- Oui bonjour, c’est encore l’infirmière ! Je me permettais de laisser sur votre répondeur ce sixième message afin de vous demander à nouveau de bien vouloir me régler encore une fois les quarante euros que vous me deviez il y a déjà plusieurs mois… Le temps passe vite hein !
Manque
de bol pour le mec, en ce moment l'activité est calme. Très calme. Du coup, j'ai tout mon temps pour me lancer dans un harcèlement téléphonique. Mon
compte en banque joue les grandes marées, mais version
descendante. Mon activité serait en quelque sorte les vagues qui se retirent de plus en
plus loin et les petits coquillages sur le sable mes revenus que les mouettes (mes
charges) viennent bouffer coûte que coûte, même si il n'y en a plus
beaucoup...
Alors
moi, armée de mes magnifiques méduses transparentes et de ma pelle en
plastique, j'arpente la plage de mes soins et je fouille le sol à la
recherche des coquillages qui n'auraient pas encore montré le bout de
leur nez. La chasse aux trésors est ouverte : délogeons les bigorneaux !
J’ai bien tenté de le contacter
sur son fix mais sa ligne était suspendue, dommage. Je me suis déplacée à son domicile,
mais il a refusé de m’ouvrir sa porte, comme c'est dommage. J’ai facturé les soins avec sa carte vitale dès la fin de la prise en
charge ce qui veut dire qu’il a été remboursé depuis belle lurette pour des
soins qu’il n’a du coup, même pas payé : « Je
vous déposerais le chèque dans votre boite aux lettres dès demain ! ».
Et demain matin et bien, c’était pas hier... Comme c'est vraiment dommage !
Soit le mec est consciencieux,
parce qu’il est adepte du « DIY »
(Do It Yourself) et qu’il prend son temps pour me fabriquer de ses propres
mains un chèque grand format pailleté genre « Félicitations :
vous avez gagné le gros lot ! », soit le mec est complètement
pommé et il erre toujours dans le bourg à la recherche de ma boite aux lettres qui
se trouve tout de même à 600 mètres de chez lui et à dix pas de mon cabinet, soit
le mec me prend une conne. Bizarrement, et bien que cela ne me fasse pas
plaisir, je crois que le mec n’est ni perdu entre deux ruelles ni
les doigts collés par un projet de chèque géant (même si je trouve l’idée trop
cool), non. Je crois qu’il s’est simplement dit qu’il ne me paierait pas et que
je finirais par lâcher l’affaire avec le temps.
Mais si « lâcher l’affaire » revient à dire que je me suis
déplacée gratuitement pour le soigner et que je lui aurais donc offert mon
essence, mes sets à pansements, mes compétences et mon expérience… Alors je
suis désolée pour lui et pour les autres mais non, je ne lâcherais pas l’affaire.
Parce que tout travail mérite salaire sauf si on est une nonne, et ça fait bien
longtemps qu’on ne porte plus de cornettes…
Vous noterez que j’ai dis « pour les autres », parce d’autres bigorneaux enfouis bien profond dans le sable semblent avoir eu des difficultés à faire entrer leur chèque géant
dans ma décidément trop petite boite aux lettres...
Il y a cette patiente qui, pétrie de
mauvaise foi, avait fini par me dire qu’elle avait dû me régler en espèce mais
que l’argent avait certainement dû glisser dans la boite aux lettres d’en dessous, bah tiens ! Il y a celui qui m’a assuré m’avoir payé en mains propres
remettant en doute ma comptabilité de pointe basée sur un système infaillible
de « soins-fluorés-si-payés ». Il y a le vieux bigorneau errant qui perd un peu la tête,
qui s’assoit dans ma salle d’attente quand il vient voir le médecin ou qui
entre chez moi quand il voit de la lumière, mais juste parce qu’il a vu de la
lumière. Il me doit 4€50, mais il ne s’en rappelle jamais. Bon lui, il a une
démence, il a une bonne excuse. Et enfin, il y a la grosse palourde que j'ai toujours du mal à déloger du sable : la CPAM. Oui oui, la CPAM…
- Oui bonjour, c’est l’infirmière. Voilà, je vous appelle parce que vous m’avez rejeté trois vaccins contre la grippe que j’ai facturé en demi-tarif en même temps que d’autres soins techniques (rappelez vous nos soldes annuelles : 1er soin payé intégralement, le 2ème à 50% et les 3ème et suivant gratuits)… Pourquoi je ne suis pas payé de ces soins ?« Mais c’est parce qu’il faut les coter à demi tarifs madame ! » Genre, tu n’as pas écouté ce que je viens de te dire, genre tu penses que je suis suffisamment stupide pour avoir oublié que je devais facturer un demi vaccin alors que je l’avais injecté entièrement, genre j’ai ma cornette qui est en train de repousser sur ma tête !- C’est ce que j’ai fais ! J’ai même mes factures sous les yeux… Pendant que je vous ai, j'ai trois autres dossiers en attente dont je ne comprend pas vraiment l'enfouissement dans le sable là...
La dame de la sécu’ s’est
excusée, me disant que c’était une erreur de leur part, qu’ils allaient me payer les 3€15 par soins qu’ils me devaient. Et hop, trois bigorneaux de plus dans mon panier ! Ce sont de petites sommes, des petits coquillages perdus dans le sable et
ce n’est pas grand-chose vous me direz, mais au risque de passer pour quelqu’un
de vénal, je ne veux pas lâcher l’affaire. Ne serait-ce que pour le principe de pouvoir marcher tranquillement pieds nus sur la plage de mes soins sans m'esquinter le pied sur un coquillage à moitié enfoui...
J'ai donc remonté mes manches et j'ai pris mon téléphone. J'ai fais un ourlet à mon jean pour ne pas le mouiller et je me suis attelé à prendre du temps sur mes repos non rémunérés pour tenter de récupérer l'argent de mon travail non payé. Malheureusement, la pêche aux moules est souvent infructueuse, tachons malgré tout de garder la frite !