la belle grosse boite sur laquelle je lorgnais et dans laquelle je me voyais déjà mettre mes bébés phasmes fraîchement éclos... Pilulier modifié, salutations, gratouilles au chien et je suis repartie. 

Arrivée à ma voiture, j'ai voulu prendre ma grosse boite en photo. Et là j'ai entendu "Oh, Charline ! Je suis contente de te voir !".

Elle, c'est la femme de mon Patient-Chouchou décédé l'année dernière et qui a laissé un trou à l'emporte pièce dans mon coeur de soignante. C'est marrant parce que j'ai pensé à lui hier soir en retombant sur une publication qui lui était dédié "Et ce soir, je trinque". Un article dans lequel je buvais un verre de vin rouge en pensant à lui la veille de son enterrement...

Et sans que je m'y attende, elle s'est effondrée dans mes bras. Là, sans prévenir elle m'a dit combien c'était difficile en cette fin d'année de devoir en commencer une nouvelle sans lui, sans toi. Et moi de lui dire que j'avais souvent l'impression de te voir... Comme deux couillonnes à se dire combien tu nous manques.

"Il n'y a pas de hasard si tu es là..." m'a-t-elle dit en me souriant. Moi j'ai pensé au thé que j'avais bu et qui m'avais retardé, à la bronchite de mon patient, à ses traitements à trier, à sa boîte offerte et à la photo que j'avais prise et qui m'avait attardée devant ma portière ouverte...

Je ne sais pas si c'est le fruit du hasard, un croisement d'étoiles ou Toi mais moi je crois aux signes de la Vie qui donnent parfois des pincements au coeur ❤

mardi 26 juin 2018

Enfin L'été !






Et j'entends déjà certains râler... Et je ne parle pas que de mes escargots !

Fait trop chaud !
C'est trop brutal comme changement de température !
Ça flétri mes salades !
Ça me donne mal aux os de ma hanches !
Mes rosiers, ils aiment pas !
On peut pas sortir comme on veut parce qu'il y a trop de soleil !
Ça me fait pleurer les yeux !

D'un coup, je me suis demandée si on pouvait pleurer d'ailleurs... .

Cette patiente elle, semble pleurer du cœur depuis des années. Depuis que son mari est tombé malade. Depuis qu'il ne peut plus conduire le camping-car direction le bord de mer qui les éloignait de la maison et du soleil qui fane les rosiers.
- Je me dépêche d'aller chercher le pain. On va encore être obligé de fermer les volets pour pas mourir de chaud ici !

Avant de partir, sa femme pris soin de claquer la porte fermement pour me rappeler que le soleil avait également la fâcheuse manie de déformer le bois de la porte.
- Moi tant que je l'entends râler du temps, c'est qu'il m'en reste encore un peu à passer sur terre...

Mon patient m'a fait un clin d’œil complice et s'est s'installé dans son fauteuil, doucement, pour ménager ses muscles douloureux. Mes patients sont magiques pour me rappeler que le temps de dehors c'est aussi le temps qui passe et qu'il est précieux le jour où l'on comprend qu'on a plus le temps de s'en plaindre...

vendredi 22 juin 2018

Le point connard.


 

Cet après midi pendant que je faisais ma facturation au cabinet, j'ai installé le TP du jour de mon étudiante : "Ablation de sutures _ option point-connard".

Et comme c'est la mode du DIY (Do It Yourself) mais que je n'étais pas prête à me suturer moi même pour qu'elle se perfectionne sur de la vraie peau, j'ai fait au mieux.
Donne moi un gant, des cotons boules pour le remplir, un kit de suture et une agrafeuse chirurgicale et je te fabrique un cobaye du genre hyper patient !

Hier soir, j'ai mis mon Homme à contribution et il lui a fait tous les points face auxquels elle se trouvera confronté dans sa carrière d'infirmière. Agrafes, surjet, points simples, points serrés, mini-mini-points... J'ai même pu apprendre à faire des sutures (j'adore !) et j'ai fait à mon étudiante le fameux point-connard. Le genre à faire passer la cicatrice de ton patient pour un rôti. Le genre de surjet simple qui saucissonne, qui coulisse mal, qui donne des sueurs et qui m'a fait le nommer du seul mot qui me passait par la tête la première fois que j'ai eu à déssuturer un patient porteur de ce point !
- J'ai fait un trou à mon patient !!

