Bonjour Marisol, comment vas-tu ?
Oui, tu remarqueras que je te
tutoie et que je m’inquiète de ton état. Un peu comme je le fais avec mes
patients, ceux que j’apprécie bien. Mais ce n’est pas vraiment la sympathie qui
me fait te dire « tu », c’est
plutôt l’émotion qui me ferait oublier le protocole tu vois. Je me dis qu’en te
tutoyant et en te demandant comment tu vas, tu t’intéresseras enfin à moi, enfin
à nous, les infirmiers. Je t’imagine déjà lever les yeux vers les moulures du
plafond blanc de ton bureau en te disant surement « Mais qu’est-ce qu’ils ont encore ? Pourquoi vont-ils râler cette
fois ? ». Pour trois fois rien, je te rassure… Enfin juste pour deux
trois morts, cinq pour être précis.
Je viens de passer sur ton compte
Twitter et tu sembles toute peinée du décès de Sonia Rykiel. C’est vrai que c’était
une chouette nana qui a sacrément œuvré pour la mode en France et j’aurais
vraiment adoré qu’elle fasse quelque chose pour nos blouses blanches mal
taillées et pour ce code barre ingrat qu’ils persistent à nous coller sur le
haut de nos pantalons à l’élastique trop serré. Mais Madame Rykiel avait d’autres
préoccupations dans son milieu de la mode, un peu comme toi dans ton ministère…
13 juin, 24 juin, 5 juillet, 23 juillet, 13 août…
Ce
ne sont pas les dates de sortie de Pokemon Go, celle de la détérioration des baies
vitrées de l’hôpital Necker ou encore celle de l’arrivée sur nos plages du Burkini
qui avaient réveillé chez toi un réel intérêt, non. A ces dates, cinq
infirmiers se sont « simplement »
donné la mort, trois fois rien.
Je dis « simplement »
parce que ça ne t’a vraisemblablement pas touché, enfin pas au point d’en faire
un Twitt’ de 140 caractères en tout cas. Ils se sont suicidés parce que leurs
conditions de travail étaient telles qu’il leur était devenu inenvisageable de
continuer de soigner, et de vivre. Et ils en sont mort, cinq fois cet été. Cinq morts
Marisol. Ils ne s’appelaient pas Sonia, on ne connait d’ailleurs pas leur
prénom, c’était simplement des soignants, des blouses blanches mal taillées.
Alors je sais ce que se disent
certaines personnes (c’est peut-être ce que tu te dis toi aussi finalement) :
« S’ils ne supportaient pas leurs
conditions de travail : ils n’avaient qu’à démissionner ! S’ils
semblaient si fragiles : ils auraient dû faire un autre métier ! ».
Je l’ai entendu, je te promets, je l’ai entendu. Mais au-delà de la
tristesse d’entendre ces paroles dénouées de logique et bourrées de
jugement, ce qui m’accable le plus Marisol, c’est ton silence. C’est de ne rien
entendre de toi, notre Ministre de la Santé. Pas un mot, ou deux, ou trois,
pour exprimer une peine qui ferait écho à la nôtre... Combien faudra-t-il de morts Marisol ? Combien d'infirmiers vont se suicider avant que tu trouves opportun de t'exprimer enfin ?
Alors oui, Sonia Rykiel est morte
et j’en suis navrée crois moi… Mais pourquoi son décès mériterait quelques
caractères sur Twitter alors que tu persistes à conserver le silence face à la
mort de tes soignants ? J’ai finis par me dire qu’il faudrait mieux être
une baie vitrée qu’une infirmière, un Pokemon plutôt qu’un soignant ou que je ferais mieux de me balader en burkini sur une plage pour réussir à attirer ton
attention…
Je ne reviendrais pas sur les
sujets qui fâchent et qui m’ont souvent fais grincer des dents à ton égard. Sur le
développement des HAD qui me fait dire que tu cherches à enterrer les infirmières libérales
toujours un peu plus profondément dans le trou de la Sécu’. Je ne te reparlerais
pas du tiers payant généralisé et de ta loi santé dont tu es si fière et que
tu sembles brandir comme une pancarte au-dessus de ta tête pour
mieux nous en mettre un bon coup derrière la couenne, non. Je veux simplement
te parler d’humains en souffrance. Te parler d’humaine à humaine.
Parce que lorsque je lis dans ton dernier article
sur le fameux burkini que « Ce n’est pas la
République pour laquelle je me bats. », parce que lorsque je t’écoute ne rien
dire à tes blouses blanches en deuil, parce que quand j’entends ton silence et ton manque d’empathie
et de considération pour tes soignants, je me dis que « Ce n’est pas la République pour laquelle je suis allée voter. ».
J’ai de la peine,
vraiment, j’ai de la peine que tu n’en ais pas...
► Retrouvez mon autre coup de gueule publié récemment : " Moi, infirmière. "
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