Monsieur le Président de la République,
Je m’appelle Charline et je suis infirmière
libérale dans l'ouest de la France. Comme
chaque jour, j’ai soigné mes patients avec empathie et bienveillance et aujourd’hui
encore, j’ai travaillé en partie gratuitement. Comme vous pouvez le constater sur la feuille de soins papier que je
joins à ce courrier, j’ai effectué un soin sur prescription qui pourtant ne me
sera jamais payé. Pourquoi ? Parce que la Nomenclature Générale des Actes
Professionnels (la NGAP, obsolète et non adaptée aux nouveaux besoins du soin à
domicile) régissant la facturation de mes actes m’impose de brader mes soins toute
l’année : « 1er soin
payé intégralement, le 2ème à moitié et les troisièmes soins et
suivants sont gratuits. ». Qui accepterait de travailler en partie
gratuitement ? L’URSSAF qui ne me ferait cotiser qu’un trimestre et demi
par an ? La CARPIMKO, ma caisse de retraite obligatoire, qui m’offrirait
une partie de ma cotisation ? Ou encore l’hôte·sse de la station-service qui
me proposerait de ne me faire régler qu’un demi plein ? Non Monsieur le
Président, je ne connais personne qui accepterait de travailler gratuitement ou
à moitié prix. Quand je ne travaille pas gratuitement, je soigne au rabais en
réalisant des aides à la toilette payées au SMIC et en facturant des soins bien
reconnus par la nomenclature mais dont les tarifs ne sont jamais réévalués. Et
que dire de ces soins (collyres, pose de bas de contention, surveillance de
cathéter périnerveux, soins de sonde urinaire…) qui devraient être inclus dans la
NGAP pour éviter les surcoûts d’un défaut de soin. Notre carence est de 90
jours et le congé maternité inexistant nous oblige parfois à emprunter de
l’argent pour payer nos charges. Je subis des retenues autoritaires des
caisses (les fameux « indus ») pour des ordonnances estimées mal
rédigées et je travaille avec la peur constante de voir un contrôle de la sécurité
sociale me coller une étiquette de fraudeur·euse pour des erreurs qui ne sont
pas de mon fait et qui n’ont rien de volontaires.
Mon métier d’infirmière libérale représente un chainon essentiel du
soin à domicile. Véritable lien entre les patients, leur famille et les acteurs
de santé, notre rôle est primordial dans le maintien des patients chez eux. Nos
passages, parfois quotidiens, au domicile de nos soignés permettent bien
souvent d’anticiper des consultations chez le médecin traitant, chez le
spécialiste, voire d’éviter des hospitalisations onéreuses. Malheureusement, le
bilan annuel de la cour des comptes et le discours des politiques concernant le
déficit de santé ne mettent en lumière qu’un aspect de notre métier : les
infirmièr·e·s libéraux·ales sont perçu·e·s comme un coût pour la sécurité
sociale et non comme un profit pour l’état.
Présentes jours et nuits, tous les jours de l’année sur tout le
territoire français de métropole et d’Outre-Mer, les infirmièr·e·s libéral·e·s se
déplacent pour 2€50 dans les campagnes les plus reculées, dans les villes et
les cités les plus isolées. Nous sommes là où il n’y a parfois aucun médecin,
aucun pharmacien. Fort d’une équipe de plus de 110 000 infirmièr·e·s
libéral·e·s, la France devrait voir dans ces soignant·e·s de terrain une opportunité
d’améliorer les soins à domicile. Au lieu de cela, nous nous retrouvons écarté·es,
sans que cela soit toujours justifié, au profit de services bien plus
onéreux : HAD, SSIAD, services d’aide à la personne et maintenant les
pharmaciens avec les vaccinations en officine. Nous pensions trouver notre
place dans vos réformes de « santé 2022 », mais au lieu de mettre en valeur
nos compétences, vous avez inventé un nouveau métier : l’assistant médical. Vous
estimez peut-être que notre métier d’infirmièr·e libéral·e n’a pas de
valeur ? Vous vous focalisez sur le fait que la santé a un coût ? Moi
je suis fatigué·e de travailler gratuitement au profit d’un Etat qui ne
reconnait pas l’importance de mon travail. Je me joins donc au mouvement de mes
consœurs et confrères infirmièr·e·s libéral·e·s et c’est avec consternation que
je vous enverrai dorénavant toutes mes feuilles de soins de mes actes gratuits.
Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression
de ma respectueuse considération.
> Cette lettre type fait parti du mouvement FlashMob Postal #1 lancé le lundi 8 octobre 2018 sur Facebook et relayé via le hashtag #InfirmièresEnMarche . C'est une manifestation pacifiste qui a pour but de sensibiliser le gouvernement quant à nos conditions d'exercice. Le mouvement FlashMob postal ne s'arrêtera pas et nous espérons bien le maintenir jusqu'à ce que le gouvernement se réveille.
Lettre au Président |