Il y a des récits plus difficiles
à écrire que d’autres. Parce que je ne sais pas par où commencer. Parce que je
ne vois pas comment raconter, sans attrister, et sans choquer. Il y a des
journées vraiment difficiles à raconter.
J’étais réticente à l’idée
d’écrire cette histoire, mais le besoin de mettre en avant ces gens, ces
patients, toutes ces personnes qui luttent au jour le jour contre la maladie,
me pousse à rendre hommage à tous ces combattants, en écrivant. J’avais aussi
besoin de vider mon sac, mais pas n’importe comment… Il m’a fallu du temps. Par où commencer,
comment raconter ?
…
- Monsieur, c’est l’infirmière,
pourriez vous vous arranger pour finir plus tôt votre travail ? Je trouve
votre femme extrêmement fatiguée… Elle ne va pas bien…
Avant d’appeler le mari de ma patiente, j’étais restée le regard figé sur mon portable, me demandant comment cette journée, qui avait bien commencée, avait pu virer si mal. Pendant plusieurs minutes je tentais de trouver la phrase la plus adaptée pour lui annoncer que sa femme se dégradait... Cette foutu phrase qui allait résonner longtemps dans sa tête. Devant mon manque cruel d’idée, j’avais même tenté des phrases cultes de film, mais elles étaient toutes aussi pathétiques et bêtes. J’avais alors opté pour le simple sous-entendu, les points de suspension, audibles par des silences, devraient suffirent à lui faire comprendre que la situation semblait grave…
Avant d’appeler le mari de ma patiente, j’étais restée le regard figé sur mon portable, me demandant comment cette journée, qui avait bien commencée, avait pu virer si mal. Pendant plusieurs minutes je tentais de trouver la phrase la plus adaptée pour lui annoncer que sa femme se dégradait... Cette foutu phrase qui allait résonner longtemps dans sa tête. Devant mon manque cruel d’idée, j’avais même tenté des phrases cultes de film, mais elles étaient toutes aussi pathétiques et bêtes. J’avais alors opté pour le simple sous-entendu, les points de suspension, audibles par des silences, devraient suffirent à lui faire comprendre que la situation semblait grave…
Et puis, si je me trompais ? Elle était peut être
simplement fatiguée…
Mais je connaissais très bien cette
dame dont je m’occupais depuis des mois. Je l’accompagnais au mieux vers sa fin
de vie, tous les jours, matin, midi et soir. Et j’avais ce sale pressentiment
qui ne m’avait jamais trahi. Je la sentais au plus mal et j’avais cette petite
pointe dans le plexus qui me disait que quelque chose ne tournait pas rond. Je
devais au plus vite réadapter ma prise en charge, et cela passait par de
nombreux coups de fil : médecin traitant, pharmacie, centre de lutte
contre le cancer où elle était suivie.
Mais à chacun appel, je me sentais un peu plus abandonnée : « Je n’ai pas le temps, je ne pourrais venir la voir que demain matin ! », « Il faut que je passe commande des morphiniques, je n’aurais les traitements que demain ! », « Nous n’avons plus de place, si elle devait se faire hospitaliser, se serait sur un brancard aux urgences ! ». La fatigue et le stress cumulés au sentiment d’impuissance que je ressentais, me donnaient envie de pleurer.
Mais son mari venait de rentrer, et je devais faire le point avec lui et lui montrer, avec calme, qu’il pouvait compter sur moi. Il a été très clair et a reformulé son souhait : pas d’hospitalisation. J’allais devoir faire des pieds et des mains pour motiver le médecin à venir la voir dans la journée, pour me donner les moyens de la soulager rapidement.
Mais à chacun appel, je me sentais un peu plus abandonnée : « Je n’ai pas le temps, je ne pourrais venir la voir que demain matin ! », « Il faut que je passe commande des morphiniques, je n’aurais les traitements que demain ! », « Nous n’avons plus de place, si elle devait se faire hospitaliser, se serait sur un brancard aux urgences ! ». La fatigue et le stress cumulés au sentiment d’impuissance que je ressentais, me donnaient envie de pleurer.
Mais son mari venait de rentrer, et je devais faire le point avec lui et lui montrer, avec calme, qu’il pouvait compter sur moi. Il a été très clair et a reformulé son souhait : pas d’hospitalisation. J’allais devoir faire des pieds et des mains pour motiver le médecin à venir la voir dans la journée, pour me donner les moyens de la soulager rapidement.
