- Mais par contre, il n’y a pas
marqué « à domicile » sur l’ordonnance
de prise de sang de ma femme, c’est pas grave ?
Tout en préparant mon matériel
pour sa prise de sang, j’ai rassuré le mari. Je lui ai expliqué que je ne
facturais qu’un déplacement étant donné que je me déplaçais pour le couple et
que le domicile était notifié sur son ordonnance à lui, donc il n’y avait aucun
problème.
J’ai enchainé les tubes dans
lequel le sang faisait ce petit bruit de remplissage, signe d’une belle veine
qui donne bien, signe d’une infirmière contente de ne pas à avoir à repiquer un
capital veineux capricieux. Le dernier tube rempli, j’ai retiré l’aiguille en
demandant au patient de bien vouloir tenir le coton… La cafetière crachait ses dernières
vapeurs dans la pièce d’à côté et l’odeur de petit déjeuner venait réveiller
mes narines jusque dans le salon. Mon estomac s’est serré en laissant échapper
le son de ce petit déjeuner qui avait dû refroidir sur le siège passager de ma
voiture.
Sa femme revient de la cuisine et
s’installe sur la chaise à la place de son mari. Elle sentait le pain grillé :
« Vous voulez un café après ? ».
Je l’ai remercié pour sa gentillesse et j’ai décliné l’invitation par manque de
temps, par manque d’envie aussi. J’ai toujours détesté le café, bien que l’odeur
soit un délice pour mon nez… J’ai regardé l’ordonnance pour mettre de côté les
tubes dont j’aurai besoin et effectivement le « A domicile » manquait. Le mari est revenu de la cuisine
en se réchauffant les mains avec sa tasse de café chaud.
- Ma femme a demandé à son
médecin s’il pouvait rajouter le domicile dessus. Il lui a répondu texto : « Le domicile, ça ne sert qu’à
enrichir les infirmières, c’est tout ! ».
2€50 l’IFD (Indemnité Forfaitaire
de Déplacement) soit 1€25 net… Paye ton enrichissement ! Le médecin aurait
pu refuser de notifier le domicile en expliquant que l’état de la dame ne nécessitait
pas que je me déplace, mais non. Le médecin, qui ne connait certainement pas le
montant de l’IFD pour dire une aussi grosse connerie, avait décidé de ne pas
permettre à sa patiente de se faire prélever chez elle juste pour ne pas m’enrichir,
moi méchante infirmière libérale vénale en quête de rentabilité.
Parce que la rentabilité se joue
sur les déplacements, c’est bien connu, surtout à la campagne où les trajets
entre les patients sont parfois longs. Rentabilité… Si je pouvais faire en sorte
que tous les soins se passent au cabinet là je serais vraiment rentable. Au
cabinet, je laisserai les patients attendre dans la salle d’attente plutôt que
d’avoir à rouler vingt minutes aller-retour sur des routes de campagne boueuse
pour simplement réaliser une injection à 4€50 dans un lieu-dit pommé. Au
cabinet, je pourrais rester au chaud sans avoir à enlever et remettre mon
manteau autant de fois que j’ai de patient sans supporter le coup de vent qui
te referme la portière sur le tibia ou l’averse qui fait rétrécir ton jean une
taille en dessous. Au cabinet j’aurais du thé chaud, des tablettes de chocolat
à la noisette, je serais chez moi avec un espace de soins qui ne se limiterait
pas uniquement à ma mallette.
Mais au-delà de la bêtise des
propos de ce médecin, ce qui prédomine c’est son manque de reconnaissance.
Comment peut-on travailler en collaboration avec certains individus de ces
corps de métiers qui semblent nous faire passer pour des soignantes que seul le
profit intéresse, qui semblent penser que les infirmières-limites-fraudeuses ne
souhaitent qu’une chose : s’enrichir sur le dos des contribuables en
creusant le trou de la sécu avec des coups de petites cuillères à 2€50…Lamentable.
J’ai salué mon gentil petit
couple avec un goût amer dans la bouche qui n’avait rien à voir avec ce café
que je n’avais même pas bu. Je suis remontée dans ma voiture à l’habitacle
glacé par le zéro degré extérieur. Mes mains étaient gelées. J’ai remis la
couverture sur mes genoux pour me réchauffer un peu. J’étais refroidie, dans
tous les sens du terme. J’ai peut-être gagné 2€50, mais ce médecin a vraiment
perdu une occasion de se taire…
[ Sur la photo : la délicieuse Anke Eve Goldmann ]