- Ce petit mail pour prendre de vos nouvelles, j’espère que vous allez bien. Je me demandais si vous aviez l’intention de prendre part à la grève de demain ?
Mes mains
étaient posées sur mon clavier et à vrai dire, je ne savais pas quoi répondre
au journaliste de l’Obs’. Je regardais mes doigts tendus. J’avais tenté le
vernis, sans grand succès. C’était moche, ce n’était pas moi. Je m’étais plus appliqué
à vernir les ongles de mes mains aujourd'hui qu’à m’impliquer à lever le poing dans la rue
demain. Ce n’était pas moi...
La dernière
fois que le journaliste m’a contacté, c’était cet été pour me laisser exprimer un coup de
gueule sur le suicide des infirmiers. Je sentais bien que le mec voulait que j’en
fasse tout autant pour le mouvement de grève de demain. Et puis rien, pas la
niaque. Pas l’envie. B*rdel, j’ai perdu mon âme revancharde on dirait...
Je suis
hyper partagée. Voilà ce que je lui ai dit. Mais je n’ai pas été honnête avec
lui. Parce que je n’étais pas « partagée », j’étais « toute
entière » et sûre de ne pas participer à la grève de demain. Pas envie. Je sais, c'est nul.
J’avais
pris part à celle du 8 novembre dernier. J’en avais relayé le mouvement avant,
pendant et après cette grève auprès des 20 000 personnes qui me suivaient à
l’époque sur Facebook. L’engouement avait été grand et nous avions mis beaucoup
d’espoir dedans. Il y avait eu une énergie de dingue, un levier incroyable qui laissait
penser qu’à nous toutes perdues dans nos cabinets de libérales, nous étions
capable de nous fédérer pour nous faire entendre, toutes ensemble et d'une seule voix en même temps. C'était beau si tu avais vu ça. Et puis nous nous sommes fait
« Trumpisé » par les élections présidentielles américaines du
lendemain.
Peu d’échos
dans les médias. Jusque dans le magazine de la santé de France 5 qui ne nous
avait offert que 2min d’un reportage contre 9 pour la politique de santé de
Trump… Dégoutée…
Du coup,
j’avoue, aujourd’hui je suis défaitiste. Et je m’en suis presque excusée auprès
du journaliste. Ce n’est
pas comme ça que les choses changeront c’est certain. Mais j’ai la mauvaise
conviction que nous ne serons entendu par aucun des partis politiques, encore une fois. L’amer
impression que tout le monde s’en fout. C’est triste quand on sait que nous
sommes 600 000 infirmières en France pour combien de soignants en tout ? Nous devrions voir notre nombre comme une
force, comme un poids électoral. Mais la réalité, c’est qu’on ne fait peur à personne. A
aucun politique, à aucun média. Et malheureusement, et d’autant plus par les temps
qui courent, il semble qu'il n’y ait que l’intimidation, le climat de peur et la malhonnêteté
qui priment. En déplaise à toutes les Pénélope et autres attachés parlementaires
payés à respirer de l’air pendant que moi, infirmière, je m’époumone à essayer
de me faire entendre des politiques.
Alors les
soignants… Tant qu’il y en aura, personne ne s’inquiètera pour nous...
Même si nous
nous suicidons dans les toilettes de nos services, même si nous sautons des étages
de ceux dans lequel nous allons travailler toutes les nuits, même si nous
pleurons, gueulons, hurlons que nous allons mal. J’ai l’impression que les
français préfèreront toujours se déplacer au Trocadéro pour soutenir un homme
politique tout-sourire qui se targuait sur Twitter en novembre dernier « Que pour faire de la politique il faut
être irréprochable ! » plutôt que de soutenir leurs soignants qui
se demandent décidément ce qu’ils ont pu faire pour être dédaignés à ce point.
Il prête à
sourire ce manque d’intérêt pour la santé, quand on y pense. Mais moi, infirmière, je grimace.
Parce que je ne connais
aucun homme politique français, aucun journaliste, aucune Pénélope, aucun manifestant à serre-tête et pantalon côtelé qui n’aura pas un jour besoin de nous, les soignants.
Vous êtes nés entre nos mains, vous serez soignés grâce à nous, vous trouverez l’écoute et le réconfort près de nous et le jour où la vie vous abandonnera ce sera nous, que vous aurez à vos côtés. Pas vos millions d’électeurs et d'euros sur vos comptes bancaires, pas vos carrières, pas vos châteaux dans la Sarthe ou vos attachés parlementaires, non. Non, ce seront les blouses blanches mal taillées dont vous pensiez pouvoir vous passer.
Vous êtes nés entre nos mains, vous serez soignés grâce à nous, vous trouverez l’écoute et le réconfort près de nous et le jour où la vie vous abandonnera ce sera nous, que vous aurez à vos côtés. Pas vos millions d’électeurs et d'euros sur vos comptes bancaires, pas vos carrières, pas vos châteaux dans la Sarthe ou vos attachés parlementaires, non. Non, ce seront les blouses blanches mal taillées dont vous pensiez pouvoir vous passer.
Je ne sais pas ce qu'attendent les politiques. Je ne sais pas ce qu'espèrent les journalistes. Je ne sais même plus ce que je suis en droit d'espérer de vous, les cols blancs.
Mais si vous me lisez messieurs dames des Hautes Instances, sortez de vos bureaux et portez un œil attentifs aux soignants qui fouleront le sol de vos rues demain et tendez l’oreille aux blouses blanches qui espéreront enfin être entendu… Vous comprendrez pourquoi, moi, je n'ai plus envie de sourire. Pourquoi je suis à ce point désolée pour vous que vous gardiez le vôtre.