- … C’est qu’on vient de s’implanter sur le secteur… Non... En fait notre démarche vise à décharger les infirmières dans leur travail en faisant intervenir des auxiliaires de vie pour les toilettes…
Quand j’étais petite, nous avions au moins une fois par mois la visite des témoins de Jéhovah. Ils devaient
certainement voir au travers des trois lettres « HLM » inscrites en bas de notre
immeuble, le manque d’oseille de ses habitants en carence de repères et de
croyance. Avec mon frère, nous faisions un pari à celui qui les retiendrait le
plus longtemps à la porte de notre logement. Nous avions rapidement
compris qu’en les retenant un maximum de temps, ils embêteraient un minimum de
gens.
Dans l’entrée de mon appartement,
je contrais tous leurs arguments. Je citais la bible, le Coran et la Bhagavad-Gita
que j’avais lu entièrement. Je ressortais les idées lues dans les Tout l’Univers,
les Quid et les dictionnaires. Du haut de mes dix ans, j'étais aussi effrontée que pouvait
l’être une enfant qui n'aimait pas franchement Dieu mais qui avait compris une chose : « Le Jéhovah cherchera toujours à te convaincre que tu as tort
tout en étant persuadé qu’il est en train de t’aider ». Mais j'étais du genre butée et j’avais trouvé là un moyen de passer le temps
en attendant que mes parents rentrent du travail...
Cet
après-midi et quelques années
plus tard, j’étais dans ma paperasse d'infirmière libérale et je
m’ennuyais un peu lorsque mon téléphone
a sonné. Une dame à la voix souriante et irradiante de bonté s'est lancé
dans un argumentaire imparable pour me présenter ses services. C’était
une agence de prestations à domicile : « On accompagne les personnes à leur domicile en leur permettant de
rester chez eux » ça puait l’accroche-cœur-avec-les-doigts et puis
elle a eu cette phrase malheureuse :
- Nos interventions auprès de vos patients pour les aider à se laver, vous permettraient de vous décharger en vous recentrant sur l’essentiel de votre métier…
Je me suis revue vingt années
plus tôt dans l’entrée de mon appartement. J’avais grandi, je n’étais plus effrontée mais j’avais
envie d’en découdre :
- Me recentrer sur « l’essentiel » ? Je ne
comprends pas bien, vous sous entendez que les soins d’hygiène ne sont pas le cœur
de mon métier d’infirmière ? C’est pourtant mon rôle propre et croyez-moi,
il n’est pas sale au point que je voudrais m’en « décharger », c’est ça que vous avez dit ? Oui certains
patients sont lourds, et dans tous les sens du terme croyez-moi, mais non ils
ne sont pas une charge. Je ne prends pas « En charge », je prends « En soin », c’est tout con, mais croyez ça fait une grande
différence.
Et non, je ne « croule » pas sous le travail et accompagner mes gens
pendant leur toilette j’en ai besoin. Pour me permettre d’avoir un revenu « fix »
déjà, et parce que ce lien moi, j’en ai besoin. Vous n’imaginez pas à
quel point les patients se mettent à nu lorsqu’ils le sont vraiment…
J'espère que ce n'est pas par soucis d'économie que vous me proposez vos
services et je ne sais pas combien vous facturez les aides à la
toilette mais moi je suis payée 10€45 brut, soit 4€18 en net la
demi-heure (pour une heure de toilette, c'est 18€40 brut, soit 7€36 net
de l'heure alors que le SMIC est à environ 7€58 net de l'heure)
Et puis vous me dites que vous intervenez chez les sujets âgés et donc
potentiellement poly-pathologiques ? Que vous intervenez auprès « d’handicapés » ?
Alors déjà moi, je dis « Personnes
en situation de handicap », je trouve ça un peu plus classe si on ne
veut pas réduire ces personnes à leur déficit... Vos employés ne sont pas
aides-soignantes et elles donnent des douches et manipulent des personnes dites
« fragilisées » qui nécessitent, pour moi, la surveillance d’un
personnel de santé formé et reconnu pour ses compétences. Moi je suis désolée,
mais je n’ai pas confiance.
Les
auxiliaires de vie, je travaille tous les jours auprès d'elles, je les
croise chez beaucoup de mes patients. J’ai énormément de
respect pour leur travail parce qu’elles permettent à beaucoup de mes
gens de
pouvoir encore profiter de leur logement. Mais pour les toilettes, je
suis
désolée mais c’est non !
Mais ma langue a ripé et je me suis simplement entendu lui répondre :
- Ça ne m'intéresse pas...- ... Si dans le futur vous changiez d’avis, n’hésitez pas !
J’aurais voulu lui balancer « Mais tu t’en tamponnes la rate de ce que je
viens de te dire ou quoi ? » mais mon « Bonne journée... »
poli est venu tacler l'arrière de mon crâne : c'était mon
Moi-de-dix-ans-effrontée et en mal de Jéhovah qui venait de me mettre une
pichenette derrière la tête. Il serait vraiment temps que les Jéhovah
reviennent frapper à la
porte de mon logement !