Elle est adossée au mur bleu ciel de sa
chambre avec la tête légèrement relevée vers le plafond et son visage est éclairé
par le spot fixé au dessus d’elle. A la regarder ainsi éclairée par cette
lumière blanche en contre plongé, on croirait voir une icône figée dans un cadre. Qu’elle est belle.
Les yeux embués de larmes, la
lèvre du bas pincée entre ses dents, elle regarde son plafond blanc comme pour
permettre à ses yeux fatigués de ne plus fixer. Cette femme vient d’apprendre
que son cancer du sein récidivait. Alors qu’une décennie sans rechute lui
redonnait l’espoir d’une réelle guérison, elle se retrouvait en quelque sorte au
pied du mur. Encore une fois. Et elle craque.
Elle pleure, les épaules secouées par des sanglots. Elle renifle, s'essuyant le nez et les yeux avec son mouchoir en papier trempé. Et elle se tait. Ce long silence est inhabituel, mais nécessaire pour faire le point. Je laisse faire. Je la laisse ne rien me dire. Restant à ses côtés, pas trop proche, pas trop loin. Être là simplement, et ne rien dire. C’est peut être ce qui est le plus difficile finalement dans cette prise en charge.
Elle pleure, les épaules secouées par des sanglots. Elle renifle, s'essuyant le nez et les yeux avec son mouchoir en papier trempé. Et elle se tait. Ce long silence est inhabituel, mais nécessaire pour faire le point. Je laisse faire. Je la laisse ne rien me dire. Restant à ses côtés, pas trop proche, pas trop loin. Être là simplement, et ne rien dire. C’est peut être ce qui est le plus difficile finalement dans cette prise en charge.
Ne pas tenter des phrases maladroites qui résonneront à jamais dans
son esprit, et ne pas essayer à tout prix de rassurer, car la situation ne s’y prête pas.
« Un silence bien placé vaut mieux qu’une phrase déplacée » est devenu une sorte de mantra pour moi depuis qu'il m'avait été confié par cette infirmière de soins palliatifs alors que j'étais encore étudiante.
D’un revers de main elle essuie une larme, et me sourit pour me signaler que c’est passé. Je souris à mon tour, la bouche un peu de travers, faisant apparaitre ma fossette. C’est mon sourire « y’a pas de soucis, y’a pas de mal, y’a pas de quoi ! ». Le genre de mimique empathique qui doit certainement me donner un drôle d’air.
D’un revers de main elle essuie une larme, et me sourit pour me signaler que c’est passé. Je souris à mon tour, la bouche un peu de travers, faisant apparaitre ma fossette. C’est mon sourire « y’a pas de soucis, y’a pas de mal, y’a pas de quoi ! ». Le genre de mimique empathique qui doit certainement me donner un drôle d’air.
Sa chambre bleue c’est un peu sa
soupape de sécurité. L’endroit où elle peut craquer librement face à une tierce
personne qui n’aura pas le regard d’un proche inquiet. Mère de deux belles
jeunes filles, et mariée à un homme qu’elle regarde comme au premier jour,
cette femme au petit gabarit est du genre tenace. Et lorsqu’on a le besoin de
contrôler sa vie, le besoin d’agir et de se montrer toujours aussi volontaire,
c’est d’autant plus difficile d’accepter de craquer, surtout devant vos proches
qui espèrent lire dans vos yeux que ça va aller. Devoir être patiente et
espérer que le sein cicatrise et arrête de couler, attendre les résultats des
examens complémentaires qui détermineront si la situation est plus grave qu’on le pense. Trouver les ressources pour combattre, encore une fois, ce cancer, en
sachant d'expérience qu’il va être pénible et douloureux.
Cette femme est une combattante qui va devoir se battre contre son propre corps, encore une fois.
Cette femme est une combattante qui va devoir se battre contre son propre corps, encore une fois.
La première fois que je l’ai vu,
j’ai eu l’impression d’être face à une petite amazone prête à en découdre
malgré la fatigue qui lui creusait le regard et la douleur qui la pliait en
deux. Cette femme est l’incarnation même de la force fragile et un savant
mélange de puissance et de vulnérabilité.
Ce jour là, en la regardant fixer le plafond comme si elle se demandait comment elle allait bien pouvoir débuter son combat contre son deuxième cancer du sein, j'ai eu d'elle la projection d'une image un peu folle. Celle d'une plume vacillant au gré des vents, tentant tant bien que mal de garder le cap. C’est très imagé, mais c’est l’idée que je me suis faite de son combat, et de la prise en charge que j’allais devoir mettre en place : l’aider à y voir clair, l’accompagner afin qu’elle ne quitte pas sa voie, et lui faire comprendre que la fragilité n’est pas un fardeau.
Ce jour là, en la regardant fixer le plafond comme si elle se demandait comment elle allait bien pouvoir débuter son combat contre son deuxième cancer du sein, j'ai eu d'elle la projection d'une image un peu folle. Celle d'une plume vacillant au gré des vents, tentant tant bien que mal de garder le cap. C’est très imagé, mais c’est l’idée que je me suis faite de son combat, et de la prise en charge que j’allais devoir mettre en place : l’aider à y voir clair, l’accompagner afin qu’elle ne quitte pas sa voie, et lui faire comprendre que la fragilité n’est pas un fardeau.
Il y a des jours où une plume
semble vaciller sous son propre poids, mais où le soutien de toute une aile
lui permettra d'avancer droit.
[ illustration de la peintre Amy Judd ]