vendredi 27 janvier 2017

Coup de gueule infi' # 25 : La fraude, France 2, mon périnée et Pénélope.



- 231 millions d'euros, c'est la fraude à l'assurance maladie. +46% en cinq ans. Attention, il ne s’agit que de la triche "détectée", autrement dit la partie émergée de l'iceberg. Actes fictifs, surfacturations, les professionnels de santé sont les premiers fraudeurs. Alors comment font ceux que l'ont appelle les "Détectives de la Sécu'" ?...

David Pujadas avait à peine commencé la phrase d'introduction de son reportage que je commençais à m'étouffer avec mon thé trop chaud et le morceau de sandwich que j'avais dans la main. J'ai reposé ma tasse, sidérée en écoutant le reste du reportage. 

Je venais de rentrer à mon cabinet après sept heures de soins non-stop avec une otite qui m'arrachait l'oreille depuis des jours et une fièvre persistante qui m'aurait donné envie de me vautrer sous la couette en chialant. J'ai jeté ma mallette de soins sur le fauteuil de prélèvement en tentant de dénouer mon épaule douloureuse avant de remplir à nouveau cette sacoche qui me permettrait d'aller soigner mes patients du soir. Ma vessie me remerciait de l'avoir enfin vidangé et elle croisait secrètement les uretères en espérant que je ne serais pas un jour contraint de la cathétériser pour lui éviter l'engorgement. Moi qui était si fière de ma vessie d'infirmière aussi forte et puissante qu'un tank, je devais bien avouer que depuis mon installation en libérale, elle était tout aussi vaillante qu'une vieille auto qui ne passerait pas le périph' parisien en période de pollution

La faute à mes deux grossesses ? Peut-être...

Et puis j'ai repensé à la période où j'ai bossé jusqu'à mes huit mois de grossesse en me sortant de ma voiture aux forceps 30 fois par jour pour reprendre mes tournées de soins un mois et demi après mon accouchement parce qu'il fallait que je rembourse le prêt que j'avais dû effectuer auprès de mon conjoint pour pouvoir payer ma remplaçante et mes charges. Ça avait dû y être pour quelque chose... Et puis je me suis revue demander aux patients de m'aider à me relever parce que j'avais dû m’accroupir ou m'agenouiller autant de fois que nécessaire pour effectuer leurs soins dans des conditions inadaptées alors que ma rééducation du plancher n'était pas complètement terminée.. Ça devait y être pour quelque chose aussi...

Mais accusons les grossesses oui, saleté de périnée !


Et puis dans le reportage, on aperçoit Martine, la nana de la CPAM qui réceptionne les dénonciations d'actes fictifs : " L'assuré nous signale que le docteur utilise sa carte vitale pour effectuer des actes fictifs.", bouh le médecin traitant ! 
Martine, elle a ce petit haussement d'épaules quand elle en parle, elle bute sur ces mots. On sent bien que Martine n'a pas l'habitude de recevoir du monde dans son bureau. Et puis là c'est France 2 quoi, alors la "détective de la sécu'" décroche son téléphone devant la caméra et nous montre comment elle procède. 

Elle appelle le médecin qui doit se sentir tout con d'un coup de devoir justifier de son travail auprès d'une nana qui ne sort jamais de son bureau pour voir comment ça se passe sur le terrain, dans les cabinets des médecins de ville et de campagne. Une nana qui ne se doute peut-être pas que ce même médecin en a peut-être ras le bol de fermer la porte de son cabinet le soir en se disant qu'il a encore effectué une vingtaine d'actes gratuits (mais non fictifs) aujourd'hui. Parce qu'il y a ces ordonnances demandées par téléphone à déposer au secrétariat, ces coups de fils pour rassurer la patientèle ou pour assurer la continuité des soins, ces bonus de fin de consultation dont il se passerait bien où le mari de la femme tout juste auscultée dit qu'il tousse aussi mais qu'il n'a pas sa carte vitale...
Alors le médecin tousse lui aussi, mais de ras le bol de se dire qu'il va encore s'asseoir sur une consultation. Et puis il y a ce petit monsieur qui a besoin d'un renouvellement de son ordonnance. Il s'y est pris un peut tard, il s'excuse au téléphone, il demande si le médecin peut la lui faire quand même et le médecin accepte. Et le docteur facture à distance l'acte sans la carte vitale, pour une fois, parce qu'il en a peut-être marre de bosser gratuitement..

Et Martine, celle qui bute sur les mots, appelle le médecin qui d'un coup bute sur les siens de se faire accuser de fraude...

Alors bien sûr, il y a de vrais gros fraudeurs et David Pujadas il aime ça lui la fraude, parce que ça fait de l'audimat. Il insiste sur les mots qui agacent, sur les mots qui font peur aux contribuables. Il parle avec ses mains et ça rend bien :
Au niveau national, les premiers fraudeurs sont les infirmiers libéraux, 55%...
Bam ! Le téléspectateur souffle d’agacement et moi, infirmière libérale, je souffre d’écœurement... J'ai reposé ma tasse de thé qui avait refroidie et qui était archi-infusée et imbuvable. Parce que tout en remuant mon sachet tout à l'heure, je patientais en attendant qu'un agent de la CPAM réponde à ma question :

"Quoi faire lorsqu'un patient refuse de me payer la part complémentaire alors qu'il a déjà été remboursé en intégralité par la sécurité sociale parce que j'ai eu la bonne idée de lui faire le tiers payant pour qu'il paye moins cher ?".  

