Je sais pas si c’est la saison, l’hiver qui n’a que trop
duré, les effets de la lune lorsqu’elle est pleine ou bien encore la fameuse
crise nationale qui mettrait à mal le porte monnaie et le moral de ceux qui le
remplissent, mais en ce moment, les patients semblent davantage se plaindre. Je me
dois alors d’avoir, dès le matin, l’oreille aiguisée prête à écouter les
confidences de mes patients, voire à creuser si besoin. Et alors que la seule
chose que je voudrais creuser c’est un trou pour y enterrer mon réveil, je compte
sur la radio censée capter mon attention et sur le thé chaud de mon thermos
pour me maintenir éveillé.
Mais parfois, les maux sont aussi subtils que les mots, et
il faut savoir écouter naïvement pour comprendre que quelque chose ne va pas.
C’est ainsi que j’ai senti en arrivant chez la petite mamie
que quelque chose la chafouinait. Elle est du genre introverti, sauvage presque,
et dur au mal. Je la connais bien, je m’y rends tous les jours depuis des mois
et elle ne s’est jamais plainte. Née d’une génération où les gens n’ont pas
appris à exprimer ce qu’ils ont dans le cœur, des gens qui parfois n’ont
simplement pas les mots parce que le vocabulaire manque.
Parce que c’est comme
ça, on ne dit rien. Alors quand elle se plaint de céphalées, j’insiste un peu,
en douceur, pour ne pas la bloquer : « oui, non, c’est vrai j’ai mal
dormi cette nuit… je ne sais pas pourquoi… non… oui, c’est vrai que j’ai eu mal
au crâne toute la nuit… non non pourtant tout va bien…bon… c’est vrai… ma fille
est hospitalisée et bon bin ça m’inquiète un peu même si elle est grande parce
que si ça se trouve c’est le cancer … comme mon mari (qui en est
décédé)». Voilà. S’en est suivi une tirade pleine des inquiétudes qui l’avaient
empêché de dormir la nuit dernière. La peur d’une mère âgée, de voir sa fille
devenir plus malade qu’elle. Et peu importe l’âge : ca n’est pas juste et
ça inquiète. De quoi se prendre la tête au point d’en avoir mal.
Je suis fascinée par la somatisation et par le vocabulaire
utilisé pour en décrire les symptômes. Alors on peut se tromper, mais au risque
de passer à côté de quelque chose d’important, ça vaut le coup de s’interroger
quand un patient se plaint de mots de tête. Et vous seriez étonnés du nombre d’expressions
imageant la somatisation. « Je prends sur moi, ca me pèse, j’en ai plein
le dos » : douleurs dans les épaules, douleurs dorsales, « je
garde tout » : constipation, « ça me gonfle » :
ballonnements, « ça ne passe pas, ça reste en travers » : maux
de gorge, «je ne veux pas voir les choses en face » : migraines
ophtalmiques, « ça me prend aux tripes » : douleurs abdominales…
un mal, des mots et j’en passe !
Il y a des jours où on aurait tord de se limiter à écouter
les maux alors que ce qui sort d’une bouche vaut parfois bien plus qu’un long
diagnostique !