« Come as you are, come as you are, as i want you to be, as a friend, as a friend, as an old ennemy… » (Nirvana)
J’écoutais Kurt Cobain chanter la
sonnerie de mon téléphone bien calé dans la poche arrière de mon jean. J’ai
laissé sonner, je rappellerai plus tard. A genou sur le carrelage marron et
blanc de sa cuisine, j’étais en train de coller le dernier pansement des plaies
variqueuses qui recouvraient les jambes à la peau trop fine de ma vieille
patiente. La dame âgée n’avait pas entendu mon portable sonner tellement elle
était occupée à me parler de politique, de bondieuseries et de la guerre, les
coudes bien calés sur ses genoux. Ces trois sujets fétiches qu’elle me
ressortait à chacun de mes passages.
Ma patiente, c’était le genre à
être branchée toute la journée sur BFM TV. Lorsque j’entrais chez elle, je la
retrouvais le dos courbé en avant, le nez au ras de la télé à essayer de lire
le bandeau qui défilait toujours trop vite en bas de l’écran. Ma
patiente, c’était le genre à ponctuer ses phrases de « Si l’bon Dieu m’entendait ! ». Il
y avait un peu partout dans sa maison des photos de Jean-Paul II et de tous les
Papes que ses 95 années de croyance lui avaient permis de connaitre. Il y avait
des croix dans tous les coins de la maison et jusque dans les WC au-dessus du
papier toilette : « C’est parce
que je suis souvent constipée ! ». Je n’avais pas cherché plus loin que
l’idée qu’un Dieu qui avait créé l’Humanité devait certainement aussi avoir le
don d’en faire chier certains. Elle me parlait souvent de son père mutilé de la
première guerre et de la seconde qui lui avait causé bien des misères. Ma
patiente était du genre à souvent dire « A mon époque c’était pas comme ça ! », à me parler de
naguère, de dans l’temps et de cette époque que je n’ai pas connu et qui, à l’écouter,
me rassurait de ne pas être née soixante ansplus tôt.
- Allez à la semaine prochaine… Oui, ce sera moi… Oui… A la prochaine… Oui… Au revoir… Oui, bonne soirée… Oui oui la semaine prochaine !
J’ai claqué la porte de ma
voiture, soulagée d’avoir enfin réussi à la quitter. J’avais toujours du mal à partir
de chez elle. Pas parce que j’avais de la peine à la laisser seule dans sa
maison, non. C’était parce qu’elle avait de la peine à être seule qu’elle ne me
laissait pas partir de chez elle.
J’ai composé le numéro de mon répondeur pour savoir
qui m’avait appelé : un message pour de nouveaux soins à débuter dès
demain matin. J’ai rappelé de suite :
- Ahhh… Mince. Mais je suis désolée mais vous rappelez pour rien. J’ai confié les soins à quelqu’un d’autre !
- Mais vous m’avez appelé il y a peine quinze minutes en me laissant un long message me demandant de vous rappeler...
- Oui, mais bon… Comme vous ne me rappeliez pas, j’ai contacté le cabinet infirmier de la commune voisine.
Je l’ai salué en mode Sec &
Polie et j’ai raccroché le téléphone. Vexée. J’ai regardé le journal d’appel :
elle m’avait appelé huit minutes plus tôt.
Huit minutes. Ces huit minutes
plus tôt où j’étais accroupie devant ma vieille patiente qui me parlait
politique. Huit minutes pendant lesquelles j’ai écouté ma quasi-centenaire me
faire une analyse politique tout à fait personnelle :
- L’autre dame là, oui, Le Pen, je ne sais pas ce qu’elle vient faire en politique… Elle n’est pas faite pour ça. De toute façon, les femmes n’ont pas leur place dans la politique ! Et ces cheveux, là… Je vais vous le dire : une femme qui n’est pas distinguée au point d’être incapable de mettre deux barrettes pour tenir ses cheveux n’a pas sa place à la tête d’un Etat, non. Et c’est dommage car si elle avait eu une plus belle coiffure, j’aurai voté pour elle. L’autre là, le mignon. Macron oui… Oh si, moi je le trouve bel homme… LUI, il est distingué. Je vais voter pour lui parce qu’il est beau et qu’il est bien coiffé.
Hallucinant.
Je venais de passer
huit minutes à écouter une vieille dame, pas démente, mais presque me dire que deux
barrettes à cheveux l’avaient dissuadées de voter pour un parti d’extrême
droite. Elle n’avait pas prêté attention au fait que je lui dise que je
préférais voter pour ce qu’il y avait dans une tête plutôt que pour des
barrettes à cheveux, que les français devaient avoir une mémoire de 60 ans pas
plus au vu de ce que nous avions vécu pendant la dernière guerre qu’ils
semblaient avoir déjà oublié…
Huit minutes.
Huit minutes que j’aurai
peut-être dû écourter en décrochant mon téléphone pour remporter le soin
en mode « Vente à la criée à coups
de - Moi j’veux, moi j’veux ! -
» histoire de combler les trous de mon planning. Mais je suis une infirmière
polie et je n’ai pas décrochée.
Huit minutes que j’aurai
peut-être dû écourter en rappelant à ma patiente que je me refuse normalement de
parler politique surtout quand les arguments sont basés une coupe de cheveux,
des barrettes en oubliant que l’histoire d’un parti politique est en parti
responsable des misères de la guerre dont elle se plaint si souvent… Mais bon,
Le Pen est mal coiffée, la République est sauvée.