Ah. Le fameux mini-mini-point sur lequel je voulais qu'elle s'entraîne. Celui qui m'a valu les mêmes sueurs hier alors que j'enlevais le cinquième point sur la tempe de ma patiente sous le regard de mon étudiante... Sans faire aucun trou ! 😉

dimanche 20 mai 2018

Multicolore.



Ce matin, une patiente a repéré un de mes derniers tatouages sur mon bras et elle m'a dit avec une voix qui ne chantait pas la bienveillance :
- Mais il est pas fini votre papillon, il a pas de couleurs !

Je n'ai jamais compris ces patients qui se permettent de juger les goûts des autres. J'irai même jusqu'à dire que c'est quelque chose qui m'énerve. Peut être est ce parce que c'est quelque chose qui, d'après moi, ne regarde que l'autre. Mais parce que le piercing, le tatouage ou la façon de s'habiller relève justement du choix de chacun, il semblerait que certains se sentent légitimes de les juger.

Je lui ai simplement répondu : "C'est normal, j'attends que mes filles le colorient".

Je n'avais pas envie d'en dire d'avantage... Garder un peu de mon mystère à moi, et ne surtout pas le partager avec celle qui va jusqu'à critiquer l'indécence de la jupe trop courte de la voisine ou de la tenue de la présentatrice météo.
Et alors que je l'ai entendu soupirer "Mais en plus ça doit faire mal..." moi, j'imaginais déjà ma fille me demander à la fin du repas "Dis maman, je peux colorier le papillon ?". J'adore ma capacité à entendre l'autre sans l'écouter pour trier ce qui a le droit d'entrer dans mon cœur ou pas !

En attendant, j'ai eu le droit à un papillon multicolore au dessert ! 😉

mardi 27 février 2018

Le froid qui te rappelle à l'essentiel.

 
 
"Oh bah c'est qu'il fait froid... Mais bon : c'est de saison !"

Cette phrase je l'entends plusieurs fois par jour depuis des jours. Un peu saoulant quand tu passes de la rue où il fait -6° à des maisons où il fait bon. C'est marrant mais avec le temps, j'ai compris que les patients qui se plaignaient le plus de la météo étaient finalement ceux qui la subissaient le moins. Chez eux, c'est les tropiques toute l'année avec 28°c grâce au chauffage poussé au max et si tu as la chance de les aider pour la douche tu as droit à l'option sauna-frange-qui-colle-maquillage-qui-coule.
- Mais c'est pratique votre truc là, au moins ça tient chaud !

Ça là ? C'est mon masque parce que je suis malade. Parce qu'à passer de la chaleur étouffante de leurs maisons au zéro extérieur j'ai fini par chopper la crève et une bonne fièvre.

Mais elle a froid la petite dame. Froid de voir celui qu'il fait dehors. Mais bon, elle se plaint déjà de la chaleur de l'été, il fallait bien qu'elle se plaigne de la fraîcheur de l'hiver. Vivement les giboulées de Mars tiens...

Mais moi aussi ce matin je me suis plaint du froid. Parce que j'étais fatiguée et parce qu'il commençait à gercer la peau de mes mains sèches. Et puis je suis entrée chez lui.
Lui, c'est mon patient qui n'a rien dit du temps de dehors et qui m'a simplement proposé de me réchauffer auprès du feu le temps d'aller chercher le nécessaire pour que je refasse ses pansements. J'ai regardé les braises jusqu'à m'en bruler les rétines et j'y ai vu des clous et des planches. Mon patient brûle des palettes dans sa cheminée. En m'inquiétant pour lui, je lui ai rappelé que c'était polluant, toxique et probablement interdit et il m'a répondu "Je sais, mais j'ai plus d'argent pour m'acheter du bois et il parait que ça va durer jusqu'à la fin de la semaine. Et j'ai froid". Je me suis sentie con avec mes gerçures aux mains qui se réchauffaient avec son feu sans argent.

