- … C’est ça, cause toujours !
Quel étudiant infirmier n’a pas au
moins une fois rêvé d’envoyer sur les roses cette tutrice de stage ? Tu sais, cette nana agaçante à peine plus âgée
que toi et qui a « diplômée d’état » étiqueté sur sa blouse blanche. Le grade qui fait toute la différence alors que
le seul diplôme médicale que tu n’as jamais reçu reste celui de ta dermatologue
le jour où elle t’a brulé ta verrue plantaire et que tu n’as même pas pleuré.
Enfin, presque pas…
Cette tutrice, c’est celle que tu
voudrais être, mais celle à qui tu ne voudrais pas ressembler. En fait tu
rêverais d’avoir sa blouse et son assurance pour lui faire manger sa
condescendance et ses boucles d’oreilles décidément trop grandes pour son si
petit cou. Tu voudrais être à sa hauteur pour lui dire de la fermer et de
garder pour elle ses conseils à la con. Mais tu es encore tout petit, même si
tu la dépasses d’une tête. Et de ta bouche d’étudiant ne sort ce jour là qu’un :
« Oui, oui. Bien sûr oui. ». Tu n’es qu’un Oui-Oui.
En attendant de quitter ton
bonnet à grelot, tu devras écouter une multitude de conseils plus ou moins
avisés venant d’une infirmière diplômée à grosses boucles d’oreilles. Tu hocheras
la tête, tu prendras un air contrit faisant mine de prendre pour acquis des conseils
parfois complètement aberrants mais qui, sortant de la bouche d’une diplômée,
ne peuvent que difficilement être remis en question. Heureusement, tu n’en penses pas moins et tu manies parfaitement bien ce « sourire
pleine narine » de circonstance. Celui qui te fera gagner des « +1 de
faux-cul » durant un stage.
Ce +1 m’aura sauvé à maintes
reprises alors que je trainais mes Crocs de stagiaire dans des services bourrés
de donneuses de leçon. J’avoue, pendant trois ans, j’ai été une « faux-cul
de Oui-oui » et ça n'a pas fait de moi une mauvaise infirmière par la suite…
Enfin j’espère !
« 'Faut se blinder ! »
[Neurologie, stage de
1ère année]
Se durcir, être aussi rigide qu’une
nonne et avoir la carapace aussi dure qu’un tatou. J’ai essayé, vraiment. Et j’ai
compris que je n’y arriverai pas, mais surtout que je n’en avais pas envie.
Quand j’ai vu son regard blafard, la tristesse avec laquelle elle poussait son
chariot de soin et l’agacement permanent qui émanait de ce petit corps gras enserré
dans cette blouse trop petite, je me suis fait une promesse. Celle de ne jamais
lui ressembler. J’ai toujours la caouane fragile et la flexibilité d’une
contorsionniste ankylosée. Je reste touchée par mes patients et il m’arrive de
pleurer… Mais beaucoup plus souvent de sourire et de rire avec eux.
« Fais ce que je dis, pas ce que ce que je fais ! »
[Uro-Hépato-Digestif,
stage de 2ème année]
Le grand classique qu’on a tous
entendu je crois. Le genre de phrase qui ne veut rien dire et qui émane généralement de la bouche de celle qui a de la bouteille. LA référence du
service. LE pilier semblant maintenir le bâtiment en équilibre. Celle qui est là depuis tellement longtemps qu’elle
réinvente les protocoles de soins en les adaptant à sa pratique. Celle qui est
à la fois adorée et détestée des médecins et qui porte toujours les anciennes
blouses : celles des années où les infirmières n’avaient pas de pantalon,
mais simplement une très longues blouses. Oui c’est ça, comme celle des médecins.
Le genre d’infirmière qui serait capable de te réinventer le Code Rousseau :
« Moi j’ai le permis depuis
longtemps, je peux me permettre de griller un stop ou de ne pas mettre mon
clignotant. Mais toi tu es en conduite accompagnée donc fais ce que j’te dis et
ne fais pas c’que je fais ! ». Un conseil, les distances de
sécurité sont à appliquer, surtout avec ce genre de soignant !
