mardi 4 juin 2019

Tout va bien madame la Ministre




- Tout va bien madame la Ministre !


C’est certainement ce que vous aimeriez entendre dans nos bouches de soignants madame Buzyn ? Parce que c’est vraiment l’impression que j’ai eu en vous écoutant intervenir ce matin sur France Inter dans l’émission de Nicolas Demorand. Vous faisiez suite à la grève inédite de Lariboisière (le personnel des urgences s’est mis en arrêt maladie) en expliquant que « ça n’était pas bien ». Pas bien d’avoir ajouté du travail aux autres (à ceux qui ont dû gérer les patients déplacés vers d’autres hôpitaux ou services) sans même vous poser la question du pourquoi les soignants de ce service d’urgence en étaient arrivés à cet extrême là : se mettre en arrêt pour faire entendre qu’ils étaient malade de soigner. 

« Il faut surtout lui redonner de l’espoir… »

Ça, ce sont vos mots pour essayer de rassurer ce papa inquiet qui appelait la radio pour vous parler du cas de sa fille, infirmière. Sans vous voir, je vous ai senti vous crisper. Les infirmières, encore… Ce père vous explique que sa fille de 23 ans, diplômée depuis seulement un an, est épuisée. Épuisée de parfois devoir faire trois heures supplémentaires, parce que dans son service elles ne sont que deux infirmières alors qu'elles devraient être trois ou quatre, que sa fille ne rentre qu’à minuit chez elle et qu'elle est si mal de ses conditions de travail qu’elle ne peut plus dormir sans somnifères. Après avoir passée trois ans à apprendre un métier et seulement un an à le pratiquer elle est au bord du burn-out. Pas parce qu'elle n'aime pas son travail d'infirmière non, parce qu'elle n'aime pas les conditions dans lesquelles elle l'exerce. Et là, j’ai tendu l’oreille. Par la fenêtre déjà, parce que la patiente qui m'attendait, aussi adorable soit-elle, déteste tellement mes retards qu’elle me dit que je suis « en avance » quand je suis à l’heure. J’ai tendu l'oreille pour écouter ce que vous alliez répondre à ce papa très inquiet qui aurait finalement pu être le mien :

- Et il faut surtout lui redonner de l’espoir… 

C’est beau, mais on veut pas de l'espoir, on veut juste pouvoir bien soigner nos patients.... Avant d’enchaîner sur un « il y a tout un champ de possibilités ! » tel un beau slogan pour nous faire bouffer des gâteaux à nous en étouffer. Oui, j'ai toussé parce que vous n’offrez à ce papa qu’une solution pour sa fille :  bouger. Bouger vers le libéral (mais en oubliant de dire qu’il faut travailler 2 ans et demi à temps plein en structure avant et qu’on ne s’installe pas en claquant des doigts), vers les PMI (sans penser à préciser qu’il faut avant un diplôme universitaire pour devenir infirmière puer’ ou un gros bagage d’expériences impossible à acquérir en sortie de diplôme si on veut y intégrer un poste d’IDE « classique ») ou vers les nouvelles IPA (Infirmières en Pratiques Avancées dont les premières débutent tout juste leur formation sans savoir à quelle sauce elles vont être mangées). La réponse que vous avez donné à ce papa était en gros (je vous résume hein, parce que vous semblez avoir des difficultés à exprimer vos idées) : « Si votre fille infirmière n’est pas contente de ses conditions de travail à l’hôpital et bien, qu’elle s’en aille ! Y’en aura bien d’autres pour la remplacer... ». 

Ce discours là madame la Ministre, vous ne l’avez pas inventé. Je suis désolée pour vous, mais vous n’êtes pas très originale. Vos prédécesseurs nous l’avaient soufflé bien avant vous. J’ai moi-même fait partie de celles qui n’en pouvaient plus et qui ont quitté l’hôpital en espérant que quelqu’un de bien prendrait ma place… Si tant est que mon départ soit remplacé, ce qui n’est pas toujours le cas, vous le savez bien. Je suis fatiguée de tant de condescendance de votre part. Pourtant, j’ai eu espoir à votre arrivée au Gouvernement. Sans vous connaitre au départ je me suis dit « Tiens, un médecin Ministre ! On va peut-être ENFIN être entendu… ». Bon j’ai aussi cru qu’il me suffisait de mettre mes cours de l’école d'infirmière sous mon oreiller pour les apprendre, que je gagnerais une fois libérale plus du SMIC pour aider mes patients à rester propre chez eux et que j’arriverai à terminer un mois de soins sans avoir un seul rejet de la CPAM… Il faut croire que je suis trop naïve.

Et puis, je vous entendais sourire dans ma radio ce matin, comme vous le faites souvent. Et ça m'a agacé. C’est con, parce que moi je souris beaucoup au travail et généralement je sens que ça fait du bien à mes patients (même à ceux qui gardent leurs sourires au fond d’eux-même vous voyez). Mais vous, quand vous souriez en disant qu’utiliser les arrêts maladie pour faire entendre un mal-être c’est mal, quand vous souriez à un papa en disant qu’il y a tout un champ de possibilités à sa fille sous somnifère pour se barrer de son service, quand vous souriez en affirmant que votre loi santé vise à améliorer les conditions de travail à l’hôpital alors que nous, soignant, savons que c’est faux… Moi, ça me fait perdre mon sourire. Vos sourires n’apportent aucune douceur à vos propos, ils ne font qu’augmenter l’agacement des soignants qui ont l’impression d’être pris pour des cons.

Vous savez hier soir, je lisais un mail que j'ai reçu sur mon blog. C'était une étudiante infirmière qui me disait "je suis totalement dégoûtée du métier...". Elle avait alerté ses formateurs en leur parlant de ses conditions d'encadrement et des conditions de travail qui l'inquiétaient. Elle n'a eu comme réponse qu'un "il faut t'y habituer et si tu n'arrives pas à faire face à ça maintenant c'est peut être que le métier n'est pas fait pour toi". J'étais peinée et embêtée hier soir parce que je n'ai pas su quoi lui répondre. J'avais envie de lui dire que les vrais soins ce n'était pas ça et que non, nous n'étions pas en train de créer une génération de soignants blasés dès l'école, prêt à tout encaisser pour pouvoir soigner.

Vous avez créé une génération d’infirmières cassées, parfois trop épuisées pour oser partir soigner ailleurs pour tenter de recommencer en mieux alors qu’elles ont connu le pire. Vous persistez à ne pas écouter ceux qui soignent par défaut et par dépit parce que vous ne nous donnez pas les moyens de bien soigner. Vous êtes la conséquence de tout ça. Vous aurez beau accusez les gouvernements précédents d’avoir mal fait. Vous êtes la Ministre de la Santé que j’ai écouté ce matin dans ma voiture et vous n’avez fait que m'exaspérer davantage. Je suis triste pour mes collègues de service de voir que leurs  mauvaises conditions de travail restent si peu considérées. Je suis dépitée pour les patients que je récupère en bout de chaîne à domicile et qui pâtissent des mauvaises conditions de soins que vous maintenez en place. Non, rien ne va bien Madame la Ministre.

Alors, au lieu de sourire et de nous expliquer qu’on peut aussi partir si nos conditions de travail ne nous conviennent pas : donnez-nous les moyens de rester et arrêtez de nous donner des raisons de nous barrer !


La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...