vendredi 4 avril 2014

On dit " Au revoir " et où on s’entend dire " Adieu ".






- au revoir Monsieur ! Je vous laisse entre les mains de mon collègue pour la semaine, reposez vous bien, on se revoit la semaine prochaine.

En lui serrant la main, je me suis écouté lui parler et ce que j’ai entendu c’est : "je ne vous reverrai pas, vous serez certainement mort, je vous ai dis ça pour ne pas vous inquiéter.". J’ai remis sa main sous la couverture chaude et ai posé la mienne sur son épaule en lui souriant. J’ai trouvé ça horriblement cliché et je me suis demandé si mon trop plein d’empathie lui avait mis la puce à l’oreille. Mais il s’était déjà endormi. La tête légèrement penchée sur le côté, il était serein, laissant une femme plantée là, au pied du lit, bourrée d’angoisse à l’idée de voir mourir son amour. Elle avait compris ce que signifiait cette main sur l’épaule et ce sourire empathique qui pu la mort :
- je vois bien ce qu’il se passe, je sais bien qu’il est en train de mourir, mais je ne veux pas qu’il aille à l’hôpital, je veux que vous continuiez à vous en occuper. Je veux qu’il meure à la maison.

Je ne lui ai pas répondu que la prise en charge devenait de plus en plus lourde. Que physiquement on se cassait le dos à aider son mari à faire fonctionner ses muscles ankylosés, à soigner ses escarres et à l’aider à conserver sa dignité. Que moralement on s’investissait beaucoup pour porter ce couple à bout de bras, pour les aider à affronter "le pire" maintenant que "le meilleur" était derrière eux.

Je lui ai répondu "Ok, on sera là et on ne vous lâchera pas" et ai espéré de tout cœur pouvoir tenir ma promesse.

Je suis épuisée. Quand j’étais à l’hôpital, dans le service de soins palliatifs où je travaillais avant, l’accompagnement de fin de vie était différent. L’équipe était assez grande pour que le patient et la famille ne se reposent pas uniquement sur une infirmière. On ne travaillait pas plus de quatre jours à suivre ce qui me permettait de "couper" avec le service quand les prises en charges devenait lourdes, voire à passer la main et à changer de couloir si s’occuper des certains patients semblait trop difficile. En service, une fois que tu as terminé ton soin, tu fermes la porte de la chambre numérotée, et tu retournes dans le couloir où tu retrouves tes collègues.

Au domicile, en toute intimité, au sein d’un foyer et d’une famille, tu partages des moments de vie, des joies, des peurs, des larmes, parfois matin, midi et soir. Pendant toute une semaine tu es l’unique référent en cas de besoin, en cas d’angoisse. Tout est plus intense, tout est amplifié car il n’y a pas de retenu : tu es chez eux, les patients se livrent, les familles se lâchent. Au domicile, quand tu fermes la porte d’une maison, tu te fais raccompagner à ta voiture par un proche suivi du chien, et tu claques ta portière en respirant à fond, te mettant en mode "reset" pour épargner à ton prochain patient ta fatigue ou une humeur qui ne lui serait pas adaptée. 
Mettre de côté ce moment difficile d’impuissance et de tristesse et penser au patient suivant qui n’a pas conscience de ce qui se passe dans la maison à l’autre bout du bourg, et qui te reprochera ton retard, mais pas ton sourire qui lui, sera toujours présent.

Aujourd’hui je suis fatiguée, j’ai l’impression que ma journée a duré deux jours. Et je me sens impuissante. "Je me blinde !", voilà ce qu’avait répondu une "vieille infirmière" alors, qu’encore étudiante, je lui avais demandé comment elle affrontait la mort de ses patients. J’ai fais le choix depuis le départ de ne pas me blinder, de faire fonctionner à plein mon empathie et d’accompagner au mieux mes patients vers leur mort. Mais ma façon de soigner fait-elle de moi une bonne soignante ? Est-ce que je m’y prends bien ? J’essaie de me poser les bonnes questions, pour trouver les meilleures réponses. 
Mais parfois, malgré tout, il n’y a aucune autre réponse que : c’est la vie, c’est la mort, c’est comme ça.

Il y a des jours où on doit laisser aller les choses, dire "au revoir" et sourire, toujours sourire.

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...