- J’en viendrais presque à souhaiter que les injections ne s’arrêtent pas… Pour que vous continuiez à venir me voir…
Ma patiente était appuyée contre
son évier de cuisine et s’essuyait nerveusement les mains avec son torchon bleu
et blanc. Je venais de réaliser son injection journalière et je lui disais de
tenir bon et qu’il ne restait plus que quelques jours avant l’arrêt des soins.
Je m’apprêtais à partir, j’avais ma mallette de soins sur le dos, j’avais ma
main sur la poignée de la porte et puis elle m’a lâché ces quelques mots en me
fixant d’un regard creusé d’une inquiétude qu’elle avait d’un coup du mal à
dissimuler.
Ses yeux n’ont pas quitté les miens pendant une seconde et demie juste avant
qu’elle ne se détourne de moi pour plonger les mains dans son évier en vue d’y
rincer sa tasse à café. Une petite pointe est venue se loger dans mon plexus, pile
ici, tout près du cœur. En un trois fois rien de temps, une toute petite
réflexion de rien venait d’un coup de peser lourd dans son cœur et puis aussi un
tout petit peu dans le mien.
Cette patiente, je la connaissais
mal et pourtant je la soignais depuis longtemps. Elle prenait un soin tout
particulier à ne rien me dire d’elle. Elle arrivait d’une façon classe et détournée
à ne jamais me dire comment elle allait, comment elle vivait son cancer. Elle
évitait soigneusement de ne rien me faire partager qui pourrait me permettre de
créer un lien qui dépasserait celui du soin. La seule chose qu’elle n’arrivait
pas à dissimuler, c’était sa colère contre le crabe qui avait colonisé son
sang. Une quasi-haine de la maladie recouverte d’une épaisse couche de
sentiment d’injustice.
Chaque fois, elle m’accueillait avec un sourire de politesse mais les sourcils froncés trahissaient son agacement de me voir. Moi, la soignante qui devait rappeler à ses yeux cette p*tain de maladie qu’elle n’arrivait pas à se sortir de la tête et qu’elle se prenait en pleine face chaque matin devant le miroir de sa salle de bain alors qu’elle s’acharnait à faire tenir sur son crâne chauve le fichu rose satin que sa fille lui avait offert. Je la voyais comme un fil de fer : tenir droit et s'échauffer, mais ne jamais plier.
Chaque fois, elle m’accueillait avec un sourire de politesse mais les sourcils froncés trahissaient son agacement de me voir. Moi, la soignante qui devait rappeler à ses yeux cette p*tain de maladie qu’elle n’arrivait pas à se sortir de la tête et qu’elle se prenait en pleine face chaque matin devant le miroir de sa salle de bain alors qu’elle s’acharnait à faire tenir sur son crâne chauve le fichu rose satin que sa fille lui avait offert. Je la voyais comme un fil de fer : tenir droit et s'échauffer, mais ne jamais plier.
Ma main se refroidissait au
contact du métal de la poignée de porte, ma mallette de soins cinglait mon
épaule et j’étais en retard. La patiente suivante devait être en train de m’attendre
devant mon cabinet. La bête à deux têtes reliée à mon cœur d’infirmière s’est
réveillée :
- Attends, ça fait des mois que
tu t’en occupes et jamais elle n’a souhaité se confier !
- Oui mais son regard dans le
mien et ses sourcils tristes, regarde la…
- La patiente d’après t’attend !
- ... Elle attendra !
Le bruit de ma mallette touchant
le sol carrelé a fait se détourner ma patiente de son évier. Elle semblait
étonnée, mais agréablement cette fois, de me voir prendre le temps pour elle. J’ai
joint mes mains sous mon menton, ce truc que je fais à chaque fois que je n’ai aucune
idée de ce que je vais dire :