samedi 25 novembre 2017

Coeur de porcelaine.





- Il faut parler fort parce que j’entends haut !

D’ACCORD ! La vieille dame s’est engouffrée par la porte vitrée de sa maison avant même que je n’ai eu le temps de bien voir son visage. Il faisait sombre, le soleil semblait aussi timide qu’elle ou alors il avait autant de mal à se lever que moi. Il était tôt le matin, je n’avais encore parlé à personne et ma voix n’avait susurré qu’une espèce de râle lorsque j’avais éteint mon réveil. J’allais devoir forcer un peu. Je venais de me garer devant chez elle. Une longère typique du coin perdue au milieu d’un grand terrain et coincé dans un épais brouillard. Pas forcément très jolie mais avec ce petit cachet de vieux et ce bordel végétal que j’aimais bien. Non loin de ma voiture, on devinait les parterres de fleurs semées qui s’étaient fanés au début de l’automne et dans un coin un lavabo en émail avait été laissé au pied d’un arbre. Il semblait servir de gamelle à eau pour un chien délesté de la laisse restée au sol auprès de la niche et qui avait peut-être préféré la chaleur de la maison éclairée dans laquelle je me dirigeais. 

Avec ma mallette sur le dos, j’ai entrouvert la porte et je suis entrée dans cette maison que je ne connaissais pas pour me présenter à cette vieille dame qui n’avait jamais eu affaire à moi. « Avant, ma fille m’emmenait au labo, mais maintenant elle ne peut plus… ». La pièce de vie était grande et chargée de meubles imposants et bien cirés. Tout semblait être marqué dans le temps. Un temps en suspension entre les napperons de dentelles recouvrant les accoudoirs des fauteuils et les tableaux de scènes de chasse peints dans des tons d’automne. Une rusticité dans la décoration que je retrouvais chez beaucoup de mes vieux patients. La même redondance que dans les meubles et les objets de chez Ikéa mais version « Chasse, pêche, nature et tradition ».

Me tournant toujours le dos, ma patiente a rejoint la table de salle à manger en prenant appui sur un meuble. De l’arthrose plein les hanches, elle tanguait en passant au plus près d’une collection d’assiettes décorées. Sur l’une d’entre elles il était écrit « Un bon chien n’aboie point faux. ». En montrant l’assiette, je lui fit remarquer que le sien était bien discret. « Il est mort. » m’a-t-elle répondu un peu froidement en contournant sa table. Ma vieille patiente a tiré une chaise de dessous la table et elle s’est assise en poussant vers moi son ordonnance toute prête, sans un mot, sans rien dire juste en retapant le pli de l’angle de la table recouverte d’une nappe cirée qui avait perdu ses couleurs. Après qu’elle m’y ait autorisé, je me suis assise auprès d’elle, curieuse de voir à quoi ressemblait son visage de vieille et je lui ai dit :

- J’ai une patiente qui a une assiette accrochée au-dessus de son entrée et il est écrit dessus « Chaque chien est courageux à sa propre porte. » C’est marrant, parce que je n’ai jamais vu un chien aussi craintif que le sien !

Elle m’a regardé en esquissant un sourire un peu bloqué dans le coin de sa bouche. Son visage était éclairé par un lustre à l’ancienne, le genre de ceux qui ont les palles tournantes pour rafraichir les soirées d’été. Ses joues étaient rebondies et rosées sur leur sommet et de larges sillons partaient de ses narines jusqu’aux coins de ses lèvres fines. Sa bouche était striée de rides et avait une coloration tirant sur le rouge profond. En remontant sur le haut de son visage mon regard croisa le sien. Des yeux d’un bleu clair étaient fixés dans les miens. Des yeux sans presque aucune ride hormis des pattes d’oie marquées comme autant de sourires et de rires dont elle avait dû remplir sa vie. Un regard incroyablement jeune perdus dans les creux et les sillons d’un visage de plus de quatre-vingt ans. 
D’un coup, tout m’est apparu différent. Je l’ai imaginé à vingt ans en train de broder les dentelles qui recouvraient ses fauteuils, je l’ai vu à trente ans choisir ce tableau de chasse plutôt qu’un autre pour l’anniversaire de son mari qui adore les épagneuls bretons, je l’ai imaginé se prendre la tête avec son époux dans le choix des assiettes à proverbe en me disant qu’il aurait préféré exposer sa collection de chopines en étain… Sa maison n’était plus une maison de vieille, c’était les quatre murs d’une vie toute entière protégés par un plafond de souvenirs. Je continuais à prélever les tubes de sang tout en lui parlant de son jardin, de l’entretien de sa maison. Celle qui m’était paru un peu sauvage au départ me parlait maintenant avec un sourire et des gestes qui fendent l’air :

