Bonjour la CPAM,
Comment vas-tu ?
Oui tu as vu, je te demande comment tu vas. Ainsi, je me dis que tu feras la
même chose pour moi. Mais vu que je sais que tu ne me le demanderas pas, je
vais te répondre tout de même : je suis en colère.
Aujourd’hui la CPAM, je
me permets de te contacter car je viens d’avoir une consœur infirmière au
téléphone et elle ne va pas fort, vraiment. Il y a même un moment où j’ai cru
l’entendre pleurer. Enfin ce sont les larmes que j’ai entendu dans sa voix qui
m’ont fait dire ça, mais je me trompe peut-être tu me diras, puisque je ne l’ai
pas vu, tout comme toi qui refuse toujours de la rencontrer avec son avocat. Tu
remarqueras que je te dis « tu »,
que j’oublie volontairement mes bonnes manières et j’espère que tu ne m’en
voudras pas trop de me mettre à ton niveau…
- Je suis crevée, mais ça va…
Ce n’est pas moi qui le
dit, c’est Hélène, l’infirmière qui dort au pied de ton bâtiment. Hélène a 62
ans. Infirmière libérale depuis 28 ans, elle vient de passer sa troisième nuit
par moins cinq degrés sur le trottoir devant la CPAM de Bordeaux.
Je ne te la présente
pas car tu la connais bien depuis les six années qu’elle se bat pour se faire
entendre de toi. Deux combats et deux jugements auprès des affaires sociales et
un passage au conseil d’État pour faire annuler sa dette.
Épuisée, Hélène s’est
résignée à payer même si elle ne comprend pas l’accusation de « fraude
pour soins fictifs » dont tu l’accuses. C’est vrai, comment aurait-elle pu
penser que soigner matin et soir une patiente hospitalisée la journée lui
tamponnerait des années plus tard le mot « FRAUDEUSE » sur le
front ? Pour explication, les forfaits hospitaliers
« empiètent » sur nos heures de présence au domicile de nos patients
et il n’est pas rare de voir nos soins rejetés par les sécurités sociales qui
ne comprennent pas (sans pour autant nous appeler), comment nous pouvons
soigner des patients enregistrés comme « présents » dans des services
dont ils n’ont pourtant pas encore franchi les portes.
Les médecins de
l’hôpital ont pourtant rédigé des courriers pour attester des passages journalier
d’Hélène. Les familles des patients t‘ont également écrits tout comme les
auxiliaires de vie pour confirmer la présence de l'infirmière au domicile de ses patients avant leur départ
pour l’hôpital, mais rien n’y fait : tu réclames à l’infirmière
libérale l'intégralité des soins que tu estimes fictifs alors qu’ils ont
été réalisés, avec en cadeau des pénalités pouvant s’élever jusqu’à 200% .
54 000€ à régler
sous deux ans, bam !
Hélène est épuisée et
elle s’est résignée à payer même si elle n’est pas d’accord avec ce que tu lui reproches. Mais elle ne peut
pas le faire en deux années, elle n’en a pas les moyens. La faute peut-être aux
saisies sur virements de la totalité de ses soins que tu prélèves sur son
compte bancaire sans même lui laisser de quoi payer ses charges ou remplir son
frigo… Hélène n’a plus un rond et a été obligé de faire un crédit à la
consommation pour prouver sa bonne foi en espérant qu’enfin tu lui accorderas
de la laisser te régler le restant sous quatre ans.
Toi, la
CPAM, tu ne veux rien entendre, tu veux l’argent que tu estimes être le tiens
et tu mets l’infirmière libérale au pied du mur au point qu’Hélène a choisi de
s’y adosser en attendant dans le froid que tu daignes t’intéresser à son cas :
- De toute façon, si la CPAM refuse de m’entendre dans un mois je suis à la rue. Alors autant y être maintenant et dormir devant la sécurité sociale !
Il faut dire que ton
trottoir est tellement confortable la CPAM et puis ça ne coute rien de s’y
installer. Ce n’est pas comme ouvrir son cabinet infirmier qui, lui, peut
finalement couter très cher. Cher au point de tout perdre. Hélène aurait
vraiment eu tort de ne pas en profiter… Surtout depuis que des consœurs
libérales qu’elles ne connaissaient pas lui apportent des cartons pour
s’isoler du froid et des couvertures pour être bien au chaud. Certaines lui ont
même apporté de bons petits plats pour se remplir le ventre et le cœur en même temps.
Ils ont été nombreux à monter tout autour d’elle un rempart humain et chaleureux
pour la protéger du froid. Une vague de
soutien la submerge, et elle était émue Hélène de voir qu’elle n’était pas
seule. Qui aurait cru que son cas toucherait à ce point les
libérales du coin ? Pas elle, pas toi, pas nous et pourtant… .
- Une fois que mon groupe de soutien me laisse seule la nuit, je gamberge et je me pose beaucoup de questions. Quand on est seul, on ne comprend plus rien. On commence à culpabiliser en cherchant où se trouve l’erreur… Je ne me suis jamais levée le matin en buvant mon café et en me disant « Quel soin je pourrais bien frauder aujourd’hui ? », non, jamais ! J’ai toujours fait très attention à ne pas faire d’erreur. Et puis on se met en colère et de la colère nait la résignation et la tristesse de voir ce système complètement déshumanisé. Maintenant, je voudrais juste avoir la paix… Que la CPAM me permette de les payer et être en paix. Je suis fatiguée…
Si tu avais entendu la CPAM
à quel point ça la touché d’entendre toutes ces infirmières l’encourager dans
son combat et lui parler des soucis qu’elles rencontrent elles aussi avec toi…
Tout comme moi.
