- Oui « Bonjour », à nouveau ! Je vous ai déjà laissé un
message sur votre répondeur il y a moins d'une heure, mais bon bah voilà, vous ne m’avez
toujours pas rappelé !...
Mes mains enserraient mon volant alors
que j’écoutais sur mon répondeur la voix agacée de celui qui semblait être plus
pressé que moi par le temps. C’est pas comme si j’avais une tournée aussi
lourde que la pesanteur sur mes yeux, c’est pas comme si j’avais dû faire rentrer
tous mes soins du matin comme on tenterait de faire entrer un duvet dans
son sac, c’est pas comme si tout semblait aussi bancal que la hanche de la plus
vieille de mes patientes, c’est pas comme si, oh pis mince. J’ai rappelé :
« Oui, c’est l’infirmière ! Je n’ai as pu vous rappeler plus
tôt parce que je suis en tournée ce matin et qu… »
- Oui bon bah voilà quoi, c’était
pour vous dire que ma mère elle rentrait d’hospitalisation !
Se faire couper la parole c’est
déjà relou, mais que son interlocuteur semble vouloir jouer à Question pour un
champion me gonfle encore plus : "Je suis une dame d’un certain âge qui s’est fait hospitaliser depuis on ne sait pas
combien de temps dans un service dont on ne connait pas la spécialité pour une
raison inconnue qui a un fils voire plusieurs on ne sait pas mais on s’en fou
et qui semblerait vouloir rentrer chez elle dans les plus bref délais, je suis,
je suis ??"
« Attendez, excusez moi mais vous êtes qui ? Parce que sur
les messages que vous m’avez laissé, vous ne m’avez pas donné votre n… »
- J’suis le fils de Madame
CensureQueJeVousDiraisPasSonNom, 'faut reprendre les soins d'hygiène dès demain ! (Deuxième fois qu’il me coupe la
parole, la prochaine fois ce simule un tunnel même si il n’y en a pas dans le
coin et je raccroche)
« Aaaaah. Ok... (Soupirs ravalés par mon professionnalisme et
ma dignité de soignante) Je vais passer
la voir dès demain matin alors. » Bam ! Paye ta brique de Tétris
géant que je vais devoir caser parmi toutes celles de ma tournée de demain !
Je ne savais pas comment j’allais finir ma tournée du jour qu’il fallait déjà
que je pense à comment j’allais commencer celle du lendemain…
Avoir du travail c’est un fait,
et j’avoue que cette petite adrénaline du « Raaaah
j’ai pas beaucoup de temps mais comment je vais faire ?! » me plait,
me stimule, me réveille. Mais j’aime surtout quand ça roule. Et ce matin, ça ne
roule pas : ça patine !
Mais je le savais ! Je le
savais, je l’ai su du moment où j’ai posé le pied par terre en me levant ce
matin. Le parquet froid a fait remonter un frisson jusque derrière ma nuque à m’en
ouvrir mes yeux tout collés : « Ca
va être une journée de merde ! » Si j’avais pu, mon moi du futur
à ce moment précis derrière son volant serait revenu en arrière dans sa matinée
pour aller mettre une pichenette derrière la tête de celle que j’étais ce
matin, endormie et pas décidée, pour lui dire de décoller ses fesses de son
matelas et de commencer plus tôt…
Parce qu’entre le patient en
retard de quinze minutes pour sa prise de sang au cabinet, celle qui est venu
mais qui avait oublié son ordonnance, l’autre à qui on avait pas dit qu’il y
avait aussi un examen d’urines et qui a dû repasser me le déposer plus tard au
cabinet parce que le pot n’entre pas dans la boite aux lettres.
Entre le
téléphone qui ne s’arrête plus de faire résonner cette sonnerie que je ne
supporte plus et qu’il faut vraiment que je change, le patient qui ne veut jamais
de douche d’habitude mais qui, ce matin, s’est dit que finalement ce serait
bien, vu que c’est bientôt noël.
Entre les veines impiquables, les nouveaux
pansements qu’il faudrait que je fasse sans matériel parce que l’hôpital n’en a
pas prescrit et les patients tellement heureux de fêter noël qu’ils avaient
besoin d’en parler et les autres tellement déprimés de fêter noël qu’ils
avaient besoin d’en parler, eux aussi… J’ai finis par rouler tout droit sans
même savoir où j’allais.
J’ai dû m’arrêter sur le bas côté.
Manger le vieux Ferro Rocher tout mou de mon vide poche pour me ressucrer
(Pourboire d’une prise de sang réussie) et relire mon planning pour comprendre
chez qui je me rendais et pourquoi j’y allais. J’ai été horrifiée du peu de
soins que j’avais fais au vu du peu de temps qu’il me restait. J’ai fais
demi-tour pour retraverser le bourg et me rendre chez ce nouveau patient-impatient
de m’avoir attendu alors qu’il avait le pain à aller chercher…
J’ai finis tous mes soins, je suis rentrée chez moi et je me suis vautrée sur mon canapé pas peu fière d’avoir réussi à clôturer
cette tournée improbable. A ce moment précis, j’ai ressenti une vive
douleur dans le chignon : mon moi de demain venait de me mettre une pichenette
pour me rappeler que le travail n’était pas finis et que je devais rappeler les
patients de demain matin pour les décaler au vu de la sortie d’hospitalisation
de ma patiente. Moi qui ne savais pas quoi faire cet après midi, je vais encore
jouer au Tétris !... Et puis au fond, j'aime ça ! ♡