- Tu restes prendre un café ?
La boulangère avait tenté une
fois de plus de m’avoir avec son chantage à la viennoiserie. Elle me
connaissait bien et savais que je commençais à fatiguer de cette longue tournée. J’avais faim, mon estomac et ma volonté étaient faibles face à ses
petites tueries sucrées. Mais j’avais encore un patient à voir.
Une nouvelle
prise en charge pour des soins de brûlures multiples et étendues, que je devais
découvrir et débuter un peu avant douze heures. La baguette et le dessert du
midi étaient sur mon siège passager et je me dirigeais vers cette nouvelle
maison…
« Et où est les reste du matériel pour les pansements ? ».
Tout était là, dans le mini-sac de la pharmacie. Un seul rouleau de sparadrap,
une unique bande velpo, une boite de compresses et le fond d’un pot de
Flammazine (une crème servant à traiter les brûlures) ouvert la veille par le
service des urgences. Pas de sérum physiologique pour nettoyer les plaies ou de
set à pansement… Je vais devoir taper dans mon stock. Heureusement que mon
coffre de voiture contient l’équivalent d’une pharmacie de garde. Avec cette
quantité minable de matériel qui aurait pu tenir dans la mallette de soins d’un
minipouce, j'allais devoir soigner l’abdomen, les avant-bras, les mains et les
cuisses brûlées de mon patient. Paye ton défi !
Le travail à domicile ne nous
offre par toujours les moyens de soigner dans les bonnes conditions. Alors
lorsque l’on tombe sur un interne ne sachant pas rédiger une ordonnance, les
soins peuvent rapidement devenir épiques !
L’expérience m’aura appris à faire
à l’économie, avec comme principe de ne jamais mettre en péril l’asepsie, ma
sécurité et celle de mon patient, mais chiche ! Je relève le défi !
Pendant
que mon patient se déshabille et s’installe, je regarde l’ordonnance :
« Faire pansement par une infirmière (ça va encore faire plaisir à
mon collègue testiculé) pansement 7j/7
(Ah ! Pas de notion de dimanche ou de plaies multiples) sur brûlures situées au niveau du corps (du
« corps », sans déconner ?
10/10 à l’interne en médecine dans la catégorie « Anatomie »).
Je vais devoir refaire rédiger l’ordonnance
avec les bons termes au risque de me voir refuser le paiement de mes actes par
la CPAM ce qui empêchera mon patient d’être remboursé par la suite. Pour l’ordonnance
on verra plus tard, chaque chose en son temps. Si je veux pouvoir être rentrée
pour apporter le dessert de ma fille, je vais devoir m’y mettre rapidement...
Mais c’était sans compter sur la
qualité du travail de l’interne qui, en plus d’être un as en rédaction d’ordonnance, était en plus un champion dans le traitement des
plaies de brûlures…
Des phlyctènes, des ampoules, en
veux tu en voilà. Éclatées et non scalpées ou encore formées et non ouvertes. Avant
de débuter le badigeonnage des brûlures avec la quantité
pitoyable de Flammazine que j’avais à disposition, j’allais devoir m’armer de
ma patience, de ma pince et de mon scalpel pour mettre au propre ses plaies qui
ne l’étaient pas. En gros, j’allais devoir faire ce que l’interne des urgences qui aurait dû faire hier : mettre la
brûlure à plat…
Je travaillais avec toute
la précision d’un chirurgien, faisant sauter les peaux mortes, prenant garde de
ne pas blesser ou endolorir son patient. Arrivée à la dixième phlyctène, je
commençais à fatiguer, et il y en avait encore beaucoup d'autres. Je m’imaginais à cinquante ans, à genoux travaillant à
bout de bras avec toute la dextérité approximative que m’offrirait une presbytie
bien installée…
Mon patient était installé quasi-nu sur son lit, il ne bronchait pas, la gélule de morphine qu'il avait pris avant mon arrivée aidant certainement. J’étais à ses côtés, à genoux. Mes mains transpirantes rendaient mes gants en latex presque transparents. Je reprenais mes esprits pour me reconcentrer. Mais plus le temps passait et plus je sentais l'énervement monter en moi, sans pouvoir ni l'exprimer ni le montrer. C'était ni fait, ni à faire...
Mon patient était installé quasi-nu sur son lit, il ne bronchait pas, la gélule de morphine qu'il avait pris avant mon arrivée aidant certainement. J’étais à ses côtés, à genoux. Mes mains transpirantes rendaient mes gants en latex presque transparents. Je reprenais mes esprits pour me reconcentrer. Mais plus le temps passait et plus je sentais l'énervement monter en moi, sans pouvoir ni l'exprimer ni le montrer. C'était ni fait, ni à faire...
Une heure de pansement plus tard, mon patient se rhabille et ne
semble pas avoir trop souffert du soin et de sa longueur... J'étire ma
nuque, elle craque. J’ai mal aux genoux, je ne les sens plus vraiment. Une
heure de pansement pour un tout petit peu plus de dix euros net, dans des conditions non optimales et qui aurait dû durer
moins longtemps si le travail avait été convenablement fait à l’hôpital. Je
repars, en espérant que les prochains soins dureront moins longtemps…
Je me gare devant chez moi et je
regarde tout de suite les volets de mes filles. Ils sont baissés, elles doivent
dormir paisiblement. Je ne les ai pas vus depuis la veille au soir, je suis
agacée contre l’interne des urgences qui m’aura empêché de les voir en me rajoutant du travail parce qu’il
n’aura pas voulu faire le sien. Le dessert est toujours sur le siège passager,
il vient de passer une heure en plein soleil. Je suis sûr qu’il est
immangeable et je suis énervée contre cet étudiant en médecine qui m'obligera à manger un éclair au chocolat chaud et au glaçage coulant…