dimanche 1 février 2015

Infirmière libérale et enceinte : une montagne à gravir aussi grosse que mon ventre.




Deux tranches de pain recouvertes d’une épaisse couche de Nutella, un grand mug de « Thé de Lune » des Mariage Frères, il me fallait bien ça. Ordinateur d’un côté, téléphone de l’autre et bloc note sous le coude, me voilà fin prête à entreprendre les démarches qui devront m’aider à y voir plus clair et vivre sereinement ma deuxième partie de grossesse. Emmitouflée sous une couverture et bien calée dans un coin de mon canapé je me sens l’âme d’une alpiniste des années 20 en quête d’une nouvelle montagne à gravir… Version phoque sur la banquise. 

C’est un peu l’image que je me faisais des démarches qui m’attendaient : une bonne grosse montagne de paperasses et de coups de téléphone, et moi en bas, avec mon ventre grossissant à regarder le sommet sur lequel culminait mon congé maternité tant mérité ! A défaut de chaussures à crampons pour gravir ma montagne, je me suis chaussée de mes magnifiques chaussettes moumoutées roses à fleurs (offertes par une amie et destinée à m’aider à voir la vie en rose.), histoire d’être ridicule, et de me donner du réconfort.

« Infirmière + libérale + enceinte »

Trois mots clés pertinents, lâchés sur la barre de recherche de Gougoule et plus de 34 000 résultats : il semblait clair que je n’étais pas la seule libérale à me demander à quelle sauce j’allai être mangé pendant ma grossesse. J’allais devoir faire du tri… Et me resservir plusieurs tasses de thé. Après plusieurs allées et retour aux WC, le constat était le suivant : "tu es enceinte, mais rassure toi, cet état est réversible. Il va juste falloir être patiente, attendre quelques mois et anticiper les choses pour que « grossesse » ne rime pas avec « détresse »."
En attendant, il me fallait trouver des moyens pas chers et utiles pour rendre ma vie d’infirmière à l’utérus distendu, plus facile au quotidien.


Les quelques règles d’or qui devraient m’aider à vivre le plus sereinement possible ma grossesse en tant qu’infirmière dilatée libérale :


1. Un marabout chinois, un prête maya ou un ostéopathe tu consulteras !

Si comme moi, les nausées (pas seulement matinales, ça aurait été trop facile) vous auront abaissé votre pourcentage d’élan vital à 3% _ mais que le serrage de mâchoires vous aura évité de vous alléger par des vidanges gastriques régulières _  je vous conseille de consulter avant qu’on ne vous retrouve totalement éreintée et à moitié desséchée au volant de votre voiture pendant votre tournée. Personnellement, j’ai découverts le Donormyl contre les nausées et je remercie mon médecin de me l’avoir conseillé ! 

Les nausées passées, apparaissent diverses petites douleurs localisées dans des endroits de votre ventre (qu’en tant que nana vous avez toujours du mal à localiser : gynéco ? Gastro ? Que de mystère….) voire des douleurs sacro-iliaques (dans le bassin quoi), de sciatique ou toutes autres maux qui vous rappelleront avec délice que vous aviez un dos bien pourri avant, et que la grossesse et ses hormones ne vont évidemment pas de vous faire de cadeau. Dans ces cas là, vous pourrez bénir votre ostéopathe après l’avoir, au préalable, supplié à genou de vous ausculter au plus vite. Vous pourrez également la jouer « Princesse éplorée au dos explosé et aux jambes aussi lourdes que l'humour de votre pire patient pas drôle » et réclamez au passage à votre conjoint(e) quelques massages pour détendre votre dos en souffrance ou pour masser vos doigts de pieds avant que la chaleur et l’œdème ne les transforment en knaki-ball.


2. Du réconfort tu t’apporteras !

Vous avez l’impression d’être une petite fleur fanée ? Une fleur fanée dilatée et comprimée dans ses vêtements ? Les actes anodins deviennent de plus en plus compliqués et sortir de votre voiture relève plus de "l'extraction" que de la sortie "tout en souplesse" dont vous faites preuve habituellement; au point de vous demander si vous n'allez pas investir dans un pied de biche pour vous extirper de cet engin qui n’a rien d’un 4x4 ? Trouvez un coussin assez épais de chez vous, et installez le sur votre siège : « effet 4x4 » garanti _ ou comment avoir l’impression d'investir dans un Qashqai en lachant 19,90€ ! 

Vous êtes serrée dans vos vêtements et vous êtes obligée de déboutonner votre jean entre deux patients ? Une bonne préparation psychologique sera peut-être nécessaire, mais vous verrez, vous ne pourrez plus vous passer de ce bon vieux pantalon de grossesse qui vous rebute tant : confort assuré ! 

