- Ta gueule !!
Heureusement pour moi, je
connaissais bien la maison et ceux qui la peuplaient, sinon j’aurai pu croire que
cet accueil m’était destiné. Mais c’est la chienne qui venait d’être baptisée
d’un nouveau surnom pour avoir répondu de son aboiement aiguë et criard au
tintement de la sonnette de porte. Ce n’était pourtant pas l’habitude de cette
famille plutôt introvertie.
Le cliquetis des clés dans la serrure n’était pas
vraiment le même qu’à l’accoutumée et l’ouverture de la porte était nerveuse,
presque brutale. Mon sixième sens bien encré au centre de mon plexus me fit une
petit pointe et je senti que ça n’allait pas le faire et que ce soin qui ne
devait me prendre que quinze minutes allait durer plus longtemps.
Par réflexe et pour tâter le
terrain je m’enquis de l’humeur de celui qui venait de m’ouvrir la porte :
- Non ça va pas !
En me montrant d’un mouvement de main
directif, sa femme, couchée sur le canapé. Leur fille d’à peine vingt ans était
accroupie à ses côtés. Elle caressait la chevelure courte de sa mère,
clairsemée par les nombreuses cures de chimiothérapie. Ma patiente me tournait le
dos, bien emmitouflée dans son épaisse couverture aux motifs léopards.
- Et puis elle refuse de manger là ! Ça va pas, c’est pas
possible !!
Avant d’aller s’enfermer dans son garage. Son lieu de
décompression rien qu’à lui dans lequel il avait pris l’habitude de s’enfermer
pour bricoler et se couper un peu de l’ambiance, que le cancer de son épouse
avait su rendre pesant.
Pour le mari, je verrais plus
tard. La priorité était ma patiente.
Cette femme que je commençais à bien
connaitre. D’une humeur jamais vraiment gaie mais jamais déprimée non plus. La
croyant au départ antipathique, elle avait su me démontrer que sa nonchalance
lui permettait bien au contraire de faire face aux pires situations. « Moi j’ai l’habitude de dire que ça va
aller ». Le genre de personnalité dont l’expérience m’aura appris à me
méfier, tant il est difficile de cerner le moment où rien ne va plus vraiment.
Et ce fameux moment était en
train de se jouer à cet instant même, sous cette couverture. Ma patiente était
recroquevillée autant que son corps le permettait, bien calée avec les coussins
visant à protéger sa peau des points de pression pouvant lui créer des
escarres. Les larmes lui coulaient sur les joues alors qu’elle se forçait, une
paille dans la bouche, à boire le contenu infâme d’une boisson hyper-protéinée
dont le goût de «café » n’en
avait que le nom.
Sa fille s’était retirée pour me laisser la place. Je lui
enlevais doucement la paille de la bouche, lui exprimant ainsi, que la priorité
n’était pas de prouver qu’elle était capable de fournir les efforts dont son
mari semblait lui reprocher le manque.