- Et p*tain de b*rdel de m*rde !! 'Désolée
minouche !!
(Remplacer les étoiles de courtoisie par les lettres adéquates)
Ça c’est moi, la méga-jardinière en granit de ma vieille
patiente placée près _ trop près _ de sa porte d’entrée et de mon genou, et Minouche le chat
dont je venais d’écraser la queue. Il
faut dire qu’une fois la porte refermée derrière moi, la ruelle qui me faisait
face m’apparaissait comme une immensité noire dont mes pupilles rétractées par
la chaumière sur-éclairée m’empêchaient d’apercevoir les détails et notamment
le vieux chat rouquin venu me saluer. Je tâtonnais alors dans le noir, les bras
tendus, à la recherche de tout ce qui pourrait heurter articulations ou parties
molles de mon anatomie. C’était sans compter sur ce vieux matou qui m’adorait,
sur cette jardinière contre laquelle je pestais mais qui n’avait pourtant pas bougée depuis cinquante ans et sur mon absence totale d’anticipation
qui m’aurait fait sortir mon téléphone pour m’éclairer.
Je frottais mon genou endolori et
je caressais le pelage de Minouche qui n’était décidément pas rancunier. Je
pestais contre le noir, contre la jardinière et contre l'hiver en implorant le chat de m’avertir la prochaine
fois qu'il viendrait se frotter à moi. Je grognais, je rhooognais et je pffffutais, mais c’était la tournée du soir, alors j’avais un peu le
droit…
La tournée du soir, c’est celle
qui clôture ta journée de soins et qui vient tacler ton restant de motivation
en t’obligeant à te décoller de ton canapé pour repartir
soigner ceux que tu as parfois déjà vu le matin et qui n’attendent que toi depuis
ton départ. La tournée de soins de fin de journée c’est celle où tout se passe
et où tout te dépasse.
Je ne sais pas pourquoi, mais c’est
souvent le soir que les personnes âgées tombent, que les
patients meurent, que les gens pleurent, et que les genoux se heurtent aux
jardinières. Et bizarrement, toutes ces choses arrivent souvent l’hiver. Alors
qu’il fait nuit, alors qu’il fait froid, alors qu’il fait parfois les deux. L’hiver,
la tournée du soir se fait de nuit, et c’est parfois l’ennui…
Je marche en direction de ma
voiture et une chouette effraie me fait l’honneur de pousser son cris d’effroi
en volant au dessus de moi, qu’elle est belle ! Je démarre mon véhicule et
je traverse le bourg.
Les lampes à sodium des grands lampadaires donnent cette couleur
orangée-moches au bitume et aux chats qui osent sortir par ce grand froid. Les
volets en bois des maisons que je longe sont fermés. Les gens sont reclus chez eux
et on voit les cheminées fumer. Un frisson parcourt mon dos, j’aimerais bien
être cachée sous un pull chaud à col roulé devant une belle flambée. Il y a
cette maison devant laquelle je passe tous les soirs et qui me fait ralentir.
Des rideaux me cachent à peine la scène et chaque soir je prends un plaisir de
petite souris curieuse à regarder les enfants mettre la table ou jouer dans le
salon alors que dans la fenêtre d’à côté je vois le père ou la mère préparer à
manger dans la cuisine. Une vraie série-télé qui me réjouit et qui me rappelle qu’il est tard
et que mes puces m’attendent chez la nourrice… Je suis pressée de finir, mais
je fonctionne au ralenti…
Parce que la nuit a ce pouvoir
incroyable : elle endort.
Elle endort mon esprit alors que
j’arpente les chemins de campagne que l’éclairage publique semble avoir oublié.
Les virages que je connais par cœur se succèdent, les lignes droites s’enfoncent
dans le noir. Parfois, des yeux brillants se laissent capturer par mes phares.
Oh un lapin ! Tiens un renard ! Ca faisait longtemps que j’en avais
vu… Des yeux perchés bien haut vous forcent à arrêter la voiture, afin de laisser
passer ce chevreuil ou ce cerf que la nature vous donne l’honneur d’admirer.
Instant de grâce…
Je me stationne devant une maison
en pierre.
Le ciel au dessus de moi est clair et sans lune. Il fait froid et
mes oreilles me piquent, demain ça va geler, foi de fermier ! Le couple
qui habite la longère est angoissé ce soir. Parce que la nuit a ce triste
pouvoir de parfois endormir la joie, laissant la place aux peurs, surtout pour
ceux qui sont vieux ou bien malades. On ne se dit jamais qu’on va mourir en
pleine journée alors qu’on est en train de déjeuner devant la télé, non. Dans
la tête des gens, on meurt la nuit, en dormant ou en regardant le plafond, les mains crispées sur la couverture et les
yeux figés dans le noir. La nuit c’est aussi ça : la peur de la mort.
Parce que la nuit on lâche prise, on se laisse aller. Dans le noir de sa chambre
on pense à beaucoup de choses et pas toujours aux plus jolies…
C'est pas pour rien que les vampires, les zombies ou que loups-garous sévissent au clair de la lune... Et bizarrement, être seule et entourée de noir dans ma voiture me fait monter quelques angoisses. J'ai peur que ma voiture me lâche sur le bord d'une route sans réseau plongée dans la nuit, j'ai peur de cogner une bête et de me retrouver sans phare au milieu de nul part dans le noir, j'ai peur de croiser un fou du volant dans un ces virages dangereux et dans ses lignes droites interminables et de finir dans le fossé ou dans une boite, dans le noir... Finalement, je suis comme ceux serrant fort leur couverture la nuit en se disant "Pas maintenant !". J'enserre fort mon volant en espérant "Pas ce soir, il est tard, mes enfants m'attendent pour leur bisou du soir et mon mari pour me serrer dans ses bras...".
Mais comme j'ai ce brin de folie qui me fait dire que même ce qui est craint peut être beau et qu'il faut savoir s'ouvrir à tout même à ce qui peut faire peur, je me suis mise à aimer la nuit.
Mais comme j'ai ce brin de folie qui me fait dire que même ce qui est craint peut être beau et qu'il faut savoir s'ouvrir à tout même à ce qui peut faire peur, je me suis mise à aimer la nuit.
Parce que j’adore entendre les chouettes me saluer avant d’aller se cacher dans
le clocher. Parce que j’affectionne les odeurs de soupes et le son criards des
jeux-télé du soir. Parce que j’aime bien l’ambiance de fin de journée et les « Au
revoir à demain matin, passez une douce nuit, je mets la clé sous le pot ! ». Parce que j'aime bien les bilans de vie qui se jouent autour d'une cuillère en bois touillant un plat et les « Je suis
contente, la journée a été bonne ! ». Parce que j'aime les fermiers habillés tous les jours en bleu travail, qui se roulent une clope les yeux fermés et qui te disent «Oula,
vu le ciel ce soir, on va avoir droit à un lever de soleil à te damner un bon dieu ! ».
Parce que la nuit c’est aussi ça :
imaginer tout ce qui se passera le lendemain. Arpenter ce même chemin de campagne boueux
au petit matin au milieu des lapins fatigués. Un air froid à te glacer les alvéoles pulmonaires et l'étrange impression d'être la première à le respirer. Deux minutes perdues au milieu des champs, la fenêtre de la voiture baissée et mon thermos de thé fumant. Deux minutes d’un lever de
soleil incroyable qui me fait dire que la journée m’appartient. Qu’elle peut
être encore plus belle que celle de la veille et qu’elle sera différente de
celle du lendemain. Que tant qu’on prendra plaisir à voir le soleil se coucher,
on continuera d’aimer le voir se relever.