- Bon… Vu que vous n’arrivez pas
à vous lever, je vais vous installer sur le fauteuil de bureau et on va rouler
jusqu’à la salle de bain, ça vous va ?
Il était tard, il faisait nuit
noire dehors, ma tournée n’était pas prête de se finir et je devais trouver rapidement un
moyen de mettre en pyjama cette jolie petite dame qui m’attendait sagement, les
mains jointes sur son mouchoir en tissu à carreaux. Elle semblait s’amuser de me voir
traverser le salon alors que je me grattais le chignon à la recherche d’une
solution à cette douleur qui lui empêchait tout déplacement.
Ma tête pensait « On va pas y arriver… » mais
ma bouche lui a répondu « On va
trouver une solution ! ». Tel Mac Gyver qui luttait dans les
années 80 contre les attaques soviétiques avec un trombone et un élastique,
je devais avec trois fois rien combattre la goutte articulaire qui immobilisait
ma quasi-centenaire à sa table. Le fauteuil de bureau à roulettes qui n’avait
jamais servi allait donc faire office de fauteuil roulant. Je poussais
fièrement ma petite mamie vers le fond de sa maison en me disant que j’étais en
quelque sorte la Mac Gyver du soin, la coupe mulet brushinguée en moins…
Il faut dire que mon
métier d’infirmière libérale m'offre de nombreuses occasions de plonger tout droit dans
le petit écran de la télé et parfois même de jouer les présentateurs de jeux
télévisés.
« Oh oui oui oui, vous accédez à-la-fi-naaal ! ». Lui, c’est Julien
Lepers.
A fond dans le salon de toutes les chaumières, d’une porte à l’autre, d’un salon cosy à une cuisine qui sent bon la marmite, il me suit dans presque toutes les maisons de mes vieux patients. Il a bercé mon enfance chez mon grand-père _ fan ultime de son débit inimitable _ à tel point que parfois je l’imagine répondre aux messages énigmatiques trouvés sur mon répondeur « Oui, c’est pour un rendez-vous, merci d’me rappeler ! » et qui me gonflent autant que Julien Lepers a de bouclettes sur la tête :
A fond dans le salon de toutes les chaumières, d’une porte à l’autre, d’un salon cosy à une cuisine qui sent bon la marmite, il me suit dans presque toutes les maisons de mes vieux patients. Il a bercé mon enfance chez mon grand-père _ fan ultime de son débit inimitable _ à tel point que parfois je l’imagine répondre aux messages énigmatiques trouvés sur mon répondeur « Oui, c’est pour un rendez-vous, merci d’me rappeler ! » et qui me gonflent autant que Julien Lepers a de bouclettes sur la tête :
- Attentiooon, top ! Je suis un appel
mystère passé beaucoup trop tôt ce matin alors que j’étais en pleine bourre
pendant ma tournée dans un secteur de campagne qui ne capte pas un put*** de
bâton, je n'ai donné aucune information sur ce répondeur expliquant pourtant toutes les info qu’il
était nécessaire de laisser, je suis une demande de rendez-vous pour un soin
indéterminé à réaliser un jour inconnu pour un problème de santé obscur et
méconnu, je suis une personne de sexe masculin ou féminin on ne sait pas et à
ce stade en s’en fou et qui ne sera jamais rappelée parce que l’appel a été
passé en « inconnu » et que
les coordonnées ont été oubliées en même temps
que l’amabilité de l’appelant, je suis, je suis, je suis ??
… Dans la merde. Je suis dans la
merde. Merci Julien Lepers.
Dans le même genre, il y eu "Les Z'amours" et ce
patient âgé qui m’a interpellé alors que j’étais concentrée à refaire son
pansement : « Non mais vous me
comprenez quand je vous parle ? Vous me comprenez, vous ? Nan parce
que ça fait des années que je parle à ma femme et qu’elle ne comprend
pas ! »...
La dame en question est sortie de sa cuisine un torchon
entre ses mains, lui rappelant qu’il ne comprenait bien que ce qu’il voulait et
qu’il ferait mieux de se taire plutôt que de la faire passer pour sourde. Le
torchon brandi en l’air laissait supposer qu’elle n’était pas tentée de claquer
une des mouches qui aurait survécu au papier collant au dessus de ma tête, mais
qu’elle aimerait bien déboucher les oreilles sélectives de celui qui ne
semblait plus entendre que ce qu’il voulait. Je me suis vu en plein jeu télé pour couples en crise, la prise de tête du couple en direct-live entre un méchage de
plaie, un papier tue-mouche et moi tendant mon lecteur de carte vitale pour
tenter de me faire payer.
