- Nan mais c’est parce qu’il fait froid ‘pis il va bientôt y avoir la grippe tout ça… Qu’est-ce qu’on peut faire, dites-moi, pour pas avoir la grippe ?
Mais plein de choses madame ! Voilà ce qu’avait répondu la pharmacienne à la vieille dame telle une petite
marchande prête à lui proposer moult produits pouvant lui éviter de finir au
lit ou dans une boite en sapin.
C’était mon jour de repos, je faisais la queue
à la pharmacie et j’attendais mon tour pour acheter deux trois médicaments pour
calmer la vieille toux de ma fille. J’étais à quelques mètres de cette charmante petite mamie qui dépassait
à peine le comptoir auquel elle s’agrippait et je la regardais, impatiente
d’entendre ce que la pharmacienne allait pouvoir lui proposer pour lui éviter
la méchante grippe dont elle se serait bien dispensée cette année.
« Le vaccin ! Je réponds le vaccin !! » Enfin,
ça c’était moi et la réponse que je lui aurais crié aux oreilles si on m’avait
posé la question. C’est que je me faisais tellement suer plantée là à attendre
mon tour entre le rayon des dentifrices à la menthe et
celui du paracétamol au cappuccino que je les imaginais toutes les deux dans un
jeu télévisé :
- Attention Martine… Top ! Je suis une petite mamie de 80 ans et plus qui s’inquiète de cet hiver qui la fera renifler, peut-être se moucher, voire même être carrément grippée au fond de son lit recouvert de ce magnifique édredon en plume de canard et qui se demande ce qu’elle pourrait bien prendre pour ne pas attraper cette fichue grippe qui tue chaque année autant qu’une bonne grosse canicule, je prends, je prends, je prends ???
« De l’homéopathie ! » Hein ? Ouais. Des
granules…
La pharmacienne est alors sortie
de derrière son comptoir pour montrer le magnifique présentoir fraichement
installé par le représentant en granules. Une dose par semaine pendant la
saison hivernale et une dose à reprendre deux à trois fois par jour avec six
heures d’intervalle en cas d’état grippal. J’ai senti la vieille dame aussi
pommée que moi dans les explications de la pharmacienne. Mais confiante, la cliente a sorti son porte-monnaie et a payé les 29€95 demandés avant de partir avec sa boite de 30 doses de granules.
Je pensais que la pharmacienne
lui proposerait le vaccin anti-grippe moyennant la prescription que sa vieille
cliente avait dû recevoir par la poste puisqu’elle avait plus de 65 ans. Qu’il
lui suffirait de demander à une infirmière de le lui injecter pour 6€30 et
qu’elle serait ainsi protégée jusqu’au printemps. Non. La pharmacienne lui a
demandé de retirer sa carte bleue du lecteur et elle lui a seulement souhaité
une belle journée. Moi je lui ai mentalement souhaité qu’elle ne fasse pas
parti des 18 300 grippés décédés l’hiver dernier.
Mon tour est arrivé. Pendant que
la pharmacienne traitait mon ordonnance je regardais le bel étalage des granules
oranges et ce qu’il y avait marqué derrière les boites : du concentré
de foie et de cœur. Comme quoi, je devrais manger les abats plutôt que de les refiler à mon chat...
- Il vous fallait autre
chose ?
« Oui, pouvez-vous me dire
combien coûte le vaccin contre la grippe s’il vous plait ? Un patient m’a
posé cette colle la semaine dernière et je serais assez curieuse de savoir combien
il coûte. » Pour être honnête, c’était complètement faux. Les patients
s’intéressent rarement au prix de ce qui ne leur coûte rien.
- 6€10. (J’ai fait un rapide
calcul : 6€10 de vaccin + 6€30 d’acte infirmier = 12€40 pour un traitement
contre la grippe, deux fois et demi moins cher que les granules).
Vous allez vous faire vacciner vous ? Ok... Moi ? Non, je l’ai fait
une fois il y a plusieurs années et j’ai été tellement malade… Du coup, ce
vaccin contre la grippe là, je n’y crois pas vraiment !
Stupéfiant. Je comprenais mieux
pourquoi elle n’avait même pas proposé le vaccin anti grippe à la vieille
dame. J’avais moi-même été malade une fois mais jamais je n’avais osé remettre
en question la vaccination qui avait bien fonctionné pour moi depuis dix ans.
Je suis remontée dans ma voiture.
En mettant le contact, France Inter a résonné dans l’habitacle. C’était une
émission dans laquelle la représente de l’Ordre des pharmaciens remettait sur
le tapis l’histoire de la vaccination en officine à grand coup d’étude
officielle.
En se basant sur un sondage réalisé auprès de 983 personnes, elle estimait pouvoir
augmenter la couverture vaccinale de près de 8 millions de Français en leur
permettant de se faire vacciner à la pharmacie. Six français sur dix (enfin,
des 983 sondés hein, pas de la France entière) semblaient favorables à se faire
vacciner dans leur pharmacie parce qu’il leur semblait plus simple d’aller se
faire vacciner pour 10€ dans une des 22 000 pharmacies du territoire plutôt
que de prendre rendez-vous avec une des 100 000 infirmières libérales de France.
« Et puis c’est une question de confiance aussi ». Le mot était
lâché. Il faisait bizarrement écho dans ma tête ce mot « confiance ».
J’ai vu un facteur avec du courrier dans la main entrer dans la pharmacie devant
laquelle j’étais toujours garée. Mais c’est bien sûr !
- Le saviez-vous ? 92 % des Français disent faire confiance à leur facteur !
Cette phrase, je
l’avais lu la veille dans un article du Ouest-France. A partir de janvier 2017,
les facteurs livreront les piluliers au domicile de leurs clients : « Bonjour
Madame, je vous donne votre pilulier refait avec des traitements auquel vous ne
captez rien mais c’est pas grave parce que moi non plus, bonne journée ! ».
C’était la nouvelle offre pour 19€90 par mois que proposait maintenant la Poste
en partenariat avec les pharmacies locales…
Les piluliers, je les réalise
déjà à domicile. Une sorte de kit-complet de soins et de surveillance
hebdomadaire durant lequel je check la pression artérielle, le pouls, la
saturation en oxygène, le poids, éventuellement l’état cutané, l’alimentation, les
risques encourus au domicile et où je surveille l’observance des traitements et
les éventuelles erreurs de prise pour un recadrage et d’éventuelles
transmissions au médecin traitant. Tout ça pour 13€10 par semaine.
Comment
j’allais faire le poids moi, toute petite infirmière de campagne, contre les
pharmacies et leur confiance derrière le guichet et contre les facteurs et leur 19€90 par mois ? Comment j’allais argumenter l’utilité de
conserver ce lien à domicile pour éviter les erreurs de prise, pour éviter que
mes patients ne deviennent que des piluliers distribués entre leur facture EDF
et leur commande Damart ?
J'ai passé la première et je me suis dit qu'entre les HAD qui ont récupérée les perfusions à domicile et les SSIAD qui font de plus en plus de soins d'hygiène. Qu'entre les pharmacies qui vont vacciner dès l'année prochaine et les facteurs qui vont maintenant distribuer les piluliers, j'allais devoir jouer sur autre chose qu'une simple «confiance» avec mes patients pour que ma spécialité ne soit pas vouée à disparaitre au profit du profit...