Le froid ramène à l'essentiel tellement il nous rappelle que sans un minimum de vêtement, sans un minimum de bois ou d'argent nous ne sommes pas grand chose...

vendredi 3 novembre 2017

Boulet qui roule.




- Ça va être tendu.

Mon collègue venait de terminer ses transmissions de la semaine et j’étais déjà en retard d’une bonne vingtaine de minutes sur ma tournée du soir. Agenda sous le bras, fiches dans une main, boite de gants dans l’autre, je m’engouffrais dans ma voiture avec ce sentiment que je n’aimais pas. Tu sais, celui qui te fais comprendre que rien ne va tourner rond et que tout va rouler de travers. Ce sentiment que tu ressens dès le matin en posant ton pied chaud sur le sol froid en sortant de ton lit. Ce même pied habillé d’une chaussette qui va se poser pile dans la gerbe du chat que tu as entendu vomir cette nuit et que tu t’es dit « ‘Faut que je pense à m’en occuper demain ! ». Ce pied et sa nouvelle chaussette que tu chausses dans ta boots en tirant fort sur le lacet. Lacet qui était à deux doigts de lâcher depuis ces semaines où tu te disais «‘Faut que je pense à m’en occuper demain ! » et qui choisit pile ce matin pour se casser entre tes doigts histoire de te faire comprendre, au cas où tu ne l’aurais pas noté, que tu es en train de débuter une bien belle journée de merde.

Bref, j’ai passé la première. La première d’une longue série qui a commencé dans le village d’à côté pour des pansements sur une peau âgée, mais genre vraiment âgée. Je me suis garée au plus près parce que j’avais une flemme à m’en couper les cuissots et j’ai ouvert mon coffre pour récupérer mon matériel : vide. Le coffre était VIDE… Je suis un boulet. Ma mallette de soins et toute ma réserve de matériel était resté chez moi, à quinze minutes d’ici, effet « deuxième lacet qui pète » garanti. J'allais devoir retourner chez moi. Je suis un boulet qui roule. Un boulet qui roule vingt minutes supplémentaires pour rattraper sa bêtise... 
Ma très vieille patiente a ouvert sa porte pour me saluer, je lui ai expliqué que je n’avais pas ce qu’il fallait pour refaire son pansement, que j’allais devoir faire demi-tour, repasser chez moi et repasser la voir ensuite. Je parlais haut et fort parce que ses oreilles étaient aussi vieilles que sa peau trouée :

- Nan nan, je reviens ! JE REVIENS !
- Ah, ok… A demain !
- ...


lundi 30 octobre 2017

Les beaufs sont comme les cons.






- Et puis, il n’y a que des beaufs ici !


D’un mouvement de menton, ma patiente m’indiquait les maisons situées au plus près de la sienne, celles de ces nouveaux voisins du quartier dans lequel elle venait d’emménager. C’était un regroupement de maisons toutes simples qui avaient pour point commun de porter sur leurs façades un petit panneau avec trois lettres en majuscules. « Mais bon, c’est les H.L.M. quoi ! », voilà ce qu’elle a rajouté en me demandant de la suivre à l’intérieur. J’ai toujours détesté qu’on rattache « Habitation à Loyer Modéré » à une catégorie sociale qui se voulait toujours moins bien que la sienne. C’est peut-être parce que j’ai grandi dans un immeuble H.L.M. et qu’à l’école, les gamins ricanaient en disant que j’habitais une Habitation Limitée aux Moches. On était beaucoup d’enfants sans richesse dans ma classe, mais eux habitaient une maison. Et à la campagne, ça faisait une grande différence parce que ça faisait faussement plus "riche".