A vos copies, vous avez cinq minutes. Cinq minutes c'est le temps qu'on a mis avant de répondre à mon coup de téléphone facturé 6 cts d'euros la minute hors coup d'un appel.

J'ai laissé tombé le sachet de thé dans la tasse lorsque la dame m'a répondu un simple : "Mais rien ! Que voulez vous que je fasse moi, à mon échelle ?"... Bah je ne sais pas que tu redescendes de deux ou trois marches déjà pour te mettre à mon niveau, que tu arrêtes d'utiliser cette voix hyper-hautaine et que tu m'expliques pourquoi tu n'es pas capable d'assurer le bon paiement des soins de tes assurés et de tes soignants alors que tu t'es capables de me prélever mes sois disant indu' direct' sur mon compte bancaire alors que c'est interdit, il parait ?! 
Mais je n'ai rien dit de tout cela et j'ai raccroché en oubliant de boire mon thé avec le sachet dedans et je me suis tirée les traits du visage vers le bas avec le plat de ma main. Parce que j'étais fatiguée de ne pas être payée d'un côté alors que j'avais voulu aidé de l'autre, parce que j'avais regardé un reportage qui me donnait l'impression qu'on m’agrafait une étiquette de fraudeuse sur le front avant même d'avoir fait une erreur... Et le comble, je venais de passer un appel payant pour apprendre que je ne serais pas payée. B*rdel.

A la place, je me suis relevée et j'ai pris un antalgique dans le tiroir pour tenter de calmer mon otite et mon mal de tête. Depuis plusieurs matins, je me levais en détestant mon statut de libérale et ses 90 jours de carence qui m'empêchaient de m'arrêter quand bien même j'étais malade à m'en épuiser. Et puis j'ai repensé à celui que je venais de soigner et qui l'était tout autant, épuisé. Opéré en ambulatoire la veille, il était rentré chez lui, fatigué. 

Et puis c'est con, mais en sortant de chez ce monsieur adorable j'ai pensé à Pénélope. 
A elle et à ses 500 000 euros touchés pour des emplois fictifs. Madame Fillon n'aurait pas travaillé et aurait quand même touché un salaire, c'est dingue. Moi, je venais de soigner quelqu'un et je ne serais jamais payé, c'est con. 

Pourquoi ? Parce que la CPAM m'interdit tout simplement de cumuler plusieurs actes en même temps m'empêchant ainsi de les facturer et d'être payée quand bien même je l'aurai soigné entièrement ce monsieur. Un pansement, une prise de sang, une injection, une pose de bas et des collyres facturés un soin et demi. Trente minutes passées chez mon patient pour 5€71 net. Même Pénélope refuserait de bosser pour si peu, enfin encore faudrait-il qu'elle travaille tout court. Pourquoi se faire suer à bosser gratuitement quand on peut rester chez soi et être payé, c'est vrai... Mais bon je m'appelle Charline, je ne m'appelle pas Pénélope.

La nomenclature des soins éditée par la CPAM qui régit nos actes est obsolète mais tout le monde s'en fout,  

Des soins de l'ambulatoire sont facturés plein-pot aux patients sans possibilités de remboursement parce qu'il faut bien faire faire des économies à la sécu' mais tout le monde s'en fout,  

Les soignants bossent parfois gratuitement pour soigner une population sans argent et tout le monde s'en fout. 

Tout ce que veulent les gens ce sont des reportages sur France 2 qui font grincé les dents des contribuables, ces mêmes personnes qui soi-disant se font arnaquer en allant chez le dentiste. Ces mêmes patients qui me diront peut-être demain "Bah alors il parait qu'ils fraudent les libéraux ?" sans même se demander si je serais payé du troisième soins que je suis en train de leur faire ou de cette prise de sang de l'impossible que je n'arriverais jamais à prélever alors que j'y ai passé du temps non rémunéré...

Mais entre la fraude à l'assurance maladie, France 2 et Pénélope il y a un point commun : la "fiction". 

La fiction qui entoure les reportages des médias qui ne sont là que pour satisfaire des téléspectateurs en mal de sensationnel, la fiction des fraudes détectées par les sécu' pas toujours bien fondées alors qu'il serait plus simple de parler d' "erreur" dans la majorité des cas pour y remédier et la fiction des emplois de Pénélope par toujours effectués mais qui seront malheureusement simplement excusés, vous verrez


Finalement, il n'y en a bien qu'un qui soit encore bien réel, c'est mon périnée. 
Mais à force de devoir m'asseoir tous les jours sur des soins non rémunérés et de tomber sur le cul à regarder des reportages déplorables comme celui du JT de France 2, je ne suis pas sûr de pouvoir longtemps compter dessus !



La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...