Quand on est infirmière, on
réalise une multitude de soins différents comme des injections peu
profondes ou d’autres bien calées dans le muscle de la fesse. Des pansements assez simples ou d’autres nécessitant de gratter, irriguer, mécher des
cavités improbables que le corps offre alors à nos pinces Kocher. Des
prises de sang dans des veines qualifiées "d’autoroute", et d’autres
dans de minuscules qui ne mériteraient même pas d'être des "chemins pédestres"! Des saignées pour soulager, des chimio’ sur pompes à
surveiller, des fils ou des agrafes à ôter. Des alimentations sur pompes à
poser pour nourrir, des traitements à administrer pour ne pas souffrir. Oui,
niveau technicité des soins, l’infirmière libérale a de quoi bien se faire plaisir.
Mais
au-delà des pinces, des compresses et des aiguilles, il y a un domaine que
j’affectionne particulièrement : le soin d’hygiène. Alors que quinze ans plus
tôt, ce même soin m’avait fait détester les soignants toute catégorie confondue.
J'étais ado' et hospitalisée (une fois de plus) dans un lit en position de « planche » entre les mains de trois soignantes bavardes. Nue et recouverte uniquement de cette chemise de nuit à deux pressions avec la porte ouverte sur le couloir, elles me tournaient
sans sommation dans tous les sens sans s’inquiéter de ma douleur
ou de ma pudeur. Je les ai détestés. Non, pour dire vrai, je les ai haï, tout
autant qu’elles étaient. Vraiment. Elles et leur week-end dont elles parlaient entre
elles, sans même me demander si j'étais gênée, perturbée ou simplement douloureuse. Oui, ce jour là
je me suis juré de ne jamais devenir soignante. Vraiment
Et puis voilà, parfois la vie
faisant, on ne s’écoute pas, on oublie ses promesses, les "Vraiment!" deviennent des "Et pourquoi pas ?" et on finit par trouver
dans les soins d’hygiène, une approche particulière du patient qui permet de
booster la relation de confiance puissance dix.
C’est ainsi que je me suis
retrouvée, infirmière avec mon gant à la main, bien motivée à entamer la « petite toilette » (façon
chaton-mignon pour qualifier la « toilette
génito-anale », terme vachement plus organique) de mon nouveau patient.
Un quadra' hyper-cultivé et hyper-intéressant, habitant une maison hyper-chic et
hyper-adaptée, un mec hyper-tétraplégique et ayant ce matin là… Une
hyper-érection. Voilà voilà…
Rien de nouveau sous le soleil
des infirmières malheureusement. Je ne pense pas me tromper si je dis que nous
avons toutes fais, au moins une fois, l’expérience de la perversion lorsque les
corps se rapprochent pour les besoins du soin. Certains esprits pervers se
réveillent, nous donnant au passage la furieuse envie de tordre des bras,
de claquer des gants d’eau froide, et de se lancer dans une furieuse battle de regards en mode « vachement vénère » qui
amènera forcément l’homme à baisser les yeux, regardant ses pieds comme un
petit garçon fautif.
Mais trop décontenancée de voir mon gentil patient passer du côté obscure de ceux que j'appelais les "hyper-tendu-du-slip", je suis simplement
repartie dans la salle de bain avec ma bassine d’eau sale, les yeux écarquillés, un chouille tendu. Tout en
laissant couler l’eau chaude je ne cessais de me dire "Merde, il a la gaule quoi... Il a la gaule !!". Et je me suis mise à penser aux autres fois...
A ce vieux résident qui m’avait sorti : « J’y peux rien si tu m’fais bander ! » pendant cet horrible stage en maison
de retraite. J’ai repensé à celui venu se faire opérer des dents de sagesse et qui,
de toute évidence, avait repris du poil de la bête à son réveil, semblant
trouver à son goût la prise de tension et ma tenue blanche javellisée au
pantalon deux fois trop grand avec le code barre sur le haut des fesses qu'il aurait volontiers scanné. J’ai
repensé à ce patient qui m’avait demandé mon numéro de téléphone après que je
lui ai refais son pansement au testicule et à l’autre alors que je venais de
refaire celui de ses hémorroïdes… J’étais sidérée du nombre de souvenirs de
soins pervertis remontant à la surface.
L'eau qui débordait de la bassine me sortit de mes songes et mon reflet grimaçant s’était embué sur le miroir me faisant dire que l'eau était devenue bien trop chaude. Je me suis sentie sale, et bête, sans réelle raison peut-être...
L'eau qui débordait de la bassine me sortit de mes songes et mon reflet grimaçant s’était embué sur le miroir me faisant dire que l'eau était devenue bien trop chaude. Je me suis sentie sale, et bête, sans réelle raison peut-être...
Alors que je remplissais à
nouveau ma bassine avec une eau plus tiède, je me demandais comment j’allais pouvoir aborder « ça » avec lui. Parler de ce
qui n’était plus censé fonctionner, de ce qui n’était surtout pas censé se
redresser dans l’action d’un geste professionnel qui n’avait rien de sexuel...
Alors que je retournais vers la
chambre avec ma bassine, j’étais dépitée, j’étais gênée et je n’avais plus
envie de continuer le soin tout en tentant de faire bonne figure genre : « Quoi ? Une simple érection nan
mais franchement, y’a pas de soucis ah ah ah (rire jaune) ! ».
Il l’a remarqué et m’a
dit : « Il faut qu’on
parle ». Et pour dire vrai, j’étais soulagée que la démarche
vienne de lui. Parce que j’avais eu beau chercher les mots, à part "Il a la gaule merde, il a gaule !" que je ne cessais de me répéter encore et encore, je n’avais rien
trouvé de probant.
Il m’a parlé de sa tétraplégie et
de ses troubles de l’érection. Il m’a raconté combien il aimait sa femme et
leur besoin de conserver une sexualité épanouie. Il m’a expliqué les effets
secondaires du Cialis (traitement des dysfonctionnements érectiles chez les
patients atteints de lésions médullaires comme la tétraplégie) et les
lendemains matins avec les « restes d’érection réflexe » qui pouvaient apparaitre. Il m’a expliqué qu’avec ses
anciens infirmiers-hommes (ceux qui l’avaient laissé tombé par économie de temps
soi-disant) il y avait les mêmes érections. Il m’a dit comprendre ma gêne en m’expliquant
qu’il ne pouvait pas vraiment faire autrement. Nous avons parlé le temps qu’il
fallait pour dissiper les malentendus et comprendre qu’il n’y avait aucune
perversion, « seulement une érection ».
Concept que je n’aurais jamais compris si je n’avais pu en discuter avec lui.
Entre temps, l’eau de sa bassine était devenue froide.
Nous n’en avons jamais reparlé
ensuite. Quand il y avait une érection, je me disais simplement qu’il avait dû
passer du bon temps avec sa femme et que c’était tant mieux pour eux. Tout
simplement.
Un jour je suis revenu de
vacances et mon quadra'-chouchou avait disparu de la liste des patients. Mes collègues
infirmières de l’époque m’ont simplement dis : « Il nous prenait trop de temps… Et puis j’sais pas toi, mais avec moi
parfois il bandait, c’était gênant, j’aime pas ça… ».
...L’eau n’avait surement pas dû avoir le temps de refroidir entre elles et lui.
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