- Et sinon, vous arrivez à couper avec votre travail pendant votre repos ?
C'était une question au milieu d'autres que la journaliste m'avait posé pour étayer son interview. J'ai posé ma tasse de thé, un peu embêtée par la question à laquelle je n'avais pas vraiment de réponse. Enfin si, j'en avais bien une mais je crois qu'elle ne me plaisait pas vraiment : "Je ne suis pas sûr de réussir à couper en fait...".
- ... Mais bon, continuais-je, c'est quoi en fait la définition de "couper avec le travail" ?
D'un coup, je me suis demandée si "couper avec le travail" c'était de ne plus penser du tout à mon métier d'infirmière libérale. Ne plus y penser alors que j'avais profité de mon jour de repos pour aller déposer mes chèques à la banque en emmenant mes filles chez le coiffeur. Ne plus se prendre la tête en pensant aux papiers à traiter pour le cabinet alors que mon agenda qui pèse trois kilo et demi, gît, là sur ma table basse depuis le début de mes vacances et que j'intime mentalement d'aller se faire voir à chaque fois qu'il attire mon attention. Couper et ne pas se dire "Tiens, elle est belle la Marjolaine de Marie-Jo' cette année !" ou "Le Fushsia de Monique est superbe !" à chaque fois que je me promène dans mon jardin et que je croise les plantes accompagnées d'un écriteau aux noms de mes patients-donnateurs. Et je ne parle pas du cageot de prunes transformées en confitures offert par celui à qui j'ai injecté le dernier anticoagulant, des potirons, des tomates, des salades ou des chocolats offerts par ceux que je soigne lorsqu'ils me raccompagnent à la porte de chez eux et qui égayent les goûters et les autres repas de toute ma famille...
Couper avec le travail... Ne plus penser à ceux que je soigne et essuyer la bouche de ma fille... "Lapin ! Lapin Maman !". De son petit doigt potelé elle me montre le lapin brodé sur son bavoir rose pâle. Elle l'adore et moi tellement plus encore...
Couper avec le travail... Et ne plus penser qu'au goûter de ma fille et puis d'un coup repenser à elle avec ce sentiment qui tape pile dans les pensées émues et joyeuses, tu sais ce ressenti bizarre qui te fait cette petite pointe au cœur lorsque tu repenses à quelqu'un que tu as aimé et perdu. Elle, celle qui est devenue une patiente-bonus, une patiente-chouchou, une patiente-Amie venue tacler sans crier gare cette relation soignant-soigné qu'on veut préserver avec une distance qu'on pense nécessaire. Avec elle, j'ai vécu le bonheur et l'enfer ponctué d'annonces joyeuses et terribles, de grossesse et de cancer, de naissance et de mort, de nausées et de thé avec toi à discuter de rien, de "Bonjour !" et de " A demain !" jusqu'à ce jour où j'ai dû te dire au revoir sans plus jamais repasser la porte de chez toi...
Couper avec le travail... Et ne plus penser qu'au goûter de ma fille et puis d'un coup repenser à elle avec ce sentiment qui tape pile dans les pensées émues et joyeuses, tu sais ce ressenti bizarre qui te fait cette petite pointe au cœur lorsque tu repenses à quelqu'un que tu as aimé et perdu. Elle, celle qui est devenue une patiente-bonus, une patiente-chouchou, une patiente-Amie venue tacler sans crier gare cette relation soignant-soigné qu'on veut préserver avec une distance qu'on pense nécessaire. Avec elle, j'ai vécu le bonheur et l'enfer ponctué d'annonces joyeuses et terribles, de grossesse et de cancer, de naissance et de mort, de nausées et de thé avec toi à discuter de rien, de "Bonjour !" et de " A demain !" jusqu'à ce jour où j'ai dû te dire au revoir sans plus jamais repasser la porte de chez toi...
J'ai finit d'essuyer la bouche de ma fille et j'ai repensé à mon retour après mon congé maternité. Des semaines que je ne t'avais pas vu. Tu étais tellement mal et en même temps tellement
heureuse de me revoir. Nos tasses de thé étaient posées sur la table basse et je sentais flotter dans ton salon cette odeur de pain grillé et de cire pour meuble caractéristique de cette ambiance cosy que j'aimais tant chez toi. J'étais assise à tes côtés sur le canapé, tes mains entouraient les deux miennes dans lesquelles tu avais déposé un petit cadeau emballé : un joli bavoir rose pâle sur lequel était brodé un lapin.
Couper avec le travail, je ne sais pas faire parce que j'ai l'impression qu'il me fait en partie voire toute entière parfois. Parce que je travaille auprès de personnes qui ont ce magnifique pouvoir de me rendre un peu plus différente chaque jour, et en mieux. Tout me rappelle à ce métier, comment l'oublier... Alors non, je ne sais peut-être pas couper, mais pour être honnête, je ne sais même pas ce que cela veut dire. Je suis heureuse d'être infirmière et je ne le suis pas moins d'être en repos quand bien même je pense à ceux que je n'ai plus, à ceux que je suis en train de perdre et à ceux que je ne connais pas encore mais qui changeront d'une manière ou d'une autre celle que je suis aujourd'hui.
Couper avec le travail, je ne sais pas faire parce que j'ai l'impression qu'il me fait en partie voire toute entière parfois. Parce que je travaille auprès de personnes qui ont ce magnifique pouvoir de me rendre un peu plus différente chaque jour, et en mieux. Tout me rappelle à ce métier, comment l'oublier... Alors non, je ne sais peut-être pas couper, mais pour être honnête, je ne sais même pas ce que cela veut dire. Je suis heureuse d'être infirmière et je ne le suis pas moins d'être en repos quand bien même je pense à ceux que je n'ai plus, à ceux que je suis en train de perdre et à ceux que je ne connais pas encore mais qui changeront d'une manière ou d'une autre celle que je suis aujourd'hui.