« Mieux vaut un
silence bien placé, qu’une phrase déplacée »
[stage en unité de soins
palliatifs, 3ème année]
Certainement le meilleur conseil
qu’on m’ai donné durant mes trois années d’études (juste après « Si tu veux manger gratis, pense
toujours à commander un plateau en plus ! »). C’est un conseil
que je m’efforce de mettre en pratique et qui m’a sauvé de pas mal de
situations où je pensais utile de combler le vide de ma douce voix. Foutaise.
Les patients ont besoin de présence, pas de ces paroles qu’on pense
réconfortantes alors que ce jouent des situations effroyables qui graveront à
jamais dans leur mémoires des mots maladroits.
« Tu vas t’occuper de la table là. T’as trois résidents à faire
manger en même temps et une quatrième à surveiller. T’as deux bras, tu devrais
t’en sortir ! »
[Stage dans une
maison de retraite de l’horreur, 1ère année]
Durant ce stage j’ai clairement
pris conscience qu’il y avait deux types de soignants. Ceux qui ont décidé de soigner
par bienveillance et presque amour du genre humain et ceux qui étaient entrés à
l’institut de formation parce qu’ils y avaient vu de la lumière… Mauvaise
expérience. Heureusement, j’ai découvert plus tard des maisons de retraites
extraordinaires ! Passons...
« Fais un pli pour injecter l’anticoagulant ! », « Ne
fais pas de pli pour injecter l’anticoagulant ! », « Tu ne
piques pas tant que je ne t’ai pas vu faire, t’as beau être en troisième année,
je ne te fais pas confiance ! »
[Stage de nuit en
soins intensifs, 3ème année]
Durant ce stage, j’ai sorti toute
la panoplie du « Faux-cul de Oui-oui
au sourire pleine narine ». J’ai joué l’équilibriste chaque nuit
pendant un mois. J’adaptais ma façon de soigner à chacune des infirmières avec
qui je passais la nuit. J’avais l’impression d’apprendre et de désapprendre à
chaque fois. Un calvaire à six mois du fameux examen du diplôme d’état…
« Ne te mets jamais, au grand JAMAIS face à une canule de
trachéotomie fraichement posée ! »
[ stage de chirurgie
ORL, 2ème année]
Ce conseil m'est revenu en mémoire
la semaine dernière alors que je débutais la diversification de ma fille à coup
de laitage. Il m'avait été prodigué par une soignante incroyable qui m'aura appris beaucoup de choses, dont celle d'éviter les glaires et les projections de sang involontaires des patients nouvellement trachéotomisés. Cet après-midi là, elle m’aura évité un masque
au yaourt de la part de ma fille !
Notre formation en soins infirmiers n'est finalement qu'une multitude de conseils plus ou moins avisés provenant de soignants plus ou moins investis. Certains font échos à notre pratique. Ils nous confortent dans notre choix d'avoir choisi un métier de soin au plus près de l'autre, quand d'autres nous rappellent qu'il n'existe pas vraiment de modèle de soignant.
Durant ces trois années d'études, j'ai écouté les conseils sans forcément les appliquer. J'ai encaissé les remarques sans toujours modifier ma pratique. J'ai accepté d'être jugée par des femmes qui n'avait de soignante que le nom et j'ai bu les paroles de mes mentors. Le plus important finalement n'a pas été de retenir les conseils qui m'ont parfois plongé dans le doute. Le plus important a été de ne jamais trahir ce que la naïve étudiante avait fait promettre à la soignante en devenir : ne jamais devenir l'infirmière blasée du fond du couloir. Celle qui se blinde et qui pousse mollement son chariot de soins.
« Finalement, l’important n’est
pas ce qu'on te conseille, mais ce que le con-sait ! »
[ça, c'est de moi ^^]
... Et bon courage aux étudiants infirmiers ! ^^