jeudi 13 avril 2017

Coup de gueule infi' #28 : Arrêter de soigner ou se prendre une balle.




- Je suis infirmière ! J’ai besoin de ma voiture, des gens malades m’attendent…

« J’en ai rien à foutre, descends ! Sinon je te colle une balle ! », voilà ce qu’a répondu le mec qui pointait le flingue sur la tempe de l’infirmière libérale.

Rien à foutre.
Rien à foutre que tu sois soignante. 
Rien à foutre que tu crèves. 
Voilà ce que ça voulait dire.

Ce ne sont pas les dialogues d’une fiction-télé à deux balles, non. C’est ce qu’a vécu l’une de mes consœurs infirmière de Corbeilles Essonne lundi. Un pistolet sur la tempe alors qu’elle était à l’arrêt dans son véhicule et qu’elle se rendait chez l’un de ses patients. On lui a hurlé de descendre de sa voiture et d’abandonner son outil de travail et tout son matériel, au risque de mourir d’une balle dans la tête. 

On lui a donné le choix sordide de continuer de soigner ou de se faire sauter le caisson. Voilà.

Il n’y a même pas dix jours, une infirmière libérale du Bas-Rhin se rendait chez un patient pour lui donner ses traitements, elle a pris trois coups de couteau dans le thorax. Il y a deux mois, un médecin généraliste d’Eure-et-Loir mourrait dans son cabinet après avoir été agressé de quarante-huit coups de couteau par l’un de ses patients. On continue ? Il y a deux ans, tentative de viol après passage à tabac d’une infirmière libérale des Côtes d’Armor. Il y a trois ans, assassina d’une consœur libérale de Strasbourg de trois coups de fusil donné par l’un de ses patients. L’année suivante c’est unekiné libérale était abattu de six coups de feu en pleine tête. Encore ? Agressions violentes d’un médecin généraliste de l’Aude () et d’une de ses consœurs de la Vienne apparemment trop en retard. Séquestration d’une infirmière libérale de Meurthe et Moselle sous menace d’un cutter et d’alcool à bruler , violente altercation auxurgences de Tourcoing entre une quinzaine de personnes et quelques soignants, coups de couteau dans l’abdomen à une infirmière de psychiatrie de l’Oise… Meurtres, tentatives de viol, agressions violentes, crachats, injures… Je m'arrête là, mais vous imaginez que, malheureusement, il y a beaucoup d'autres cas d'agression de soignants bien souvent sous-médiatisées.

Je ne connais aucun soignant, toute profession confondu, qui n’ait pas un jour été confronté à une forme de violence quelle qu’elle soit. 

14 000 actes de violence signalés dans les hôpitaux en 2014, sans compter les violences non signalées ou subit en exercice libéral et qui ne sont pas répertoriées. En France aujourd’hui, un soignant subit un acte de violence toutes les trente minutes et dans 2% des cas il s’agit de violence avec arme. Dans 9 cas sur 10 les violences émanent de patients ou des personnes qui les accompagnent.  

C’est si dangereux que ça d’être soignant alors ? Peut-être bien… 


Mais ce qui est dangereux ce n’est pas de soigner en soi, c’est simplement d’être confronté à quelqu’un qui n’a pas conscience que l'on est là pour lui. Ce patient qui, d’un coup, voit son soignant comme un agresseur ou une simple cible contre qui s’acharner. Parce qu'il est en retard, parce qu'il fait mal, parce qu'il n'a pas la réponse souhaitée, ou parce qu'il porte une blouse blanche tout simplement... 
Être patient, encaisser, prendre sur soi. Ce que vous faite lorsque vous êtes soigné et c'est que ce nous faisons, nous, les soignants lorsque nous prenons soin de vous... 

Il serait tellement simple de se limiter à dire « Les patients ne sont plus respectueux de rien ! » ou « Nous sommes dans une société de l’instant. Tout, tout de suite et maintenant. Zéro frustration, totale impatience et les patients deviennent violants et intolérants ! ». Oui, parfois les patients ne sont plus patients et les soignants en ont quelque fois ras la blouse de soigner. Mais ce n’est pas si simple… 

Alcool, drogue, douleurs, épuisement, maladie… Tout est cause ou prétexte à l’expression de la violence.

Alors que devons-nous faire pour soigner sans risquer de se faire agresser ? Que doivent faire les soignants pour soigner en toute sécurité ? Quels moyens nous offre-t-on pour nous protéger de cette violence ?


Ça pourrait être une blague mais c’est très sérieux : le Ministère de l’intérieur combat l’insécurité et les violences commises à l’encontre de ses soignants avec une plaquette anti-agression en papier.
Cinq règles d'or pour nous apprendre à faire attention. Cinq règles pour essayer de minimiser le nombre d'agressions sans pour autant responsabiliser les patients.

Ainsi, j’ai appris qu’en tant qu’infirmière libérale je devais m’équiper d’une porte blindée, d’un rideau de fer et d’un visiophone. Que je devais modifier régulièrement mes trajets pour me rendre au domicile de mes patients et que je ne devais rien laisser dans ma voiture qui pourrait supposer de mon activité (Je crois que celui qui a pondu cette plaquette n'a jamais jeté un œil à l'intérieur de la voiture d’une infirmière libérale…). Que je ne devais pas être familière avec mes patients et que je ne devais jamais me séparer de ma mallette ou de mes affaires personnelles (très pratique pour le bon déroulement des soins. Je m’imagine déjà donner la douche à mes patientes avec mon manteau en cuir, ma sacoche de soin et mon tensiomètre autour du cou)...

J'imagine tout le désarroi de ma consœur de Corbeilles Essonne qui a dû se demander, après coup, ce qu'elle aurait pu faire avec cette plaquette anti-agression... La rouler bien serrée et l'utiliser pour frapper ses agresseurs ou alors tenter une négociation-express à la fenêtre de sa voiture armée de son prospectus et de son plus beau sourire ? A la place, l'infirmière libérale s'est retrouvée avec un flingue sur la tempe.

Qu'attend donc l’État pour mettre en place de réelles solutions ? Quand est ce que les gens comprendront que le simple faite de soigner doit être respecté et qu'un soignant ne mériterait jamais d'être saigné, mollesté, injurié... Assassiné.


La blouse, le caducée ne protègent de rien. Nous prenons soin de vous aujourd'hui, faites-en sorte que nous soyons encore capables de le faire demain.




Petit-bonus-dépôt-de-plainte : 
la plainte peut se déposer dans n’importe quel service de police ou de gendarmerie. Pour gagner du temps vous pouvez déposer une pré-plainte en ligne (www.pre-plainte-en-ligne.gouv.fr). Les menaces ne sont pas à prendre à la légère non plus, même sans préjudice physique à l’encontre d’un professionnel de santé ou de sa famille. Le code pénal prévoit trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende (art. 433-3.)

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...