- Alors, tu leur souhaites quoi à tes patients depuis ce matin ? La santé ?
Même pas. Ce n’est pas
que je souhaitais à mes patients d’être malade pour m’éviter le chômage
technique non. C’est juste qu’aujourd’hui, j’avais du mal à souhaiter la santé
à ceux qui l’avaient déjà cherché toute l’année… Et puis, j’ai pris le
volant et j’ai débuté ma tournée de soins prête à entendre les « Et bonne année ! »
faisant suite aux traditionnels « A l’année prochaine ! » de la
veille.
Dans la lumière de mes
phares, je suivais dans le noir les lignes blanches et sinueuses dessinées sur
le bitume noir de mes routes de campagne. Le village était désert et la nature
figée par cinq jours de givre à - 4°c. J’ai croisé un lapin qui, un peu comme moi, se
fichait pas mal qu’on ait changé d’année.
J’étais fatiguée, j’avais un peu de
mal à me motiver et j’avais froid. Et puis les portes de mes patients se sont
ouvertes et mon sourire est revenu. Devant les cheminées qui me
réchauffaient la couenne, j'ai soigné ceux qui m'attendaient et qui semblaient heureux et peinés de me retrouver en ce jour férié...
Mon coton venait
essuyer la goutte de liquide qui sortait de la cuisse de laquelle je venais de
retirer mon aiguille. La jeune femme m’a remercié sans que je comprenne
pourquoi. Elle était souriante et épuisée. Une belle année débutait pour elle,
du moins elle l’espérait. Une greffe prévue dans la semaine devrait lui
permettre de se débarrasser du cancer qui parcourait ses veines. Cette
saloperie qui l’avait fait douter plus tôt dans l’année, qu’elle aurait suffisamment
de force pour réussir à réveillonner. Je me suis imaginée lui souhaiter du
courage, toujours plus de courage.
Les yeux fixés sur la
tubulure, je regardais la bulle d’air s’évacuer alors que je purgeais la
perfusion de mon patient. Entouré de sa femme, de ses enfants et de son chien,
l’homme ne pensait même pas qu’il aurait réussi à quitter les murs de l’hôpital
pour fêter la nouvelle année auprès des siens. Parce que le Parkinson a le
sombre pouvoir de ralentir le corps, la vie et l’envie. Depuis que le
traitement de perfusion lui administrait en continu son traitement, il revivait, littéralement. Jardinage,
promenade avec le chien, soirée-canapé-télé avec celle qui le regardait avec des
yeux pétillants de cet amour qu’on ne voit que rarement avec le temps qui passe…
Je me suis imaginée lui souhaiter d’avoir du temps, encore du temps.
Je suis passée devant
chez toi. Les volets étaient fermés. Je ne les ai pas ouverts car tu n’étais
pas chez toi. Plus depuis un moment, depuis que les médecins avaient
décidé que tu n’étais plus en capacité d’habiter cette maison qui avait vu
grandir tes enfants et mourir ton mari. En allant voir ton voisin, je n’ai pu m’empêcher
de penser à toi, au fond de ton lit d’hôpital dans des draps puant le
désinfectant. J’ai caressé ton chat qui était dehors et qui avait froid.
Personne ne s’occupe de lui… Est ce qu’on s’occupe bien de toi là-bas ? Est-ce
que les soignantes de ton service t’ont mis les petits cotons à démaquiller
contre la peau de ton dos pour la protéger des agrafes de ton soutien-gorge ?
