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samedi 10 mars 2018

Et rebelote.




- Je suis devant sa porte, et toujours rien. Pourriez-vous me rappeler, rapidement…

Il commençait à faire nuit. Le ciel était couvert et la ville voisine donnait une coloration orangée aux nuages. C’était joli. Du moins c’était plus sympa à regarder que le crépis blanc sale de sa façade. Troisième fois que je repassais et troisième fois que je sonnais sans entendre le « Oui ouiiiiii !!» habituel. Je le connais bien et je connais ses rituels. Ses habitudes et tous les signes qui, en un simple regard en direction de sa maison, déclenchent cette certitude et cette petite pointe dans le plexus qui ferait dire à un n’importe quel soignant que quelque chose ne tourne pas rond. Des volets ouverts alors qu’à cette heure ils sont fermés, l’absence de lumière à travers la fenêtre de la porte d’entrée, une poignée de la porte non relevée comme il le fait à son habitude lorsqu’il la referme derrière lui.

La première fois que j’ai vu mon vieux patient, il m’a dit l’importance que représentaient pour lui ses nombreuses promenades dans le village et la conduite de sa voiture que je ne trouvais pas très prudente au vu son état :


- Je suis un peu comme un oiseau moi vous savez. Je l’aime ma liberté. Il y a juste que, quelques fois, je suis un peu perdu…

Mais ce soir alors que la nuit venait de se lever, mon oiseau n’était toujours pas rentré au nid. Mon vieux patient était un peu perturbé depuis quelques jours et je craignais que son Alzheimer l’ait empêché, pour une fois, de retrouver le chemin de son nid. Ou pire, qu’il soit tombé quelque part, en train de mourir dans un fossé. Ou pire, qu’un accident de voiture gravissime l’ait empêché d’appeler les secours et qu’il soit en train de mourir au bord de la route. Oui, dans ces cas-là, je suis capable d’établir des scénarios de films d’angoisse. Je regardais le crépi de sa façade en écoutant une énième fois le répondeur de son fils… Et je commençais à m’inquiéter.
Alors j’ai pris ma voiture et j’ai refait son trajet habituel. Celui que je connais par cœur parce que je l'entends me le décrire chaque jour comme s’il me l’expliquait pour la première fois. Et comme à chaque fois, je l’écoute sans lui répondre « Vous me l’avez déjà dit ! » qui ne servirait qu’à l’angoisser. Parce qu’en plus du chemin, il y a sa pelouse toujours trop longue, son ancien travail à l’usine, ses concours de belote où il a la main chanceuse et cette voisine bavarde quelques rues plus loin qui lui tape la discute et qui l’empêche de faire sa balade « Vous savez ce chemin que je prends, je vais vous expliquer… ». Et chaque jour, chaque matin, chaque soir, mon oiseau me raconte ces sujets qui sont devenus pour lui des repères qui rassurent. Alors je ne lui dis pas qu’il me l’a déjà dit, je me dis simplement que tant qu’il m’en parle, c’est que tout va bien.

Mais ce soir, personne.

dimanche 23 juillet 2017

L’infirmière qui valait 5 points.




- Ah, mais vous êtes partout ! Je vais en gagner des points cette semaine !

Elle avait bonne mine. La dame tout juste septuagénaire portait de jolis vêtements qui lui allaient bien, elle avait le teint plus clair et ce sourire discret bien plus présent que la toute première fois que je l’ai vu, il y a plusieurs mois. C’était semble-t-il l’amie d’une de mes patientes dont les pansements d’ulcères coulaient au point de nécessiter une réfection quotidienne. 

Celle qui avait bonne mine et qui comptait les points était une dame que je voyais tous les trimestres pour des prises de sang. Toujours chez elle, jamais à mon cabinet. Parce que chez elle ça sentait le café et le cocon rassurant d’une maison vide qui avait abrité la vie de toute une famille. Parce que venir au cabinet voulait dire affronter le dehors, le regard de ceux qui ne vous calculent pas et les sourires des voisins qu’elle ne connait plus.
Elle avait accompagné pendant de nombreuses années son mari dont la maladie chronique et dégénérative ressemblait à un carcan, une grosse carapace qui avait enfermé en dedans lui l’homme qu’elle ne reconnaissait plus vraiment. Un Alzheimer bien cogné qui avait creusé d’énormes trous dans le passé en laissant ma patiente vivre le présent aux côtés d’un homme qui n’avait plus d’identité.  Le couple avait fini par se couper du monde en ne partageant plus rien de la vie du dehors. Par peur des regards, par fatigue de devoir toujours tout réexpliquer à ceux qui ne comprendront jamais et par pudeur de ne pas étaler aux yeux de tous l’état de santé d’un homme qui ne la reconnaissait plus et qui se demandait qui était cette femme qui disait être la sienne.


- Ça fait dix ans, et pourtant c’est comme si c’était hier. J’ai l’impression que je vais crever dans cette maison. Elle m’étouffe mais j’ai peur d’en sortir. Je ne sais plus comment faire avec les autres… 

La dépression c’est terrible. C’est comme être au fond d'un puits aux parois toutes lisses. On se dit qu’on va finir par retrouver la surface mais il n’y a rien pour s’agripper et aider à remonter. Son puits à elle était très profond, mais genre vraiment profond, au point qu’une fois elle avait décidé de ne plus relever la tête en cherchant la lumière et avait préféré crever au fond de son trou, avec des cachetons dans une main et de l’alcool dans l’autre. Elle avait appelé son médecin et je m’étais retrouvé chez elle le lendemain avec ma mallette de soins, ma boite à prise de sang et mon échelle de corde sous le bras.

Tout en préparant mon matériel nous avons parlé de son mari, de ces dix années qui avaient suivi sa mort et qui l’avaient fait descendre aussi bas. Et puis j’ai serré le garrot et nous avons parlé de sa déco et de ce tableau magnifique et coloré au-dessus du canapé. J’ai alcoolisé le pli de son coude avec un coton et nous avons parlé de l’odeur de café et je lui ai demandé ce qu’elle allait manger pour l’accompagner. J’ai piqué et j’ai parlé du chat qui dormait sur la chaise tout près d’elle et qui préférait habituellement le jardin à l’obscurité de sa maison. Sentant qu’elle se renfermait j’ai commencé à enfiler les tubes dans le corps de pompe et je lui ai parlé de son jardin. De sa sauge en fleur, magnifique et rose dans l’entrée et du Lila des Indes devant sa porte et qui aurait besoin d’être taillé si elle voulait qu’il refleurisse :


- Cet arbre-là ? Je ne savais pas comment ça s’appelait ! Mon mari l’a planté quand nous avons acheté la maison…

La nostalgie l’a reprise. Pour tailler l’arbre, il fallait sortir… Pour sortir, il fallait qu’elle en ai l’envie… L’envie de sortir du fond de son puits aux parois toutes lisses.
Alors que j’étais en train de prélever mon dernier tube, j’ai décidé de sortir mon échelle de corde. Une échelle aussi longue que la distance qui la séparait de la surface et je lui ai dit « Je vaux 5 points ». Elle a relevé son visage vers moi en relevant les sourcils sans vraiment comprendre ce que je venais de dire :


- Disons que vous allez passer un contrat avec vous-même. Il n’y a rien à gagner à part l’immense satisfaction d’avoir réussi toute seule à remonter à la surface via l’échelle de corde que je viens tout juste de balancer jusqu’au fond de votre trou. 

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...