- Bah alors, vous faites pas grève comme vos collègues à la télé ?
D’un mouvement de menton auréolé
d’un large sourire, mon patient m’indiquait son écran de télévision et le
journal de 13h diffusant un rapide reportage sur les grèves des hospitaliers.
On pouvait voir quelques soignants regroupés avec des banderoles et des
messages de revendications. Tout en préparant mon matériel, je lui ai répondu « Bien sûr que je fais grève, mais
comme la majorité de mes collègues je continue de travailler ! ».
Il a eu ce petit rire-soufflé par les narines, le genre de son auquel je ne
prête habituellement aucune attention mais qui m’a énervé, un peu, beaucoup ce
matin-là.
Le suicide des cinq infirmiers de
cet été il n’en avait pas entendu parler, ni dans les journaux, ni à la télé. Ce
n’était pas de sa faute après tout puisque tout le monde semblait s’en foutre. Il
ne savait pas que les aides-soignants se suicidaient aussi, tout comme les
médecins, ou même les kiné’ qui assuraient les rééducations comme la sienne.
Non. Lui, il avait simplement vu qu’on faisait grève à la télé avec quelques
banderoles faites avec des draps blancs et il s’était peut-être dit que les
soignants n’étaient que des gueulards, comme tout bon français qui se respecte.
Semblant satisfait de sa dernière
réflexion, mon patient tout sourire m’a salué pour me dire au revoir. Et alors
que je m’apprêtais à partir je lui ai dit : « Vous savez, peut-être que demain, je ne serais plus là… ».
Son sourire est retombé. Je me suis expliquée et je lui ai raconté. Je lui ai
raconté ce que c’était que d’être soignante, ce que c'était d'être infirmière, ce que c'était d'être moi.
Moi étudiante infirmière, j’ai fait
trois ans d’études pour m’occuper des gens, pour soigner mes patients. Trois années
pour apprendre les concepts d’empathie et de bienveillance, pour soigner au
mieux, pour soulager comme on peut. Trois ans pour apprendre les bons gestes
pour guérir parfois, pour soutenir souvent, pour accompagner toujours et vers
la mort quelques fois.
Moi étudiante infirmière, j’ai été formée pour comprendre que ce métier je l’aimais autant que j’aimais ceux que j’avais au bout de mes pinces kocher et de mes aiguilles aiguisées.
Moi étudiante infirmière, j’ai été formée pour comprendre que ce métier je l’aimais autant que j’aimais ceux que j’avais au bout de mes pinces kocher et de mes aiguilles aiguisées.
Une formation pour intégrer au plus profond de moi-même
les plus belles valeurs du métier d’infirmière que je tenterais ensuite d'amener naïvement sur le terrain tel un petit Bisounours rose "Force-in-Love" avec un cœur sur le ventre blindé d'envie d'aider l'autre et à la motivation boostée par ce sentiment d'utilité. Mais voilà, le diplôme en poche et la réalité en pleine face j'ai pris mes fonctions et mon Bisounours a perdu son p'tit coeur arc-en-ciel...
Moi infirmière des services
hospitaliers, j’ai vu la notion de « rentabilité »
éclater celle « d’humanité »
si chère aux cœurs des soignants. J'ai vu les postes de mes collègues
partir en retraite ne pas être remplacés, j'ai vu mes collègues se mettre
en arrêt sans être remplacés, j'ai vu des collègues incroyablement
douées cumuler les CDD et connaitre l’intérim et sa précarité.
Moi infirmière, j’ai vu mes collègues motivées courir d’une chambre à l’autre pour répondre à l’urgence, aux besoins et aux exigences des patients pas toujours indulgents. J’ai vu les tisaneries (les salles de pause) vides de soignants qui n’avaient pas le temps de se poser, parce qu’il y avait toujours plus de soins, toujours plus de patients dans le besoin, parce qu’il fallait toujours faire plus, toujours plus vite en évitant la faute et en espérant n’avoir rien oublié.
Moi infirmière, j’ai vu des soignantes rester après leur travail parce qu’elles ne voulaient pas laisser celle qui prenait leur relève dans la merde alors qu’elles l’étaient déjà elles-mêmes. J’ai croisé des collègues en train de pleurer dans les toilettes, ces mêmes toilettes dans lesquels elles n’avaient même pas eu le temps de se poser pour pisser de toute la journée.