J’avoue la CPAM que nos
relations n’ont pas toujours été cordiales. On est un peu comme un vieux couple.
J’ai besoin de toi, tu as besoin de moi. Je t’aime mais qu’est-ce que tu me
gonfles parfois.
Tu me parles sans cesse
de la taille de ton trou que tu trouves énorme et qu’il faudra bien réussir à
combler un jour. Tu me rappelles que je dois faire attention à ce que je
dépense. Tu me dis chaque année que je te coute cher sans avouer que je suis plus rentable qu'un passage à l'hôpital. Tu le sais, mais ça te tue de penser que sans moi et sans les soignants de terrain, le maintien au domicile des français ne
serait tout simplement pas possible…
Et puis notre vieux
couple subit les assauts des petites tensions quotidiennes et ça devient usant…
Le mois dernier, je
sortais de chez un patient épuisé par son cancer. 45 minutes de soins à
genoux au plus près de lui pour le soigner : deux pansements, deux
injections et une prise de sang… Pour 6€ net. 6€ pour cinq soins parce que tu
m’interdis de facturer plus d’un acte
et demi. Je suis écœurée.
La semaine précédente,
j’ai dû expliquer à une vieille dame excédée aux doigts déformés par l’arthrose
que je ne pourrais pas instiller ses collyres post-cataracte car ce soin
n’était inclus dans la nomenclature (NGAP) que tu as édité. J’aurais dû lui
facturer ses soins sans lui permettre d’être remboursée mais sa retraite
d’agricultrice ne le lui permettait pas.
La problématique a été soulevée
quelques maisons plus loin chez cette dame qui m’appelait pour que je traite une nouvelle fois
ses plaies d’ulcère que la pose journalière de bas de
contention pourrait pourtant éviter. Mais la dame n’avait pas suffisamment de ressource
pour payer ces soins que tu refuses d’inclure dans ta nomenclature et ses mains
étaient trop faibles pour enfiler ses bas. Depuis, elle cumule les soins de
pansements qui eux sont remboursés et coutent bien plus chers aux
contribuables.
Quelques temps plus tôt,
c’était un homme vivant dans une grande précarité et sous le régime de la CMU à
qui je devais expliquer que les soins de sa sonde urinaire ainsi que l’ablation
de cette dernière n’étaient inclus dans cette même nomenclature. Il allait
devoir payer, ou aller à l’hôpital ou chez le médecin pour se faire enlever sa
sonde sans n’avoir rien à payer. Ce jour-là, j’ai travaillé
gratuitement en m’occupant de ce patient… A ce moment précis, je t’ai détesté
la CPAM.
J’ai détesté ton
incohérence qui imposent aux patients des passages chez le médecin pour une
ablation de sonde urinaire alors que j'aurais pu le faire pour moins chers. J’ai détesté ton manque de logique qui préfère créer des
plaies chez les gens plutôt que de les prévenir sans faire d'économie. J’ai détesté ton manque de
jugement qui préfère me faire bosser gratuitement ou pour trois fois rien
auprès de patients qui ont pourtant tellement besoin de soins.
Et puis au téléphone,
Hélène m’a dit :
- Après quelques nuits passées dehors, la CPAM m’a contacté pour me demander d’arrêter mon cirque.
Du « cirque ». Et là, je t’ai détesté
pour ton manque d’humanité.
Voilà donc tout ce que tu penses du combat d’Hélène alors qu’elle a seulement peur de tout perdre ? Comme si elle était en train de faire le clown sous un chapiteau pour amuser la galerie. Moi, de clown je n’ai eu au téléphone qu’une femme de 62 ans au nez rougie d’avoir passé sa troisième nuit dehors, épuisée et émue aux larmes.
Voilà donc tout ce que tu penses du combat d’Hélène alors qu’elle a seulement peur de tout perdre ? Comme si elle était en train de faire le clown sous un chapiteau pour amuser la galerie. Moi, de clown je n’ai eu au téléphone qu’une femme de 62 ans au nez rougie d’avoir passé sa troisième nuit dehors, épuisée et émue aux larmes.
Comme dans un vieux
couple, j’essaie de garder en mémoire ce qui a fait que je t’ai profondément
aimé la CPAM : l’humanité de ton grand projet de donner accès à la santé
pour tous. Ce sentiment génial qu'ont dû connaitre mes prolos de grands-parents le jour où la sécurité sociale leur a enfin permis d'avoir accès aux soins. Et puis j'ai écouté Hélène me parler avec sa voix du sud. Sa voix tremblante et forte qui marquait de son épuisement de ne pas être entendu de toi. J'ai pensé à elle dans le froid sous sa couverture devant la CPAM de Bordeaux et je me dis que tu t’était complètement fourvoyé la CPAM. Où
est donc passé ton cœur de métier bordel ? Celui qui te faisait aimer l’autre en
te donnant envie de l’aider ? Celui qui nous aidait à soigner les gens, à en vivre dignement ? Celui qui était censé aider les soignants à prendre soin des autres...
La CPAM, tu t’es laissé
manipuler par les politiques plus préoccupés par la taille de ton trou qu’il
faut à tout prix résorber que par l’Humanité, par la solidarité et par le principe d’entraide qui devraient
normalement rester les trois piliers fondateur de ton système.
CPAM, tu te dis « Sécurité» et « Sociale », mais je ne sais même pas si tu es encore digne de porter ce nom.