- Vous pourriez me donner des numéros pour que des personnes viennent ici ?
- Des auxiliaires de vie vous voulez dire ? Pour vous aider à entretenir votre maison et vous accompagner pour les courses par exemple ?
- Pas que… Je voudrais que quelqu’un vienne habiter ici. Jeune ou vieux, ça m’est égal la maison est grande.

Elle baissa son visage et regarda sa main posée sur ses jambes serrées. Son index frottait le côté de son pouce. J’étais en train de perdre son sourire…

- Vous vivez seule chez vous ? Votre mari… ?
- Comme le chien.

Elle a relevé son visage vers moi. Ses yeux étaient rouges mais ne laissaient échapper aucune larme. Depuis des mois, elle vivait avec l’absence d’un mari que la maladie lui avait enlevé. Puis il y avait eu le chien. Et puis il y avait eu l’automne et les nuits à rallonge dans sa maison sombre. Sa maison pleine de souvenirs d’une vie à deux qu’elle était maintenant obligée de vivre seule. Elle voulait remplir l’espace avec de l’humain sans quoi, c’était le foyer logement que lui avaient promis ses enfants. Je ne savais pas quoi lui dire… J’ai regardé à nouveau l’assiette exposée sur le meuble et je me suis dit que ce n’était pas le chien qui aboyait faux mais bien son envie qui sonnait vrai. Son cœur m'est apparu aussi beau que de la porcelaine, espérons seulement que les coups durs ne l'auront pas rendu aussi fragile.

dimanche 19 novembre 2017

Rentrer en avance.



Je m'étire le dos assise au bord de mon lit et je me fais craquer, sans le vouloir, cette épaule douloureuse qui d'un coup ne l'est plus. Dehors il fait froid et humide, j'enfonce mon nez dans le tour de cou que je viens de parfumer et je démarre la voiture. La route est déserte et pour une fois je ne suis pas retardée par des groupes de cyclistes. Les patients sont presque tous souriants et accueillants. Les soins s'enchaînent sans aucun couac, souci ou problème. Je suis efficace et je gère bien mon temps, je termine en avance. Ça n'arrive pas souvent...

Ma récompense ? Rentrer à temps pour voir mes filles avant la sieste. C'est tout con, mais c'est ce qui me fait surtout aimer les matinées de soins où tout se passe bien. Sur le chemin du retour, j'imagine mes puces crier "T'es déjà là ?!" en courant de la cuisine pour me faire un gros bisou-qui-serre-fort. C'est ma récompense-amour, mon pourboire-bisou qui me boost chaque matin à partir soigner avec l'envie d'être efficace et de vite rentrer !

samedi 18 novembre 2017

Le coup de coeur qui fait plaiz' au mien !




C'est ma bonne nouvelle du jour !

J'ai reçu le dernier tirage du livre avec un tout nouveau bandeau : je suis le coup de cœur de "Psychologies" !  Si c'est pas de la maxi-paillette-qui-brille ça, trop contente !

Bon ok j'avoue, je ne lis pas Psychologies Magazine. Bon ok j'avoue, je ne suis pas hyper-branchée psycho tout court, mais je suis le coup de cœur d'un magazine et ça c'est chouette ! Et puis ce n'est pas une revue sur la chasse à la cellulite ou sur la chasse tout court, alors j'ai le sourire jusque là (Là je te montre le haut de mes oreilles) !

Ah oui, le livre a été une nouvelle fois imprimé. C'est la troisième fois depuis sa sortie il y a 2 mois : c'est fou ! MERCI à tous d'avoir eu envie de le lire (Vos retours sont tous plein d'amour, ça me touche)

mercredi 15 novembre 2017

Sans un bruit.



