- Je suis devant sa porte, et toujours rien. Pourriez-vous me rappeler, rapidement…
Il commençait à faire nuit. Le
ciel était couvert et la ville voisine donnait une coloration orangée aux
nuages. C’était joli. Du moins c’était plus sympa à regarder que le crépis blanc sale de sa façade.
Troisième fois que je repassais et troisième fois que je sonnais sans entendre le « Oui ouiiiiii !!» habituel.
Je le connais bien et je connais ses rituels. Ses habitudes et tous les signes qui,
en un simple regard en direction de sa maison, déclenchent cette certitude et
cette petite pointe dans le plexus qui ferait dire à un n’importe quel soignant
que quelque chose ne tourne pas rond. Des volets ouverts alors qu’à cette
heure ils sont fermés, l’absence de lumière à travers la fenêtre de la porte d’entrée, une poignée de la porte non relevée comme il le fait à son habitude lorsqu’il la
referme derrière lui.
La première fois que j’ai vu mon
vieux patient, il m’a dit l’importance que représentaient pour lui ses
nombreuses promenades dans le village et la conduite de sa voiture que je ne
trouvais pas très prudente au vu son état :
- Je suis un peu comme un oiseau moi vous savez. Je l’aime ma liberté. Il y a juste que, quelques fois, je suis un peu perdu…
Mais ce soir alors que la nuit
venait de se lever, mon oiseau n’était toujours pas rentré au nid. Mon vieux
patient était un peu perturbé depuis quelques jours et je craignais que son Alzheimer
l’ait empêché, pour une fois, de retrouver le chemin de son nid. Ou pire, qu’il
soit tombé quelque part, en train de mourir dans un fossé. Ou pire, qu’un accident
de voiture gravissime l’ait empêché d’appeler les secours et qu’il soit en train
de mourir au bord de la route. Oui, dans ces cas-là, je suis capable d’établir des
scénarios de films d’angoisse. Je regardais le crépi de sa façade en
écoutant une énième fois le répondeur de son fils… Et je commençais à m’inquiéter.
Alors j’ai pris ma voiture et j’ai
refait son trajet habituel. Celui que je connais par cœur parce que je l'entends me le
décrire chaque jour comme s’il me l’expliquait pour la première fois. Et comme
à chaque fois, je l’écoute sans lui répondre « Vous me l’avez déjà dit ! »
qui ne servirait qu’à l’angoisser. Parce qu’en plus du chemin, il y a sa pelouse toujours trop longue, son ancien travail
à l’usine, ses concours de belote où il a la main chanceuse et cette voisine bavarde quelques
rues plus loin qui lui tape la discute et qui l’empêche de faire sa balade « Vous savez ce chemin que je prends,
je vais vous expliquer… ». Et chaque jour, chaque matin, chaque soir, mon
oiseau me raconte ces sujets qui sont devenus pour lui des repères qui
rassurent. Alors je ne lui dis pas qu’il me l’a déjà dit, je me dis simplement
que tant qu’il m’en parle, c’est que tout va bien.
Mais ce soir, personne.