Ce n’est que quelques heures plus
tard que j’ai compris que la situation m’échappait.
A genoux dans son lit, ma main
serrant la sienne, ma voix tentait de calmer sa respiration saccadée. Ses yeux
fixaient les miens, elle ne me lâchait pas du regard. Il était tellement serein
ce regard, au vu de la situation, ça en était dingue ! J’avais dû mettre
des serviettes sous moi pour ne pas me tâcher de sang. Nous utilisions ce que
nous avions sous la main pour éponger l’hémorragie qui s’échappait par sa
bouche… Les pompiers l’avaient installée allongée sur le côté, elle était calme.
J’essuyais sa joue avec une lingette et lui disait combien elle était forte et
courageuse. Je lui caressais la main en lui expliquant tout ce qu’on lui
faisait. Prise de tension, saturation, aspiration…
Il est des moments dans la vie où
l’espace d’une seconde vous parait durer une éternité. Cette seconde spéciale
où vous savez que quelque chose d’important est en train de se jouer, quelque
chose qui changera à jamais votre vision de la vie. Cette seconde, je l’ai vécu
ce vendredi là.
Ma voix était calme et douce et le
"bip-bip" du scop’ rythmait le silence qui enveloppait chacune des personnes présentes. L’arrivée du SAMU semblait à peine relancer le temps qui semblait
s’être arrêté à la porte de sa chambre. Tout le monde était serein, y compris
ma patiente dont le regard toujours fixé au mien semblait me dire « Regarde
moi, ça va aller, ne t’en fait pas ! ». A se demander qui soutenait l’autre
dans l’épreuve. Le SAMU a décidé de l’hospitaliser en accord avec le mari,
traumatisé à l’idée de devoir revivre cette épreuve à la maison.
Le SAMU refermait le camion de pompier, le mari se tenait
auprès de sa femme, et je me trouvais seule dans l’entrée, les mains derrière
la tête, défoncée au stress et épuisée d’avoir dû rester calme alors que mes
jambes m’ordonnaient de me barrer en courant. Je respirais à fond trois fois,
ma façon à moi de me canaliser. A chacune des inspirations lentes censée me calmer, je sentais monter en moi une boule de douleurs et de pleurs que je n'arrivais plus à maitriser. Le médecin du SAMU l’a vu et s’est avancé vers
moi :
- Ça va aller ?
Non, ça n’a pas été. Un peu plus
tard, à la retombée de l’adrénaline et en repensant à ce que je venais de
vivre, j’ai pleuré dans ma voiture, pour la première fois depuis mon
installation. J’ai pleuré parce que je ne pensais pas que ça se terminerait
comme ça, les mains recouvertes du sang de ma patiente. Parce que j’étais en
colère contre le médecin traitant qui avait finit par m’envoyer paitre devant
mes nombreux coups de fil. Contre le médecin du centre qui m'avait répondu " Mais que voulez vous que je fasse pour vous ?!", alors que je n'attendais rien pour moi, mais qu'ils fassent tout pour elle... J’ai pleuré parce que je ne comprenais pas qu’on
envisage de laisser mourir les gens sur des brancards. Parce que la vie ce n'est pas ça, parce que la mort ne devrait pas approcher comme ça. J’ai pleuré de cette
vision d’horreur et de ce regard, ce regard… J’ai pleuré parce qu’à domicile on
se sent parfois seule, dans sa voiture.
- Franchement, au vu des moyens que vous aviez, vous avez
fait du très bon boulot, en devant gérer le non-professionnalisme de beaucoup
trop de monde ! Merci pour elle...
Je ne savais pas si j’avais été une bonne soignante, alors,
que depuis des jours, je me démenais pour cette patiente en me donnant
l’impression de ne pas être soutenue. J'ai passé la première, et je me suis dirigée vers le patient suivant, un peu amère, franchement triste, et complètement vidée. Mais alors que je commençais à douter de mes
aptitudes à accompagner convenablement mes patients en fin de vie, cette phrase
m’a permis de me relancer en me donnant envie de continuer à soigner.
Il y a des jours qui n’auraient
jamais dû débuter, mais sans lesquels la seconde d’éternité ne nous aurait pas
permis de comprendre, que parfois un regard peut tout changer.
[photo : par LaRoseDePetitPrince : http://larosedepetitprince.deviantart.com/art/Le-papillon-de-mort-165286365 ]