- …

Un peu sonnée, j’ai relevé le visage vers celui de ma patiente, mi-satisfaite, mi-vexée de voir que je ne souriais pas à l’énoncé de son dernier potin fraichement rapporté du bourg dans lequel elle était allé chercher son pain. Elle le savait pourtant depuis le temps que je la soignais que les ragots m’agaçaient plus qu’ils n’excitaient ma curiosité. C’était son truc à elle et elle me les faisait partager à chaque soin bien malgré moi. J’ai toujours détesté écouter les gens parler de la vie des autres, surtout quand la phrase commence par un « Oh, et puis vous ne savez pas la dernière ? » et qu’elle se termine par un « Rooooh » guttural et satisfait d’une bouche qui semble se nourrir du malheur de l’autre. Je lui ai seulement répondu « C’est bien triste… ». 
Trois petits mots qui se voulaient pudiques, comme pour garder un peu de toi en en partageant le moins possible avec la mangeuse de malheurs. Trois petits mots pour résumer trois années à tes côtés, c’est vrai, c’est bien triste.

Comme pour me protéger de ce qu’elle pourrait me dire de toi, je me suis enfermée dans ma bulle tout en restant à disposition de ma patiente dont je défaisais les bandages sales. Et puis, alors que j’enroulais la compresse stérile autour ma pince kocher avec un geste rapide et sûr, j’ai repensé à toi et à la toute première fois que tu m’avais vue le faire. Un « Oooh !» admiratif était sorti de ta bouche devant ce geste qui était devenu pour moi une habitude mais qui faisait toujours son petit effet la première fois. Tu avais souri en grand quand je t’avais répondu « Ah bah c’est un métier Monsieur, trois ans d’études pour apprendre ça ! ». Ton sourire, c’était un peu ta marque de fabrique. Le temps, tu t’en fichais pas mal. Qu’il fasse beau ou qu’il fasse moche tu souriais au ciel. Mes retards, t’importaient peu car tu savais que d’une manière ou d’une autre, je finirai par franchir la porte de ta maison en m’excusant platement avec ce sourire de travers comme pour m’excuser d’une connerie que j’aurais faite. Et toi, tu souriais et tu m’accueillais en serrant avec force et douceur ma main en m’appelant ta Petite Charline alors que je te dépassais d’au moins deux têtes.

vendredi 3 novembre 2017

Boulet qui roule.




- Ça va être tendu.

Mon collègue venait de terminer ses transmissions de la semaine et j’étais déjà en retard d’une bonne vingtaine de minutes sur ma tournée du soir. Agenda sous le bras, fiches dans une main, boite de gants dans l’autre, je m’engouffrais dans ma voiture avec ce sentiment que je n’aimais pas. Tu sais, celui qui te fais comprendre que rien ne va tourner rond et que tout va rouler de travers. Ce sentiment que tu ressens dès le matin en posant ton pied chaud sur le sol froid en sortant de ton lit. Ce même pied habillé d’une chaussette qui va se poser pile dans la gerbe du chat que tu as entendu vomir cette nuit et que tu t’es dit « ‘Faut que je pense à m’en occuper demain ! ». Ce pied et sa nouvelle chaussette que tu chausses dans ta boots en tirant fort sur le lacet. Lacet qui était à deux doigts de lâcher depuis ces semaines où tu te disais «‘Faut que je pense à m’en occuper demain ! » et qui choisit pile ce matin pour se casser entre tes doigts histoire de te faire comprendre, au cas où tu ne l’aurais pas noté, que tu es en train de débuter une bien belle journée de merde.

Bref, j’ai passé la première. La première d’une longue série qui a commencé dans le village d’à côté pour des pansements sur une peau âgée, mais genre vraiment âgée. Je me suis garée au plus près parce que j’avais une flemme à m’en couper les cuissots et j’ai ouvert mon coffre pour récupérer mon matériel : vide. Le coffre était VIDE… Je suis un boulet. Ma mallette de soins et toute ma réserve de matériel était resté chez moi, à quinze minutes d’ici, effet « deuxième lacet qui pète » garanti. J'allais devoir retourner chez moi. Je suis un boulet qui roule. Un boulet qui roule vingt minutes supplémentaires pour rattraper sa bêtise... 
Ma très vieille patiente a ouvert sa porte pour me saluer, je lui ai expliqué que je n’avais pas ce qu’il fallait pour refaire son pansement, que j’allais devoir faire demi-tour, repasser chez moi et repasser la voir ensuite. Je parlais haut et fort parce que ses oreilles étaient aussi vieilles que sa peau trouée :

- Nan nan, je reviens ! JE REVIENS !
- Ah, ok… A demain !
- ...


La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...