Le quartier de ma patiente n’était pas des plus jolis mais je le trouvais charmant. Les crépis étaient d’un blanc crème un peu sale, les volets en bois écaillés étaient peints d’un vieux-vert-sapin, les gravillons des allées qui menaient aux portes d’entrée étaient bien souvent pleins de mauvaises herbes mais chaque maison était pourvue d’un jardin de bonne taille qui permettait d’avoir un potager et un coin pour laisser les enfants jouer en sécurité. Il y avait des rires, des cris, des odeurs de barbecue l’été et des chansons un peu fortes que les fenêtres entrouvertes laissaient échapper. L’ambiance était chouette.
Tout en suivant ma patiente jusqu’à la porte de sa maison, je saluais d’un mouvement de main sa vieille voisine que je connaissais bien et dont j’appréciais les petits sablés emballés par deux qu’elle me servait avec son verre de jus d’orange infâme. Et alors que je pestais habituellement à chacune de ses prises de sang de devoir compenser ses oreilles vieillissantes en parlant haut et fort, j’étais soulagée pour une fois qu’elle n’ait pas eu à entendre le jugement de cette voisine qui ne la connaissait même pas.


- Avec la naissance du p’tit on n’a pas eu le choix, on a dû trouver un logement plus grand et c’est tout ce qu’on nous a proposé !


Elle m’invita à entrer sans faire attention au « Bordel… J’avais pourtant demandé au plus grand de ranger ses chaussures ! ». Alors que je cherchais un endroit où poser ma mallette de soin, elle me demandait de fermer les yeux sur le linge qui recouvrait la table de la salle à manger et qu’elle n’avait pas eu le temps de plier. Et pourtant j’ai regardé, et un peu partout pour dire vrai, en faisant ma curieuse discrète. J’étais trop contente de repasser la porte de cette maison que je connaissais bien pour m’empêcher de regarder ce qu’elle était devenue. Voyant mon embarras de ne savoir que faire de ma sacoche, elle me proposa d'aller sur le canapé pour le soin, j’ai acquiescé, je m'en fichais pas mal. La seule chose qui m'importait était de refaire ses pansements.
Et alors que mes mains gantées de blanc ôtaient les sparadraps et les compresses sales, je me suis rappelé la fois où j'avais dû m’occuper d’un pansement similaire au sien, mais situé au plis de l’aine d’un patient à peine plus âgé que moi. Premier contact, premier soin et le jeune homme devait se déshabiller devant une infirmière qu’il ne connaissait pas. Tendu. Il m’avait alors demandé comment il fallait procéder :


- Pour qu’on soit à l’aise tous les deux, je vous propose qu’on s'installe sur le lit. Vous ne déshabillez que le bas jusqu’à mi-cuisse, vous vous allongez sur le dos et je m’occupe du reste...


lundi 23 octobre 2017

La fraise sur le gâteau.


- Mais si, prenez là Madame. Les filles de vot' génération là, elles sont toutes maigres !

Je n'en voulais pas, mais je n'ai pas osé lui dire que je n'en voulais pas. Pas osé lui dire que je ne voulais pas la manger parce que je n'était pas sûre du respect de la chaîne du froid depuis le midi que la vieille dame l'avait ramené du restaurant du foyer logement, toute fière d'avoir dit à ses voisines de table "l'infirmière de la télé c'est la mienne !". Pas osé lui dire que je n'aime pas les desserts sauf si il y a du chocolat dedans. Pas osé lui dire que j'avais mal au ventre parce qu'avant de partir pour ma tournée du soir, je m'étais goinfrée comme une enfant d'un plat entier de bouillie au chocolat que ma mère avait fait pour remonter le moral de son bébé de 33 ans...

Et puis en posant sa tarte au creux de ma main elle a levé les yeux vers moi toute petite qu'elle était et elle a rajouté "Je vous ai vu à la télé et vous Madame vous aimez les dames qui sont vieilles et abîmées comme moi...".

Du coup, je suis repartie sans trop savoir quoi faire avec ma tarte au creux de la main mais avec un sourire aux coins des lèvres.

Debout sur le parking devant la maison de ma vieille patiente, j'ai regardé la fraise bien rouge surplombant la petite tarte aux figues et j'ai repensé à vos messages. Aux 700 messages que j'ai lu en deux jours à m'en abîmer les yeux.

"Merci 💖". Mais c'est tellement peu à côté des mots pailletés d'amour que vous m'avez envoyé. Ces messages qui m'ont fait sourire souvent, rire parfois et qui m'ont mouillés les yeux aussi...

