dimanche 27 septembre 2015

Les petits-services rendus, ou comment tendre la main et se faire arracher le bras.





- A chaque fois que je referai mon lit, je penserai à vous ! Merci !

Cette phrase, qui aurait dû être le slogan d’une publicité pour de la literie, provenait en fait de la bouche plus que souriante de la femme du patient dont je m’occupais ce matin là. Alors que je manipulais la sonde urinaire du vieux monsieur allongé à moitié nu sur son lit défait, je regardais sa femme s’époumoner, les bras tendus en étoile, en prise avec une housse de couette récalcitrante et le visage rougi par l’effort. « Non mais attendez vous allez me faire un malaise là ! Retournez moi cette housse de couette, je termine mon soin et je vous montre ma technique, en deux-deux ce sera plié ! ». 

Oui. Il faut être infirmière libérale pour retrouver dans une même scène : une femme rougissante d’effort, une verge et une infirmière super au taquet sur la literie et ce, sans avoir à trainer sur des sites internet qui vous demanderaient votre date de naissance avant de cliquer. J’adore mon taf. Bref. Je n’étais pas spécialement en avance, mais pas non plus vraiment pressée de quitter ce couple que j’adorais. J’ai donc pris le temps de les former à ma technique découverte alors que j’étais étudiante infirmière et faignante. 

Mon boulot c’est un peu ça : des soins et plein de petits services comblant les créneaux de speudo-pause que je pourrais m’octroyer. Tous ces petits services chronophages, ces coups de pouce gratuits auxquels on se pli, ou pas en fonction de notre seuil de tolérance, de notre bienveillance ou... Du patient, soyons honnête. Car oui j’avoue, autant il y a des gens que j’ai envie d’aider, autant il y en a d’autres, que je prendrais plaisir à laisser galérer avec leur couette !

Il y a plusieurs catégories de services. Il y a tout d’abord les services rendus aux animaux, ces pauvres bêtes qui n’ont rien demandé mais que je vais aider au risque que mon karma de Pocahontas ne me le pardonne jamais. 

Ainsi dernièrement, j’ai raccompagné ce chien fugueur que je connaissais bien. Il appartenait à l’un de mes anciens patients que je savais absent toute la journée. Ne voulant pas prendre le risque de le retrouvé écrasé, j’ai pris le chien avec moi dans la voiture pour ensuite supporter l’odeur infecte de la bête à poil durant tout le reste de ma tournée, tant il semblait avoir imprégner les tissus de ma voiture. 
Un autre jour, j’ai appelé deux fois la gendarmerie de mon patelin pour leur signaler un troupeau de cinq bœufs en divagation sur une départementale. Repassant sur les lieux en fin de matinée et voyant que les bêtes étaient toujours là, je les ai guidé jusqu’à leur ferme, moyennant des manœuvres de mon véhicule digne des grands fermiers de l’ouest américain, le chapeau texan en moins. 
Une autre fois, en sonnant à un portail de propriété, je me suis retrouvée face à un cheval. Il appartenait à mon patient et semblait préférer regarder passer les voitures plutôt que de rester dans son champ. Je l’ai pris par le licol et me suis présentée à la porte d’entrée avec ma mallette de soin d’un côté et un cheval de l’autre. 
Je ne manque jamais de lâcher un coton-boule au chat de celui que je viens prélever pour 1) M’en faire un pote, 2) Qu’il me lâche la grappe, 3) Gagner des points auprès de mon patient. 
Enfin, j’appelle tellement souvent la Mairie pour ce genre de chose que lorsque je dis à la secrétaire « C’est l’infirmière ! », elle me répond : Ah, encore un chat d’écraser ? Et oui…


Et alors que les animaux n’ont pas demandé à croiser mon âme-de-Pocahontas-qui-peint-en-mille-couleur-l’air-du-vent, les humains eux, savent abuser de ma présence et du « Oh bah tant que vous êtes là ! ». 

