- Profitez de votre hospitalisation pour bien vous reposer…
La vieille dame n’a pas voulu me
rendre ma main. Elle a posé son autre main pour tenir la mienne jointe entre
les deux siennes. Assise sur sa chaise en paille elle a levé sur moi
ses jolis yeux bleus délavés par les années : « Merci, merci, merci… Pour votre gentillesse, vous êtes
gentilles, vraiment gentille… ». Et puis la porte d’entrée s’est ouverte.
L’ambulancier, qui poussait devant lui son lourd brancard, venait de passer la porte de sa maison. En tapant dans l’escalier en bois il y avait eu ce bruit froid et métallique qui avait détourné les yeux de ma vieille patiente des miens.
Dans l’entrée,
un immense brancard l’attendait. Deux draps jaunes pales encore pliés allaient
bientôt emmitoufler son tout petit corps maigre et épuisé. Aujourd’hui, elle
allait quitter sa maison pour de bon. Parce qu’elle n’avait plus la force de lutter,
parce que plus aucun sourire ne relevait les deux coins de sa bouche ridée, parce qu’elle s’était résigné sans
vraiment avoir le choix :
- … Les ambulanciers sont arrivés, je dois vous laisser partir.
Et là je dois vous avouer :
j’ai un problème. Je suis des plus nulles pour dire « Au revoir ! ».
Enfin, je veux dire, je n’ai aucun
problème avec l’ « Au revoir »
classique à la caissière ou à celui de fin de soirée quand on sait qu’on
reverra les gens une prochaine fois. Mon problème à moi, c’est que je déteste profondément
les Adieux. Parce que quand on aime les gens, on veut forcément, et par tous
les moyens les revoir.
Du coup, je déteste chercher mes
mots pour un « A bientôt ! »
qui pue le « A jamais ! ».
Je m’agace moi-même de ne pas trouver la formule géniale qui détend ou la
phrase qui fait rire pour laisser un souvenir joyeux dans ce qui ne l’est pas.
Je me trouve cruche de parfois retenir une larme que je refuse de voir tomber ou
de garder au bord des lèvres des mots d’Amour que mon éthique professionnelle refuserait de laisser parler.
Parce qu’il y a des « Au revoir » vraiment
difficiles à prononcer…
Heureusement, il y en a des plus
faciles.
Il y a le classique, simple et rapide « Au revoir ! » au patient qu’on vient de prélever
et qu’on raccompagne à la porte de son cabinet. Il y a l’interminable « Bon, bah… C’est pas tout hein mais il faut
que j’y aille vraiment… Au revoir… Je vais devoir y aller… Vraiment là… Au
revoir… » alors qu’on essai désespérément de s’extraire de la maison
de cette vieille dame veuve depuis longtemps, qui a perdu son mari mais pas sa
langue et qui continue de vous parler alors que vous avez mis votre ceinture de
sécurité, claqué votre portière et qui semble continuer de discuter alors que
vous avez tourné au bout de la rue.
Il y a le redondant « Au revoir ! » qu’on répète tous les jours depuis des années aux même patients semblant à peine fatigués de savoir qu’on leur dira également « Bonjour ! » le lendemain matin encore et toujours. Il y a le « Au revoir, je ne vous dis surtout pas à bientôt ! » et le clin d’œil qui va avec alors que cette femme qu’on dit stérile et qui vient de subir un nombre incalculable d’injections se dit que de ne plus me revoir sera le signe qu’un enfant naitra bientôt, enfin.
Il y a le redondant « Au revoir ! » qu’on répète tous les jours depuis des années aux même patients semblant à peine fatigués de savoir qu’on leur dira également « Bonjour ! » le lendemain matin encore et toujours. Il y a le « Au revoir, je ne vous dis surtout pas à bientôt ! » et le clin d’œil qui va avec alors que cette femme qu’on dit stérile et qui vient de subir un nombre incalculable d’injections se dit que de ne plus me revoir sera le signe qu’un enfant naitra bientôt, enfin.
Et puis il y a ce matin…
Son regard n’avait de cesse de passer
du brancard à mes yeux et puis elle a fini par retirer sa main de la mienne
pour essuyer une larme qui coulait sur sa joue. Avec toute la pudeur qui lui
restait elle s’est mise à pleurer sans bruit. Je me suis penchée vers elle, j’ai
passé ma main derrière son dos maigre et j’ai serré avec force et douceur son
épaule. Je ne savais plus quoi dire à cette femme de caractère que rien ne
semblait pourtant ébranler et qui venait de s’effondrer pour la première fois.
Sa main toute maigre a touché la mienne qui était toujours sur son épaule. Sa
fille s’est penché vers elle et lui a dit : « Il faut qu’elle y aille Maman… » comme si elle sentait
que ni elle, ni moi n’avions envie de nous laisser partir, comme si elle
devinait qu’on était toutes les deux bloquées et que d’une certaine manière,
nous ne savions plus comment nous quitter. Alors je me suis accroupie devant elle, j’ai
serré sa main doucement dans la mienne et je lui ai dit, le plus simplement du monde :
- Au revoir Madame…
Oui, il a des « Adieux » vraiment difficiles
à prononcer…