Il y a eu "Le juste prix" et cette
patiente que je voyais pour la première fois et qui m’a posé cette question : « Mais combien ça va me coûter que vous me fassiez tous les jours
une injection d’anti-coagulant avec en alternance un jour sur deux mes deux
pansements simples, sachant que vous voulez me faire le
tiers-payant ? ».
Je sentais un courant d’air au dessus de ma tête tellement j’étais absorbée par mes calculs mentaux et par la musique d'ascenseur qui décomptait le temps qu'il me restait avant qu'elle ne me fasse passer sur le plateau du "Maillon faible" :
Je sentais un courant d’air au dessus de ma tête tellement j’étais absorbée par mes calculs mentaux et par la musique d'ascenseur qui décomptait le temps qu'il me restait avant qu'elle ne me fasse passer sur le plateau du "Maillon faible" :
- Euh… Une cinquantaine
d’euros ?... Raté. Quarante euros ? Essaye encore… trente
cinq ? Ouiiii ! Félicitations, vous gagnez ce magnifique lot de
pansements bilatéral de genoux ainsi que son panier garni de lovenox !
En trois briques. "Cancer" : euh... bilan ?, "Ganglions" : hum... sein ?, "Gauche" : Je sais ! Vous avez eu un curage ganglionnaire à droite des suites d'un cancer du sein et je ne peux pas vous prélever qu'à gauche c'est ça ? Oui. Avec le temps je suis devenue super forte au jeu "Pyramide" ! Parfois les soins relèvent de
" Koh-Lanta ". Je dois alors en un minium de temps, trouver une place pour me garer, éviter les
flaques d’eau boueuses dans les cours, faire un pansement avec un paquet de deux compresses et mon couteau Suisse, protéger mes doigts et mes mollets des
chiens sauteurs lorsque les portes s’ouvrent « Non non, ne vous inquiétez
pas, il saute mais il est pas méchant, hein mon bébé ? », travailler
toute une matinée avec des grenouilles dans le ventre, une vessie prête à exploser
et une tête prête à imploser alors que le téléphone sonne encore toujours et que mon
répondeur me propose un énième « Rappelez moi, merci ! » avec un Julien Lepers prêt à sortir de ma boite à gants…
Quand ce n’est pas la télévision
qui envahi mes soins, ce sont les jeux de société qui rendraient presque ma
tournée ludique.
Je joue au "docteur Maboule" avec
tous mes patients, et les plus douillets me font péter des scores de
dextérité et de concentration. Je suis devenue une artiste à "Pictionnary" quand je dois, dans un minimum de temps, faire un schéma du cœur ou du rein pour ensuite me la jouer au Scrabble avec le mot "néphron". Je ressors régulièrement ma vieille Gameboy pour imbriquer mes soins dans un "Tétris" improbable alors que ma tournée est déjà pas
mal saturée. Je joue au "Qui est-ce ?" avec la petite dame qui
tient absolument à ce que je me rappelle ce monsieur : Mais si vous voyez
bien, celui qui a une moustache !. Je suis devenue une experte au "Ni
oui ni non" quand il est question de conserver l'anonymat et le secret professionnel de
mes patients, mais je persiste a rester nullissime au jeu "Labyrinthe"
tant je me perds souvent dans les rues et lieux dits de ce
patelin que je connais si bien, pestant au passage devant ces années de libérale qui ne m’auront pas
permis d’améliorer ce sens de l’orientation digne d’un pigeon mort.
Je ne comprend toujours pas le but du jeu "Risk" et les stratégies de conquêtes de territoires si j'en crois les vents que me mettent les consœurs des autres communes que je croise dans mon village. Je comprend aussi bien les ordonnances manuscrites des médecins qu'il m'est évident de terminer un Rubik's cube. J'ai acheté mon cabinet infirmier comme on achète des hôtels au " Monopoly ", sauf que mon bâtiment ne me rapporte rien d'autre qu'un emprunt sur quinze ans et un "Ne passez pas par la case prison". Il est parfois aussi dur de sortir de certaines maisons qu'il est simple de faire entrer son cheval dans la phase finale d'une partie de " Petits chevaux ", vous savez ce moment du jeu qui devient interminable... Le jeu des " 1000 bornes " n'en est plus un et je perds souvent à " La bonne paye " râlant de ce que je gagne au vu du nombre d'heures que je passe derrière mon volant.
Mais si "soigner n'est pas jouer", je peux être sûr d'une chose : en soignant je me marre quand même souvent, tâchons donc de garder notre âme d'enfant !
[ Petit clin d'oeil à notre Julien Lepers national qui semble prendre bientôt sa retraite : ]