Ainsi, un jour où j’avais refusé de descendre deux étages pour aller chercher le journal de cette vieille dame, lui expliquant que son fils, qui passait tous les soirs, pouvait le faire, je l’ai entendu me répondre : « Mais mon fils n’a pas que ça à faire, il a un travail ! », je me suis dis : plus JAMAIS. Si je continue à leur tendre la main, ils vont finir par me bouffer le bras...

Et quelques semaines plus tard, j’aidais une petite mamie à déboucher une bouteille de rouge en vu de son apéro d’anniversaire qu’elle organisait avec ses deux copines de 90 ans chacune, j’ai pris l’habitude de fermer les volets de cette autre pour ne pas qu’elle prenne le risque de tomber en sortant, j’ai programmé le Wifi sur la tablette numérique d’une voisine qui ne captait rien à la nouvelle technologie et j’ai coupé des brins de romarin et de thym de mon jardin pour cette vieille dame qui devrait cuisiner le lendemain des courgettes toutes fades à cause d’un jardinier qui, dans excès de zèle, avait tout coupé, y compris les aromates du potager.


D’autres fois, les services-gratuits deviennent normaux, parce qu’il n’y a pas le choix. Ainsi, je me rends régulièrement à la pharmacie pour aller chercher les traitements de cette vieille dame isolée que le surpoids et le fauteuil roulant empêchent d’aller chercher. J’attendais avec une impatience toute légitime au vu du retard qui s’accumulait sur ma tournée encore chargée. Je regardais du coin de l’œil cette jeune ado’ boitillante, arrivée avec sa mère pour demander conseil à un pharmacien. Un accident durant un match de basket qui ne lui aura fait gagner que deux vilaines plaies aux genoux. Et sans raison aucune, alors que je n’étais là que pour représenter ma patiente, la pharmacienne lâcha en ma direction :

- Oh mais attendez, on a une infirmière sous la main, on va lui demander !

J’étais sidérée… D’une, que les gens continuent à demander conseils à des pharmaciens pas toujours formés aux plaies et aux cicatrisations (dixit ma patiente que j’ai soigné pendant un mois pour une brulure infectée après avoir pris conseil auprès de cette même pharmacie), de deux, que la pharmacienne puisse penser que j’allais prendre le temps de donner un avis sur une plaie dégueulasse qui irait ensuite se faire soigner par mon confrère de la commune voisine. C’est la fête. 
Ma réponse a été nette et cinglante : « Si vous vous déplacez ici, c’est que vous n’avez pas réussi à vous en sortir toute seule à la maison. Donc plutôt que de dépenser de l’argent à la pharmacie dans des produits non adaptés, allez voir le médecin. ». La pharmacienne a tiré une gueule à réjouir un dépressif et m’a donné mes traitements.

Souvent je me questionne : «  Est ce qu’en temps normal tu l’aurais fais ? ». 
 Le temps normal supposant être l’époque où je travaillais en service hospitalier, comme si le domicile était en dehors des normes de soins, en dehors des protocoles de reculs et d’implication qu’on s’impose en tant que soignant. Et la réponse est la plupart du temps la même : « Non ! ». Mais mon implication auprès des patients à domicile est tellement différente de celle que j’avais à l’époque où je bossais en crocs. Comment pourrais-je comparer les deux ? 

En service hospitalier, même si nous entrons dans la soi-disant "chambre du patient ", il y a un numéro sur la porte, une chambre impersonnelle et des draps puant les produits aseptisés  et qu’on s’empressera de laver pour laisser la place au suivant. Là-bas, les patients ne sont que des gens de passage. A domicile, les rôles s’inversent : ce sont nous, les infirmières, qui sommes de passage dans leur maison, au plus près de leur intimité. Les patients ont leur repères, ils sont en position de force. La relation de confiance s’établit plus vite et plus simplement. C’est à double tranchant et les petits-services en sont la lame.

On essaie de ne pas trop en abuser pour ne pas se fatiguer et perdre toute la crédibilité de nos trois années d’études. Et lorsque l’on doute de l’intérêt de rendre service on se retrouve un matin tout émue, une bouture de marjolaine entre les mains. La vieille dame au potager rasé avait fini par en retrouver un vestige et avait pris le risque de se fracturer le fémur pour aller m’en cueillir un peu…

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...