Devant ces beaux mots je me suis sentie aussi con de vous dire "Merci !" que je l'ai été sur ce parking avec ma tarte dont je ne savais quoi faire... Sauf qu'en vous lisant je me suis délectée de chacune de vos petites tartes-mots. Je suis repue et heureuse d'avoir le cœur si plein de vous.

M💛E💙R💚C💜I

lundi 9 octobre 2017

Bon bah dans le doute...




... Je vais prélever tous les tubes !

- Hein ? Parce que ?!
- Parce que votre médecin a dû éternuer en rédigeant votre prescription vu comme c'est illisible !

Le patient a fait une moue. Celle qui lui a fait tordre sa bouche de travers pour me faire comprendre qu'il était moyennement d'accord. Moyennement d'accord avec le nombre de tubes que je préparais pour sa prise de sang. Huit. Toutes les couleurs et plus encore pour éviter le risque de recevoir un appel du laboratoire me demandant de repiquer mon patient parce que "Charline tu as oublié un tube EDTA pour doser sa VS !", mais où ? OÙ EST CE QUE C'ÉTAIT PRESCRIT BORDEL ?!

J'ai décrypté quasi toute l'ordonnance mais il restait encore deux ou trois lignes qui ressemblaient à une quinte de toux du médecin (le pauvre devait être vraiment très malade). Le dernier tube prélevé, j'ai conclu la prise de sang par un joyeux :

- Et pour votre plus grand plaisir nous allons nous revoir car vous allez devoir prélever vos selles dans des petits pots pendant 3 jours, regardez c'est noté là et puis là ! Et ça, ce sont les petits pots cadeaux. 

Sa mou tordue d'un côté s'est transformée en grimace qui avait contaminée toute sa bouche. Et puis mon patient a enfilé la dernière manche de son manteau tout en regardant les petits-pots-à-caca que j'avais posé près de sa carte vitale et les yeux plein de malice il m'a dit : "Finalement dans cette histoire, vous n'aurez pas été la seule à en chié !".
 
J'adore mes patients !

vendredi 22 septembre 2017

Et c'est reparti...



Voiture garée devant le cabinet, bisou au collègue fatigué, transmissions terminées, re-bisou pour dire " au revoir !" au collègue qui n'a qu'une envie celle d'aller se coucher, voiture démarrée... J'avoue, j'ai la flemme, je suis claquée et je traîne un peu de la mallette.
Premier virage, premier trottoir grimpé pour se garer au plus près (je vous avais dit que j'avais la flemme ?), première porte frappée, je baille un peu et premier sourire de la toute première patiente faisant écho au mien apparu comme par magie sur mes joues et qui me tire par le bras pour me montrer son parterre en fleurs... Je suis toujours claquée mais je suis contente de la revoir.

Certains diront que je suis gnangnan ou cul-cul quand je parle des gens que je soigne (je l'ai entendu) mais c'est une belle réalité : j'aime ceux dont je m'occupe, surtout les plus vieilles qui me font remarquer que les dahlias jaunes tant attendus sont en fleurs maintenant. Pour être tout à fait honnête je m'en fiche un peu mais je suis touchée de voir ma quasi-centenaire heureuse comme une gamine au milieu des fleurs...
C'est reparti pour un roulement de 7 jours non stop avec un beau coucher de soleil et une belle surprise à la clé que je vous annonce ce week-end !


lundi 4 septembre 2017

Et ce soir je trinque...





... À toi 💖.

À toi qui m'attendais sur le pas de ta porte tous les jours depuis 4 ans.
À toi qui a fait face avec courage à cette maladie qui te faisait peur.
À toi dont j'ai tenu la main il y a peu, sans te mentir, sans te dire que tout irait mieux.
À toi à qui je vais dire au revoir, pour de bon demain...

Je trinque à toi mon tout-premier-chouchou, mon patient si spécial que je ne sais plus comment qualifier, vraiment.

Et puis le cœur lourd, je trinque à la Vie que tu aimais tant. À celle qui te faisait déboucher des bouteilles de vin avec ces potes dont tu aimais t'entourer, à ce bonheur de t'avoir si souvent trouvé avant le soin dans ton garage auprès de ta bagnole de collection ou autour d'une belle table avec les tiens, les huitres, le vin blanc et cette sauce au beurre blanc que je n'ai jamais su aussi bien faire que toi. À cette vie que tu croquais avec plaisir et que tu avais tellement de peine à quitter.

