- En Syrie, on a vu les photos terribles de ces enfants gazés…
J’ai coupé France Inter. Pas
envie d’entendre.
Pas envie d’avoir à nouveau en
tête ces images terrifiantes d’enfants morts ou agonisants et suffocants, la
respiration crépitante, les bras en croix. Des tout-petits, pas plus vieux que
les miens… Dans ma cuisine, j’ai préféré couper ma radio pour ne pas entendre les
infos et je me suis détestée de faire ça. Toute occidentale que je suis, j’ai
eu d’un coup l’impression d’être loin de tout alors que la veille, mes larmes m’avaient rapproché des syriens à un point qu'ils n’imaginent pas.
L’Humanité part en vrille, et moi
je coupe le son pour ne pas l’entendre. L’autruche, made in France.
Je sens dans mon cœur de soignante,
dans mes tripes d’Humaine, dans mes viscères de mère qu’un changement dans l’Humanité
est en train de s’amorcer, et pas dans le bon sens. On gaze les syriens. On
exécute les homosexuels ou on les enferme dans des camps. On viole les femmes
pour rembourser des crimes d’honneur ou on les mari de force. On excise, on
mutile, on torture, on exécute...
J’ai l’impression que l’Humain
perd pied alors qu’il devrait plutôt se le foutre au cul pour évoluer.
Je suis sortie dans le jardin
pour me changer les idées et j’ai pris ma fille sur mes genoux tout près du
romarin en fleur. Je lui ai montré comment je caressais le dos des bourdons, avec
gentillesse et douceur. Elle m’a dit :
- Tu n’as pas peur de lui ?- Non, parce que je le connais et je sais qu’il ne me fera pas de mal…- Mais il va te piquer !!
En remettant sa mèche de cheveux
bruns derrière son oreille, je lui ai répondu :
- Aucun animal ne se lève le matin en se disant « Tiens aujourd’hui je vais piquer telle ou telle personne ! ».
Ma fille m’a très justement fait
remarquer que c’était pourtant ce que je faisais dans mon travail d’infirmière tous les jours. J’ai continué :
- Si ce bourdon me fait mal, c’est que je n’aurais pas été assez douce avec lui… Parce que tu sais, aucun être vivant sur terre ne fait du mal par pur plaisir.
Elle a quitté mes genoux pour rejoindre sa sœur à la balançoire et alors que je regardais mon bourdon passer d’une
fleur à l’autre en faisant ce bruit sourd je me suis dit que j’étais une belle
menteuse. Une mère-menteuse qui voulait coûte que coûte conserver la crédulité
de sa gamine. Parce qu’en fait il y avait bien un animal sur terre près à tout
pour engendrer la souffrance, la douleur et la mort : c'était l’Homme.
C’était moi, c’était toi et ce sera peut-être elle plus tard.
Ce bourdon et la peur
qu’elle en a ma fille, c’est à l’échelle de mon jardin ce qui se passe sur la
terre autour de nous. L’ignorance et la peur de celui qu’on ne
connait pas et qui engendre à une échelle mondial le rejet de l’autre et les
pires catastrophes humaines. L'humain devient plus con que bon. Si nous avions peur de notre main, nous serions capables
de nous mutiler jusqu’à l’épaule. Si seulement certains pouvaient avoir peur de
leurs idées, ils se mangeraient peut-être le cerveau à la petite cuillère…
J’ai quitté mon bourdon et je suis
montée dans ma voiture pour démarrer ma tournée de soins du soir.
Je me suis garée devant la maison
d’une de mes plus vieilles dames, ma toute petite normande. Une patiente-ressource
incroyable aux yeux d’un vert clair qu’on ne voit que très rarement par ici. Avec
elle, tout va toujours bien même lorsque ça va mal. Elle aime la vie ma vieille
dame alors qu’elle aurait toutes les raisons de la détester. Elle me dit parfois
que vivre une vie c’est comme vivre en couple. Elle aimerait parfois la quitter
tout en m’avouant qu’elle serait chagrinée de ne plus rien avoir à partager
avec elle ensuite : « Mais bon, de toute façon les
morts ça ne pleurent pas non ? Donc je ne serais pas vraiment triste de mourir...». Non, c’est vrai mais moi je
sais déjà que je pleurerais pour elle.
Alors qu’il fait beau dehors, elle
se sent à l’étroit dans sa toute petite maison, celle qu’elle a dû louer juste à côté parce
que l’ancienne n’était plus adaptée. Avec son déambulateur, elle
passe chaque jour devant son ancien jardin. Elle risque un œil à travers le
grand portail en métal pour apercevoir ses rosiers, ses hortensias et le lilas
géant qu’elle avait planté à la naissance de son dernier enfant. Et puis il y a eu
l’arthrose et sa cheville toute fine qui ne tenait plus trop son petit corps de vieille. La douleur qui immobilise
et qui isole... Le déambulateur est dans un coin de son salon depuis des jours.
Mais ce soir, lorsque j’ai sonné
à sa porte quelques chose avait changé. Son « Oui oui !! » était enjoué et une odeur dingue avait
rempli toute la maison.
Quand je suis arrivée dans son salon j’ai retrouvé ma jolie normande avec un sourire irradiant jusqu’au mien. Elle était entourée de plein de fleurs et toute petite qu’elle était, j’avais du mal à la voir au milieu de tous ses bouquets de lilas. La petite voisine qui avait racheté sa maison et qui s’inquiétait de ne plus la voir passer devant chez elle s’était empressée de lui couper quelques branches pour lui emmener un peu de son jardin.
Quand je suis arrivée dans son salon j’ai retrouvé ma jolie normande avec un sourire irradiant jusqu’au mien. Elle était entourée de plein de fleurs et toute petite qu’elle était, j’avais du mal à la voir au milieu de tous ses bouquets de lilas. La petite voisine qui avait racheté sa maison et qui s’inquiétait de ne plus la voir passer devant chez elle s’était empressée de lui couper quelques branches pour lui emmener un peu de son jardin.
Ma vieille normande s’est levée en s’aidant de sa canne et elle m’a montré chacun des bouquets de lilas
violets qui, d’un coup, avaient une couleur bien différente.
Finalement, en voyant l’inquiétude d’une voisine qu'on ne pensait pas si proche et en regardant ma patiente sourire au milieu de tous ces bouquets couleur de cœur je me suis dit que, finalement, l’Humanité se jouait à peu de chose.
[ illustration : les jolis lilas de ma vieille normande ]