- Il parait qu’ils vont lui faire descendre les Champs Élysées… A qui ? Bah, à Johnny !
Ma patiente a haussé les épaules
avec un air un peu indigné devant ce qui paraissait si évident pour elle et
tellement peu pour moi. Mais j’étais trop concentrée sur les bandages qui
recouvraient ses jambes pour prêter une oreille attentive à l’annonce faite
dans le journal de Pernaut auquel je tournais le dos. Johnny, je n’étais pas
spécialement fan mais il est associé à tellement de souvenirs de ma vie que c’est
difficile de nier son importance.
Je me rappelle de mon oncle, grand fan, qui avait des faux disques d’or de Johnny dans son couloir et des vraies santiags aux pieds. Je me rappelle de mon père, heureux d’être allé à son concert dans les années 90 et dont il garde encore le souvenir aujourd’hui. Je me rappelle de ces fins de soirées alcoolisées où l’on en chantait fort et faux « Que je t’aime ! » en tirant son pote par le cou pour lui faire un bisou sur la joue. Je me suis rappelée de ces fois où j’avais les poils qui se dressaient dans un grand frisson quand j’entendais la puissance de sa voix. Johnny quoi. C’était un peu notre Tour Eiffel Musicale, on pouvait trouver ça sans intérêt mais rares sont les gens à ne pas avoir été impressionnés une fois devant… Ma patiente a changé de chaine et en posant sa télécommande tout près d’elle et a conclu par un « C’est une légende » auquel je n’ai rien répondu. Une légende fauchée par un cancer, comme quoi, personne n’est immortel.
Je me rappelle de mon oncle, grand fan, qui avait des faux disques d’or de Johnny dans son couloir et des vraies santiags aux pieds. Je me rappelle de mon père, heureux d’être allé à son concert dans les années 90 et dont il garde encore le souvenir aujourd’hui. Je me rappelle de ces fins de soirées alcoolisées où l’on en chantait fort et faux « Que je t’aime ! » en tirant son pote par le cou pour lui faire un bisou sur la joue. Je me suis rappelée de ces fois où j’avais les poils qui se dressaient dans un grand frisson quand j’entendais la puissance de sa voix. Johnny quoi. C’était un peu notre Tour Eiffel Musicale, on pouvait trouver ça sans intérêt mais rares sont les gens à ne pas avoir été impressionnés une fois devant… Ma patiente a changé de chaine et en posant sa télécommande tout près d’elle et a conclu par un « C’est une légende » auquel je n’ai rien répondu. Une légende fauchée par un cancer, comme quoi, personne n’est immortel.
Je n’ai rien rajouté car je
savais qu’elle serait peinée de ma réponse, qu’elle ne comprendrait pas que mes
légendes à moi étaient ailleurs. Que des légendes, j’en avais plein ma sacoche et que jamais
elles ne descendront les Champs Elysées...
Il y a l'humouriste-légendaire.
Celui qui jusqu’au bout m’aura fait sourire alors que mes yeux brillaient de
lui dire « Au revoir ». Dans la chambre d’hôpital où je t’ai
retrouvé, j’ai déposé une bise sur ta joue, la toute première depuis quatre
années où nous nous étions serré la main chaque matin alors même que j’avais
toujours enlacé ta femme et tes enfants. Une pudeur qu’on avait l’un pour l’autre
et qui nous retenait de nous dire ces choses qui vrillent le cœur. Tu m’as
serré pour la première fois avec le peu de force qui te restait et tu m’as dit « Tu
m’excuseras, je n’ai pas eu le temps de me raser ! ». J’ai souris avec un
goût salé au fond de la gorge à l’idée que tu allais terriblement me manquer. Tu
as laissé une trace indélébile dans mon cœur d’infirmière et dans tous ceux qui
ont eu l’immense chance de croiser ta Vie... Putain de cancer.
Il y a eu l'humilité-légendaire.
Celle qui aura combattu jusqu’au bout et qui a dû en six mois de temps accepter la
maladie, les traitements et l’évidence que jamais elle n’en sortirait vivante.
Celle qui, à même pas cinquante ans, m’a dit ce jour où j’avais ouvert les
volets de sa chambre pour déposer le soleil sur son lit « Je sais que je
vais en mourir. Mais la Vie c’est aussi ça, accepter que ça se termine comme
ça. ». Tu as été une très grande dame tu sais. La plupart du temps silencieuse
mais qui savait trancher l’absence de mots par un charisme que peu de personnes
ont… Putain de cancer.
Il y a eu la force-légendaire.
Celle qui a dû affronter l’impensable. Celui de ne jamais passer les quarante
ans, celui de ne pas voir grandir ses jeunes enfants, celui de ne pas terminer
sa vie auprès de celui qu’elle avait choisi pour vieillir. Et toujours ce sourire
et cette douceur que tu as incarné jusqu’au bout et qui tranchait avec la
brutalité de la fin de ta vie… Putain de cancer.
Il y a eu la légèreté-légendaire.
Celle qui arrivait à rendre le plus terrible acceptable avec des tasses de thé
chaudes après les soins qui accompagnaient cette boite de sablés au beurre
sur la table de la cuisine. Celle qui était capable de parler du pire tout en prenant des nouvelles de mes filles. Toi et moi sur ce canapé où nous partagions tellement plus que des
soins parfois douloureux. Avec toi, j’ai ouvert mon cœur d’amie pour la première
fois à une patiente que je savais condamnée à mourir en me demandant ce que je
ferai de cet amour une fois que tu ne seras plus là. Et bien tu vois, il est
toujours là pour toi. Pour toi qui n’est plus là… Putain de cancer.
Je pourrais parler de tellement d’autres
légendes qui ont remplis mes tournées de soins, mes journées de soignante et ma sacoche d'infirmière. Des
légendes qui ont habité un tout petit village angevin, quelque part en France,
loin des lumières, des strass et des belles avenues de Paris. Les gens d’ici, mes
légendes à moi que personne ne connait mais que tout le monde aurait pourtant mérite
à aimer. Mais peu importe les gens et les légendes, qu’elles
soient du rock ou d'ailleurs car elles ont finalement le même objectif, celui de nous rappeler de nous sentir "vivant". Profitons de la Vie tant qu’elle nous tient, engueulons-la des fois, détestons-la
souvent, pleurons-la si nous voulons mais essayons d’aimer la Vie pour ceux
qui ne sont plus là pour aimer la leur…
A mes Légendes,
et à Johnny.