Je trinque à la Vie des autres, à la vie des tiens, à la mienne aussi que je remercie chaque jour de me permettre de rencontrer des gens comme toi. Tu me manques déjà...

Je suis fière d'être ton infirmière. Même si ce soir j'ai le coeur lourd, même si ce soir je trinque... Laisse moi encore une fois parler de toi au présent, encore une fois, avant demain. Avant que je te dise au revoir, mon patient si spécial...

mardi 29 août 2017

Couper du travail et essuyer sa bouche.




- Et sinon, vous arrivez à couper avec votre travail pendant votre repos ?

C'était une question au milieu d'autres que la journaliste m'avait posé pour étayer son interview. J'ai posé ma tasse de thé, un peu embêtée par la question à laquelle je n'avais pas vraiment de réponse. Enfin si, j'en avais bien une mais je crois qu'elle ne me plaisait pas vraiment : "Je ne suis pas sûr de réussir à couper en fait...".

- ... Mais bon, continuais-je, c'est quoi en fait la définition de "couper avec le travail" ? 

D'un coup, je me suis demandée si "couper avec le travail" c'était de ne plus penser du tout à mon métier d'infirmière libérale. Ne plus y penser alors que j'avais profité de mon jour de repos pour aller déposer mes chèques à la banque en emmenant mes filles chez le coiffeur. Ne plus se prendre la tête en pensant aux papiers à traiter pour le cabinet alors que mon agenda qui pèse trois kilo et demi, gît, là sur ma table basse depuis le début de mes vacances et que j'intime mentalement d'aller se faire voir à chaque fois qu'il attire mon attention. Couper et ne pas se dire "Tiens, elle est belle la Marjolaine de Marie-Jo' cette année !" ou "Le Fushsia de Monique est superbe !" à chaque fois que je me promène dans mon jardin et que je croise les plantes accompagnées d'un écriteau aux noms de mes patients-donnateurs. Et je ne parle pas du cageot de prunes transformées en confitures offert par celui à qui j'ai injecté le dernier anticoagulant, des potirons, des tomates, des salades ou des chocolats offerts par ceux que je soigne lorsqu'ils me raccompagnent à la porte de chez eux et qui égayent les goûters et les autres repas de toute ma famille...

Couper avec le travail... Ne plus penser à ceux que je soigne et essuyer la bouche de ma fille... "Lapin ! Lapin Maman !". De son petit doigt potelé elle me montre le lapin brodé sur son bavoir rose pâle. Elle l'adore et moi tellement plus encore... 

Couper avec le travail... Et ne plus penser qu'au goûter de ma fille et puis d'un coup repenser à elle avec ce sentiment qui tape pile dans les pensées émues et joyeuses, tu sais ce ressenti bizarre qui te fait cette petite pointe au cœur lorsque tu repenses à quelqu'un que tu as aimé et perdu. Elle, celle qui est devenue une patiente-bonus, une patiente-chouchou, une patiente-Amie venue tacler sans crier gare cette relation soignant-soigné qu'on veut préserver avec une distance qu'on pense nécessaire. Avec elle, j'ai vécu le bonheur et l'enfer ponctué d'annonces joyeuses et terribles, de grossesse et de cancer, de naissance et de mort, de nausées et de thé avec toi à discuter de rien, de "Bonjour !" et de " A demain !" jusqu'à ce jour où j'ai dû te dire au revoir sans plus jamais repasser la porte de chez toi...

J'ai finit d'essuyer la bouche de ma fille et j'ai repensé à mon retour après mon congé maternité. Des semaines que je ne t'avais pas vu. Tu étais tellement mal et en même temps tellement heureuse de me revoir. Nos tasses de thé étaient posées sur la table basse et je sentais flotter dans ton salon cette odeur de pain grillé et de cire pour meuble caractéristique de cette ambiance cosy que j'aimais tant chez toi. J'étais assise à tes côtés sur le canapé, tes mains entouraient les deux miennes dans lesquelles tu avais déposé un petit cadeau emballé : un joli bavoir rose pâle sur lequel était brodé un lapin.