Moi ancienne infirmière des services hospitaliers, on m’a souvent pris pour un pion qu’on pouvait changer de poste, réadapter à souhait et manipuler au besoin. Et un jour, dans les toilettes, moi aussi j’ai pleuré. Pleuré ce sentiment d'avoir mal travaillé… Et je suis partie. Je suis partie à domicile en pensant qu'en libéral je serais plus libre...
Moi infirmière, j’ai vu mes collègues motivées courir d’une chambre à l’autre pour répondre à l’urgence, aux besoins et aux exigences des patients pas toujours indulgents. J’ai vu les tisaneries (les salles de pause) vides de soignants qui n’avaient pas le temps de se poser, parce qu’il y avait toujours plus de soins, toujours plus de patients dans le besoin, parce qu’il fallait toujours faire plus, toujours plus vite en évitant la faute et en espérant n’avoir rien oublié.
Moi infirmière, j’ai vu des soignantes rester après leur travail parce qu’elles ne voulaient pas laisser celle qui prenait leur relève dans la merde alors qu’elles l’étaient déjà elles-mêmes. J’ai croisé des collègues en train de pleurer dans les toilettes, ces mêmes toilettes dans lesquels elles n’avaient même pas eu le temps de se poser pour pisser de toute la journée.
Moi ancienne infirmière des services hospitaliers, on m’a souvent pris pour un pion qu’on pouvait changer de poste, réadapter à souhait et manipuler au besoin. Et un jour, dans les toilettes, moi aussi j’ai pleuré. Pleuré ce sentiment d'avoir mal travaillé… Et je suis partie. Je suis partie à domicile en pensant qu'en libéral je serais plus libre...
Moi infirmière libérale, je dois soigner tous les jours mes patients avec toute l'ambivalence d'une bête à trois têtes. Celle de la chef d'entreprise devant rester rentable pour payer les 50% de charges sur mes soins en faisant des prises de sang à 3€04 net. Celle de la comptable qui essaie de ne pas faire d'erreur, qui reçoit des rejets de la CPAM sans comprendre, qui parfois ne se fait pas payer de ses patient et qui grince souvent des dents devant cette étiquette de fraudeuse qu'on nous colle en permanence en pleine tête. Celle de l'infirmière qui prend soin de ces gens qu'elle connait par cœur en parcourant avec sa voiture 800 km par semaine à travers les champs pour 2€50 par patient.
Moi infirmière libérale je dois supporter la solitude qui pèse parfois sur ma spécialité. L'agressivité et parfois la brutalité de certains de mes patients. La petite peur qu'on pense irrationnelle de se dire qu'on ne ressortira jamais d'un logement dans lequel on entre seule et celle de se dire qu'un jour peut-être je finirai avec une balle dans le thorax comme ma consœur Mireille abattue il y a deux ans dans le plus grand silence des médias et du Gouvernement...
Vous me direz peut-être que les infirmières se plaignent beaucoup et qu’elles n'ont qu'à changer de métier si leurs épaules ne sont pas assez larges pour entrer dans leurs blouses blanches mal taillées. Vous aurez peut-être raison, mais n'oubliez pas une chose, une simple chose : derrière nos conditions de travail qui se détériorent, c'est la qualité de vos soins qui se dégrade, et si nous ne pouvons plus vous soigner, qui le fera pour nous ?
Vous aurez tous un jour besoin de nous, j'en suis désolée, mais c'est une réalité. L'humain tombe malade, l'Homme souffre et parfois meurt. Que vous soyez pauvre ou riche, français ou étranger, nous serons là. Que vous soyez le patient malade qu'il faut soulager ou le proche inquiet que l'on devra écouter et réconforter, nous serons là. Nous serons là... Mais jusqu'à quand ? J'espère que ce jour-là l'infirmière, l'aide-soignante ou le médecin qui vous tendra la main aura encore la force de vous sourire, de vous écouter et de vous soigner, sans ça vous l'aurez compris, ce sera tout un système de santé qui sera peut-être déjà condamné.
La santé de tous est
en danger.
Sans moyens pour mieux vous soigner, ce sont vos soignants et votre santé que vous condamnez.
► Retrouvez mon autre coup de gueule publié récemment dans lequel je m'adresse à Marisol Touraine pour lui demander de briser son silence aberrant face aux suicides des infirmiers : " Combien faudra-t-il de morts Marisol ? "