Quand vos patients vous disent « j’suis fatigué ! » vous avez envie de leur crier « Et moi donc, j’hiberne comme une marmotte alors que c’est l’été ! ». Il n’y a pas beaucoup de solution : il va falloir dormir ! Des siestes, des siestes, des siestes. Ce qui vous obligera peut être à laisser divers post-it à votre conjoint(e) pour maintenir un semblant de communication tant vos phases de sommeil débuteront tôt…  « Énorme soirée de ouf, hier à la télé, j’ai eu le temps de regarder la météo ! ». La météo peut-être, mais grâce à vos siestes journalières vous pouvez comater quotidiennement, la joue bavante, devant les reportages animaliers de la cinq et vous êtes maintenant au taquet sur la reproduction de la marmotte frisée des montagnes du Caucase.

Une petite faim, des hypochocolatémies régulières et invalidantes ? Allez donc faire un petit coucou à la boulangère et profitez-en pour vous pailleter le cœur à coup de viennoiseries. Vous pourrez également accompagner vos pauses méritées en vous buvant un bon thé de chez vous bien au chaud dans un thermos... Ce qui nous amène directement au point 3.


3. Des toilettes propres tu rechercheras !

Dixit le chapitre précédent : le pain au chocolat amène au thé, qui amène à la miction. Et oui, c’est l'effet « Bonheur dans ta vessie » durant la grossesse ! Vous narguiez vos amis non soignants en vous ventant en soirée de pouvoir ingurgiter 1L de bière sans aller aux WC tant votre vessie semblait avoir la taille d'un tank (Non, pas vous ? Ah...) mais aujourd’hui vous êtes à deux doigts de vous poser une sonde urinaire avec une poche sur le mollet tellement vos envies d’uriner son récurrentes. Et rapidement se posera une problématique (si comme moi, vous ne disposez toujours pas de WC dans votre cabinet) : où vais-je pouvoir vidanger ? 

En tant que nana cette situation ne vous est pas inconnue et certaines situations peuvent vous rappeler de vagues souvenirs de festivals en plein air. Cependant, l’hiver et les -8°C matinaux vous freineront peut-être dans cette symbiose "Ma vessie dans la nature"
A cette technique de « Petite maison dans la prairie » version «Y'a pas de toilette au fond du jardin » j’ai préféré cibler les maisons de patients dans lesquelles je savais ne pas risquer d’attraper de mycoses tropicales. Et pour m’aider dans cet acte, rien de mieux que le Go-Girl ! Mesdames, ce petit ustensile vous sauvera la mise à bien des moments (enceinte ou pas) et vous permettra notamment de réaliser vos ECBU mensuels sans risquer de vous en mettre partout lorsque votre ventre ne vous permettra plus de voire tout ce qui se trouvera en dessous de votre proéminent nombril !


4. A quelles aides tu as droit tu découvriras _ et un peu dépitée tu seras !

Parlons bien, parlons sou. Car c’est bien la première question que l'on se pose lorsque l'on est infirmière libérale : « A combien aurais-je droit pendant ma grosssesse ? ». Personnellement, je suis affiliée à la MACSF, pour ma mutuelle, ma RCP et ma prévoyance. 

Le contact téléphonique avec Louis-Kévin le conseillé, m’aura permis d’apprendre que ma RCP et ma mutuelle m’octroyaient respectivement 500 et 100 € de prime à la naissance (pour se faire payer, il suffit d’envoyer une copie de l’acte de naissance à la mutuelle et au siège social de la RCP). Ma prévoyance ne compense ni la perte de revenue liée à mon congé maternité ni un arrêt de travail lié à la grossesse si ce dernier n’entre pas dans le cadre d’une « grossesse à risque » (cf. la liste trèèèèès restreinte des pathologies liées à la grossesse). 

En gros, il faut croiser les doigts, et si votre souplesse le permet, également ceux des doigts de pieds, pour espérer que la grossesse se passe bien et envisager dès maintenant de bien mettre de côté pour se payer son congé maternité... Heureusement, en plus de la mutuelle et de la RCP, vous pourrez vous retourner vers la CPAM pour compenser la perte de revenue et la cessation d’activité. 

Pour vous renseigner vous aurez la gentille Marie-Marguerite qui, aussi pommée qu'un chaton myope sans sa mère, ne fera que répéter les mots inscrits sur la page internet de la CPAM que vous avez déjà sous les yeux.
La première compensation appelée « allocation forfaitaire de repos maternel » est d’un montant de 3170 € (ce montant est revalorisé chaque année). Elle est versée en deux fois : à la fin du 7ème mois de grossesse (aucun papier à envoyer, le versement se fait si la déclaration de grossesse a été faite) et après l’accouchement (pour ce faire, penser à envoyer un certificat d’accouchement à la CPAM). 