Couper avec le travail, je ne sais pas faire parce que j'ai l'impression qu'il me fait en partie voire toute entière parfois. Parce que je travaille auprès de personnes qui ont ce magnifique pouvoir de me rendre un peu plus différente chaque jour, et en mieux. Tout me rappelle à ce métier, comment l'oublier... Alors non, je ne sais peut-être pas couper, mais pour être honnête, je ne sais même pas ce que cela veut dire. Je suis heureuse d'être infirmière et je ne le suis pas moins d'être en repos quand bien même je pense à ceux que je n'ai plus, à ceux que je suis en train de perdre et à ceux que je ne connais pas encore mais qui changeront d'une manière ou d'une autre celle que je suis aujourd'hui.

mardi 15 août 2017

La petite mort.


Rentrer de l'hôpital et la trouver là, au sol dans mon salon, ses plumes dispersées autour d'elle... Maudire mon chat et son instinct aussi.

Ouvrir la porte de ta chambre et te trouver d'un coup si petit et fragile dans ce grand lit d'hôpital. Perdu dans ces draps qui ne sentent pas cet adoucissant qu'adore ta femme, tu sais le "fraîcheur des montagnes" dont tu t'amusais à me dire qu'il te rappelait vos vacances au ski. Et puis maudire la mort, et la vie aussi.

Tenir la fragile mésange encore tiède et souple au creux de ma main, les plumes de ses ailes prêtes à s'ouvrir, mais les yeux clos et les serres fermées.

Reposer ta main sur la couverture, me dire que c'est la dernière fois que je la sentirais aussi chaude sous ma paume et enlever de mon esprit l'image glauque de ta mort qui n'a jamais été aussi proche pourtant.

Être triste de ces Adieu et laisser exprimer mon bonheur ressenti d'avoir eu a te soigner. Ma fierté d'être ton infirmière, sans oser en parler au passé. Tes larmes que je te demande de ne pas verser en te rappelant le sourire que tu as eu en me voyant te tenir la main à ton réveil.

Tenir la presque mort sous ma paume et la bien réelle au creux de mes deux mains jointes. Deux morts fragiles qui a l'échelle de la Vie importe tellement ou tellement peu finalement...

Mon métier je l'aime et je le déteste tellement dans ces moments là, quand il me donne au fond de la gorge des goût de petites morts, des goûts de plus jamais, d'au revoir qu'on ne sait jamais conclure autrement qu'en reposant sa main sur la couverture.

vendredi 21 juillet 2017

Oh punaise!



- Ah ! Je me demandais si c'était bien vous qui veniez de vous garer devant chez moi !

Mon patient-plus-trop-patient s'est approché doucement de moi, curieux de comprendre pourquoi je me tenais accroupi devant ses fleurs avec mon portable à la main.

Une punaise des céréales (de la famille des Pentatomes), voilà pourquoi j'avais mis du temps à sonner à sa porte ! Mais j'avoue, ce n'était pas complètement vrai : j'étais accroupie avec une enveloppe bleue de la CPAM pris à la va vite dans mon agenda et le ciseau de mon sac à main pour piquer à mon patients des graines de Scabieuse (La couleur pourpre que je n'ai pas dans mon jardin) qui avait grainées sur le bitume devant chez lui... Et puis je l'ai vu : ma jolie punaise des céréales !

J'étais tombée sur la même il y a quelques jours accrochée à l'écorce de mon châtaignier. Mais elle tournait tout autour, pas décidée à se laisser photographier (sûrement une juvénile, les plus vieilles sont un peu plus dociles). Je ne pouvais pas louper cette nouvelle occasion à deux pas de la porte de celui qui attendait son injection.

Pour l'histoire, mon patient m'a avoué détester ces insectes mais quand je lui ai montré la photo il a avoué qu'elle était vraiment toute belle cette punaise et qu'il avait bien fait de ne pas désherber son parterre... Et moi, j'ai le sentiment d'avoir doublement gagné ma journée !

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La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...