Monsieur le
Président de la République,
Je m’appelle Charline et je suis infirmière
libérale dans le département du Maine et Loire. Si je vous écris aujourd’hui, c’est
parce que j’ai le sentiment de ne pas être entendu. Alors un peu naïvement, je
me suis dit que si vous n’étiez pas en mesure de m’écouter, vous alliez
peut-être me lire. Le métier d’infirmièr·e va mal. Mais ça, vous le savez
malheureusement déjà car nous manifestons de temps en temps notre colère dans
la rue, dans nos services, dans nos écoles ou aux volants de nos voitures de
libéraux·ales. Je dis « Malheureusement » car je ne comprends pas
pourquoi un Gouvernement s’acharnerait à ne pas écouter ses infirmier·e·s épuisé·e·s.
Monsieur Macron, vos soignant·e·s aimeraient, pour une fois, être réellement
considéré·e·s.
Nous avons le
sentiment de perdre ce qui fait le cœur de notre métier : l’humanité. La
surcharge de travail et le personnel insuffisant entrainent un épuisement, une
frustration et un mal-être des soignant·e·s diplômé·e·s ou en cours
d’apprentissage. Nous enchainons les soins, pansons sans écouter, soignons sans
prendre le temps avec nos patient·e·s ou nos étudiants et nous partageons ce
triste sentiment que l’essence même de notre métier est devenue une perte de
temps. Nous sommes tiraillé·e·s entre nos convictions d’humain·e·s, nos valeurs
de soignant·e·s et la charge de travail qui doit être réalisé dans un temps
imparti évidemment trop court. Le « Têtes-Mains-Cul » est devenu la norme
en maison de retraite, nous n’avons plus le temps d’être là pour l’autre et
j’ai moi-même parfois le sentiment de ne plus être à ma place et de
déshumaniser mes soins.
Vous vous targuez d’avoir mis les
comptes de la sécurité sociale à l’équilibre, mais à quel prix ? Le manque
de personnel oblige les infirmier·e·s à revenir sur nos repos. Les étudiant·e·s
sont parfois vu·e·s comme de la main d’œuvre bon marché pour compenser les
trous dans les plannings ou les arrêts non remplacés. La charge de travail
donne l’impression de nager à contre-courant. On essaie de soigner au mieux et
on s’épuise en essayant d’éviter le pire. Nous avons besoin de collègues en
plus et d’une revalorisation du ratio soignant-soigné pour nous permettre
d’accueillir au mieux une population qui a évolué (vieillissante,
polypathologique, parfois précaire…) et qui est malade tous les jours de la
semaine y compris le week-end où nous travaillons à flux tendu. Les alternances
jour-nuit nous déphasent, la cadence nous fatigue, nos corps s’épuisent de porter
et de supporter l’humain. Nous souhaiterions une juste reconnaissance de la
pénibilité de notre travail. Parce que les cadres deviennent des manageurs et les
chefs d’établissements des gestionnaires, les patients sont vus comme des
clients et les soignant·e·s comme de simples exécutant·e·s du soin rentable.
Merci la T2A. Oui, les infirmier·e·s soignent en nageant à contre-courant et
certain·e·s ont du mal à demeurer à la surface. Epuisement (avec des départs de
l’hôpital en moyenne 5 ans après le diplôme), Burn-out, suicides… C’est une
réalité, les infirmier·e·s meurent parfois d’être si peu considéré·e·s.
Les 90 000 étudiant·e·s
infirmier·e·s de France ne font malheureusement pas exception et ils subissent
de plein fouet les mauvaises conditions de travail de leurs encadrant·e·s. Selon
une étude de la FNESI, 40 % d’entre eux consommeraient des psychotropes et un
tiers serait sujet à des crises d’angoisse. Un·e étudiant·e sur deux déclare
avoir vu sa santé physique et psychologique se dégrader au cours de sa
formation. Comment apprendre à prendre soin, si on ne prend pas soin de ceux
qui apprennent ? Pour soigner, il faut que nous, infirmier·e·s, soyons en
bonne santé physique et psychologique. Pour bien enseigner, il faut que nous,
encadrant·e·s, soyons en capacité d’apprendre à nos étudiant·e·s à panser avec
le cœur plutôt qu’à penser avec rancœur. Nous voudrions une nouvelle formation des
Directions d’établissements ainsi que des cadres de santé à la prise en charge
des risques psychosociaux, des techniques de management qui favorisent le bien-être
au travail pour s’attaquer efficacement au burn-out des soignant·e·s. Une
meilleure écoute des problèmes physiques avec de vraies propositions de
reclassement et une reconnaissance des congés pour longue maladie.
