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vendredi 22 avril 2016

Le paradoxe du soin (et la maman tortue).





- Vous pourriez le remplir pour moi s’il vous plait ?

Le chèque plié en quatre et sorti de la poche de jean était brandi à bout de bras par une main tremblante. L’homme d’une cinquantaine d’année redescendait sa manche de chemise en faisant attention de ne pas décoller le pansement que je lui avais collé au pli du coude. Je venais de lui faire une prise de sang, un bilan hépatique nécessaire au vu de l’odeur qu’il dégageait : celle de l’alcool macéré par un foie fatigué et qui laissait transpirer par tous les pores de la peau cette senteur désagréable qui se mêlait à celle de l’après rasage. 

- Vous avez pris votre petit-déjeuner ? : « J’ai pas bu mon café non… ».

Alors que j'étais en train de remplir le bon du labo, j'ai relevé la tête vers lui et j’ai vu ses yeux se détourner de moi pour se poser sur ses mains. Elles étaient jointes nerveusement, pour ne pas trembler. Il a regardé par la fenêtre et j’ai vu la couleur violacée de la peau tirée de son cou et la couperose qui remontait jusqu’à ses joues. Il a soufflé un peu, pas trop. Juste ce qu’il faut d’exaspération et de fatigue pour me faire comprendre qu’il me mentait, ou pas vraiment, juste que je n’avais pas posé la bonne question : 

- ... Et il vous faut combien de verres le matin pour réussir à démarrer la journée ? : « ... Deux Ricard. J’ai pris deux Ricard… ».
 
Je l’ai remercié pour son honnêteté. Il a eu ce petit rire soufflé par les narines, ce haussement de tête qui veut dire « Tu parles ! ». Je lui ai dis que je n’étais pas là pour le juger et qu’oser en parler était une preuve de confiance qu’il m’accordait et je l’en ai remercié.

J’ai rempli le chèque et je lui ai fais vérifier le montant : 6€08. Il s'est penché vers moi pour relire ce que j'avais écris, l’odeur d’alcool était forte. J’avais l’impression qu’elle remplissait chaque centimètre carré de mon cabinet, qu’elle se collait à mes vêtements, à mes cheveux, à ma peau… J’ai eu la nausée sans pour autant laisser transparaitre ma gêne. J’ai avalé ma salive et j’ai serré les dents. Mon haleine cétonique trahissait ma faim et mon ventre s’est serré en faisant ce bruit de vide, comme pour me rappeler que je n’avais pas eu le temps de boire quoi que ce soit ce matin : « Vous non plus vous n’avez pas pris votre café ! ». C'est ça, toi tu as bu alors que tu n'aurais pas dû, et moi j'ai rien avalé alors que j'aurais vraiment dû.

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...