Est-ce qu’en te coiffant elles ont elles aussi eu ce petit mouvement de brosse
vers le haut pour permettre à ta boucle rebelle de se discipliner ? Est-ce
qu’on trouvera à nouveau le moyen de te faire passer le pas de ta porte pour te
permettre de te promener dans ton jardin, pour te laisser te coucher à pas d’heure
alors que tu regardes la télé avec ton chat qui te réchauffe les pieds. Est-ce que
j’aurais encore l’occasion d’ouvrir tes volets en te disant « Allez on
laisse entrer le soleil et ses rayons et on laisse partir le sommeil et ses
misères ! »… Je me suis imaginée lui souhaiter de rentrer, de rentrer…
Toute la matinée j’ai
eu le droit aux vœux chaleureux de mes patients. A quelques chocolats, à des thés chauds que j’ai eu du mal à refuser. A des « Mercis »
sincères et touchants qu’une année de bilan laissait parfois échapper. A des
sourires parfois tintés d’inquiétude et de fatigue et à des visages ouverts
et heureux de se dire qu’une mauvaise année se terminait et qu’une bien
meilleure allait débuter, sans mauvaise note ni égratignure, comme dans un cahier neuf d'écriture.
Avant de refermer sa
porte, j’ai profité comme tous les soirs de la lumière du couloir encore allumé
pour trouver le trou de la serrure que la rue et son obscurité m’empêchait de
trouver. Depuis trois ans que je fermais cette porte tous les soirs, je n’avais
plus besoin de voir où poser ma main. Mon index trouvait à chaque fois le
bouton qui éteignait la dernière ampoule en plongeant dans la pénombre cette
maison déjà habitée par le silence. En repartant, je suis passée devant le
volet de la chambre que je venais de fermer. J’étais en retard, elle m’en avait
voulu tout comme la veille alors que j’étais pourtant à l’heure. Quand elle ne reprochait
pas le retard de ses soignants, la vieille dame pestait contre le temps de
dehors, le soleil et la pluie ou contre le temps de sa vie ennuyeuse et contre les aiguilles qui
n’avancent pas assez vite…
Ma patiente vivait entourée d’une épaisse couche de solitude qui pesait d’un coup bien lourd sur sa couenne de vieille en ce jour de réveillon. Comment lui en vouloir de pester contre tout ce qui lui rappelait qu’elle n’avait qu’elle pour se tenir compagnie ? Ce soir, tout le monde fêtait le réveillon, s’embrassant et s’empressant de passer à l’année suivante. Elle, regardait surement le plafond noir de sa chambre sans même savoir que les deux aiguilles de son réveil s’étaient alignées pour fêter la nouvelle année… Je me suis imaginée lui souhaiter d’être entourée de ses proches qui ne l’étaient plus.
Ma patiente vivait entourée d’une épaisse couche de solitude qui pesait d’un coup bien lourd sur sa couenne de vieille en ce jour de réveillon. Comment lui en vouloir de pester contre tout ce qui lui rappelait qu’elle n’avait qu’elle pour se tenir compagnie ? Ce soir, tout le monde fêtait le réveillon, s’embrassant et s’empressant de passer à l’année suivante. Elle, regardait surement le plafond noir de sa chambre sans même savoir que les deux aiguilles de son réveil s’étaient alignées pour fêter la nouvelle année… Je me suis imaginée lui souhaiter d’être entourée de ses proches qui ne l’étaient plus.
Alors lorsque mon dernier patient de la soirée m’a
demandé ce que j’allais souhaiter à ceux que je soignais pour cette nouvelle année, je
lui ai simplement répondu :
- De l’Amour, beaucoup
d’Amour. C’est tout ce que je souhaite à mes patients.
Parce que la santé des
fois on ne l’a pas, parce que le fric des fois on en a plus. Alors que l’Amour on
ne devrait jamais en manquer et alors que l'Amour, on ne souffre jamais de trop en avoir.
Je reste cette nana naïve qui se dit qu'avec de l'Amour on peut tout faire, tout réussir et tout combattre. Qu'avec de l'Amour, simplement de l'amour, nous pourrions éviter tellement de misère et de souffrance, tellement de peine et d'intolérance.
Alors à toi qui est en train de me lire, je te souhaite une belle année 2017 rempli d'Amour. Beaucoup d'Amour à te gonfler le cœur de joie, la tête de bonheur et de paillettes à t'en éclater la panse !