Nous avons
été très étonné·e·s de ne pas avoir trouvé notre place dans votre plan
« Ma santé 2022 ». Nous sommes pourtant 680 000 infirmier·e·s en
France, soit la moitié des soignant·e·s. Nous nous efforçons de faire évoluer
notre profession en mettant en avant son expertise, ses valeurs et son intérêt
certain dans la prévention des risques, l’éducation à la population, le
maintien des personnes âgées à leur domicile et le développement de l’ambulatoire.
Nous sommes présent·e·s partout où il est nécessaire d’être soigné et nous
sommes nécessaires au bon fonctionnement du système de santé. Mais vous n’avez
pas parlé de nous. C’est à se demander si vous n’ignorez pas tout de notre
métier, y compris le montant de nos rémunérations. Notre salaire est en dessous
de la moyenne de celui des infirmier·e·s de la communauté européenne. Nous exerçons
pourtant le même métier avec les mêmes risques et les mêmes responsabilités.
Nos étudiant·e·s sont peu rémunéré·e·s au risque de les plonger dans de réelles
difficultés financières. 28€ par semaine en première année et 50€ en fin de
formation sans aucune compensation financière lorsqu’ils.elles travaillent de
nuit ou le week-end. La précarité subie par certains étudiants les oblige
parfois à arrêter leur formation.
Le libéral
est parfois vu par les infirmier·e·s de structure comme une échappatoire à la
dureté du travail en service et comme un moyen d’être mieux rémunéré. Mais les charges,
les contrôles parfois injustifiés de la sécurité sociale et la nomenclature
incohérente et obsolète (les obligeant souvent à travailler gratuitement)
épuisent, dégoutent et mettent en colère beaucoup d’entre nous. Saviez-vous
qu’une heure de nursing rapporte moins que le SMIC à une infirmier·e
libéral·e ? Saviez-vous que ces mêmes infirmières sont parfois obligées de
souscrire un emprunt pour se payer un congé maternité parce que la compensation
d’arrêt d’activité ne leur permet pas de payer leurs charges ? Saviez-vous
que les libéraux·ales partiront après une trentaine d’années de cotisation avec
une retraite de 700€ brut en moyenne ? Si vous ne le saviez pas, une lettre écrite
par des infirmier·e·s libéraux·ales vous a également été envoyée pour tout vous
expliquer. Nous souhaitons une juste reconnaissance des contraintes et de
l’importance de notre présence dans le schéma national de sécurité sanitaire au
même titre que les forces de l’ordre. La reconnaissance de tous les nouveaux
soins non énumérés et non codifiés et une réévaluation de la nomenclature de la
sécurité sociale régissant la facturation des libéraux·ales et ne permettant
pas actuellement une prise en charge cohérente des soins à domicile.
La profession
est partout mise à mal et l’on compte souvent sur la conscience des
professionnel·le·s et des étudiant·e·s en soin pour tenir le service minimum.
Mais jusqu’à quand ? Monsieur le Président, l’économie ne devrait pas être
priorisée au détriment de l’humain. La richesse de la santé ne se trouve pas
dans la rentabilité. Nous attendons du Gouvernement qu’il accepte enfin une
discussion raisonnée avec nous, acteurs de terrain et syndicats pour nous
expliquer sans mépris les contraintes qui sont les siennes et en écoutant les
nécessités qui sont les nôtres. Il n’y a pas de petites revendications lorsque
l’on est un demi-million à les clamer, il n’y a pas de petite considération
quand c’est tout un Gouvernement qui décide enfin de nous écouter. Je me joins
donc au mouvement de mes collègues infirmier·e·s et c’est avec une certaine
consternation que je vous enverrai cette lettre aussi souvent que cela sera
nécessaire pour réveiller les consciences.
Je vous prie
de croire, Monsieur le Président, en l’expression de ma respectueuse
considération.
Charline,
#InfirmièresEnMarche
Ce message est un courrier type que vous retrouvez au format Jpeg, ci-dessous. Cette lettre écrite pour dénoncer les conditions de travail des infirmières est destinée au Président Macron. Elle est envoyée en masse tous les 15 jours depuis le 8 octobre 2018. Tout est expliqué sur le blog : ici !
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