La deuxième des « indemnités journalières forfaitaires» est versée uniquement sous réserve d’une cessation d’activité d’au moins huit semaines, dont deux avant l’accouchement. Son montant journalier est égal à 1/60,84 (c'est précis !) du montant du plafond mensuel de la sécurité sociale en vigueur, soit 52,10 euros au 1er janvier 2015. Pour bénéficier de cette indemnité, adressez à la CPAM une déclaration sur l'honneur attestant la cessation de toute activité professionnelle et un certificat médical attestant la durée de votre arrêt de travail. La durée du congé maternité varie en fonction du nombre d’enfants attendus. En gros pour le 1er ou le 2ème enfant, vous aurez le droit à 16 semaines de congé maternité. 

Pour les cas particuliers (grossesse multiples, accouchement prématuré, adoption, mise bas d'un teckel à poil court), se référer au documentde la CPAM.

( >> Mise à jour sur le paiement des indemnités et prise de tête avec la CPAM à découvrir sur l'article : " Et pendant ce temps là... Mon congé mater' me coûte cher ! "


5. A tes patients tu l’annonceras, et si « une infirmière libérales, ils connaissent ? » tu leur demanderas !

Si vous ressentez le regard suspicieux de vos patients alternant de votre ventre vers votre visage pour revenir de nouveau sur votre ventre en s’arrêtant rapidement sur votre opulente poitrine ; c’est que de toute évidence, ils viennent de comprendre que, ce qui pourrait passer pour une choucroute mal digérée, révèle en fait un début de grossesse (votre nouveau tour de poitrine aidant largement dans l’établissement du diagnostique). 

Dès ce jours, ils risquent de vous parler TOUS les jours de votre grossesse (ce qui vous changera grandement de la météo sur laquelle vous êtes déjà au taquet, cf. le point 2), vous demandant, pour la énième fois « Alors, elle profite hein ?! » (me demandez pas, je n'ai toujours pas compris ce que ça voulait dire). Comme toujours, vous laisserez couler en espérant qu’ils ne vous toucheront pas le ventre au risque qu’ils y perdent un bras (« touche mon ventre, perds une main ! »… Mais d’où vient cette lubie de s’approprier le corps de la femme enceinte en voulant, à tout prix, lui toucher le ventre, sérieusement ?)… 

Finalement, vous ne leur en voudrez pas trop devant les efforts qu’ils fourniront pour vous tendre cette chaise ou un coussin pour vos genoux ou lorsque le miracle consécutif à votre nouvelle « aura de femme enceinte » irradiera jusqu’à l’arthrose de cette petite mamie qui, jusqu’à présent, avait toujours refusé de se bouger et qui se lancera dans des gesticulations improbables pour vous ressortir une vieille boite de chocolats de Noël qu’elle essaiera de vous refourguer pour vous engraisser, et par la même occasion, pour faire de la place dans ses placards !

Certains vous devanceront même sur vos recherches d’une remplaçante et vous diront peut-être « Oh mais j’ai ma petite fille, elle est étudiante infirmière, je pourrais lui demander si elle serait intéressée pour vous remplacer ? »… 
A ce stystème D qui ne vous enchante guère, vous préférerez d’autres moyens de recherches : votre réseau scolaire ou professionnel, le Boncoin (après tout, j'y ai trouvé ma maison, mon chat, mes chèvres et moutons, et limite mon homme, donc ça devrait fonctionner avec une remplaçante), ou le bon vieux Paul (emploi) qui, grâce à son site internet vous permettra de déposer une annonce qui ne se voudra pas trop larmoyante de désespoir « Par pitié… J’en peux plus, j’ai besoin de repos et j’veux pas accoucher dans ma voiture ! » ou mensongère « Super ambiance pour se cabinet de brousse rural situé sur une commune pas du tout pommée, pour lequel tu ne réaliseras que des soins techniques hyper intéressants auprès d’une population pas du tout âgée et hyper sympa, pour un salaire vraiment très attractif ! Bisous lol. »


6.  Arrêter de bosser et lâcher ton cabinet tu accepteras !

Et oui parce qu’une fois « l’effet 4x4 » devenu obsolète, et le ventre devenu quelque peu gênant en rapport avec votre cavité utérine plus que détendue, il faudra vous faire à l’évidence : confier votre bébé à une autre, autrement dit : mettre entre les mains d’une remplaçante, ce cabinet que vous avez fondé en partant de rien. 

... Et je crois finalement, que de toutes les montagnes, celle-ci est certainement la plus difficile à gravir. Il va falloir confier vos patients les plus chers, accepter de ne peut-être pas pouvoir accompagner jusqu’au bout vos patients en fin de vie, ne plus mettre les pieds dans ce cabinet un temps en laissant les clés à celle qui prendra votre place quelque temps… 

Allez les nanas, rassurez-vous l'état de grossesse ne dure pas et passe trop vite. Alors profitez-en pour couper avec le boulot et pour vous recentrer sur le plus important : ce petit bulot qui vous maroufle l'utérus, et qui vous rappellera qu'avant d'être infirmière, vous êtes une femme... Et une mère.



 [Photo : avec l’aimable autorisation de David Jubert
que vous pouvez découvrir sur www.graphistolage.fr]



La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...