Affichage des articles dont le libellé est soins. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est soins. Afficher tous les articles

samedi 19 octobre 2019

Combien ça me coûte ?




- Tiens, l’autre jour…

Aïe. Je ne sais pas toi, mais moi, quand mes patients commencent leur phrase par « Tiens, l’autre jour… », c’est souvent pour m’annoncer un potin. Une nouvelle pas toujours fraiche et souvent liée au cancer d’un voisin, du fils du voisin ou de la belle-fille de la nièce de la voisine. Un potin, dont je suis souvent déjà au courent parce que je soigne la personne concernée ou parce que la patiente juste avant ma fana de ragots avait elle aussi commencée une phrase par « Tiens, l’autre jour… ».

J’étais accroupie en train de refaire le pansement de ma patiente dans une position qui ne m’était pas vraiment confortable et mes oreilles et mon cerveau étaient en mode filtre-à-ragots. Tout en la soignant avec les yeux fixés sur mes pinces, sa plaie et son pied, je l’entendais ranger ses papiers et pousser de la main le monticule de bazar qu’elle avait accumulé sur sa table. Je me demandais comment aurait réagi Marie Kondo, la star coréenne du rangement. Je pense qu’elle aurait gardé son agaçant sourire et qu’elle serait allée se mettre en PLS dans coin en imaginant devoir ranger le bordel sur la table et dans le reste de la maison. Puis ma patiente a ajouté :

- … J’ai jeté un œil sur mes relevés de sécurité sociale, pour voir les montants de vos soins… Mes oreilles et mon cerveau ont quitté leur filtre-à-ragots pour écouter la suite de sa phrase : … Ça vous fait une belle somme ! 

Bordel. J’aurais préféré l’entendre me parler du cancer du voisin. Ma patiente n’avait pas dit « ça fait une belle somme ! », non. Elle avait dit « ça VOUS fait une belle somme ! » et ça rendait le sens de sa phrase bien différent…

Cette dame chez qui je me rend quotidiennement n’avance pas ses soins. C’est le fameux 100%, le all-inclusive de l’affection de longue durée qui permet à la sécurité sociale de rémunérer directement les professionnels pour les soins nécessaires au bon maintien de l’état de santé de cette patiente. Elle sortait d’une longue hospitalisation de plusieurs semaines qui avait bien dû coûter plusieurs dizaines de milliers d’euros à la sécurité sociale. Mais ce qui semblait l’interroger ce n’était pas ce que me soins allaient coûter à la sécu’, c’était ce que cela allait me rapporter. Sur mon compte bancaire, dans mon porte-monnaie, dans ma poche à moi, son infirmière libérale. On était samedi, j’étais fatiguée. A cette heure, mon homme et nos filles devaient surement être à la piscine. Et même l’idée de les imaginer patauger dans un bouillon de culture tiède au milieu d’enfants incontinents me donnaient envie de rentrer les rejoindre. Je préférais jouer dans l’eau plutôt que d’avoir à rétablir les vérités de ce que je gagnais vraiment. Non pas que je me devais de justifier de mes revenus auprès de ma patiente, j’en avais juste marre d’entendre « oui mais toi, t’es libérale, tu gagnes bien ta vie ! ».

Elle a terminé de ranger ses papiers en classant l’affaire d’un « Vous vous en sortez bien… » qui m’a agacé. J’ai eu envie de souffler à m’en vider les poumons pour me laisser couler au fond de la piscine, là où tout est calme et silencieux. Elle est récurrente cette question d’argent et elle me gonfle un peu avec le temps. Mais je comprends les gens qui me questionnent sur mes revenus. On associe l’argent au libéral comme on associerait le rhum à la Martinique. Dans tous les cas on est saoulé, on sait que l’un ne définit pas l’autre, mais c’est la première chose à laquelle on pense quand on en parle. C’est réducteur et ça ferme souvent le débat autour des vraies valeurs de mon métier (et de la beauté de cette île). Les libéraux encaissent les chèques de leurs patients malades, ils savent exactement ce que coûte la santé et le matériel de soin. Il y a un rapport à l’argent très étroit, presque mystérieux et gênant d’ailleurs. Et pour cause, nous sommes des chefs d’entreprise qui basons nos revenus sur la mauvaise santé des gens. Tout comme les cliniques, les hôpitaux et les HAD mais comme ce sont des structures et non des gens qui vous facturent en tête à tête, cela semble moins gêner les patients.

- Oui enfin j’ai 60% de charges à payer dessus…

« Ah bon ? Tant que ça ? » m’a-t-elle dit l’air visiblement surprise. Ça veut dire que pour une prise de sang à 6€08, je ne touche réellement que 40% de mon soin, soit 2€43. Que pour son soin d’hygiène complet et ses nombreux petits pansements gratuits (car inclus dans le forfait d’accompagnement de 18€40 de l’heure), je touche réellement 7€36. 7€ pour laver, essuyer, habiller, panser et écouter que je coute cher mais que je touche finalement une belle somme. Sept euros… Et encore, après ça, je dois encore payer mes impôts. Elle semblait tomber des nues alors que je terminais de l’habiller. Et comme j’avais le temps, parce que ses soins m’en demandait beaucoup, j’ai commencé à énumérer le montant de tout ce que je devais payer chaque mois pour pouvoir soigner mes patients :

dimanche 11 novembre 2018

En même temps, ça m'arrange.



5 jours travaillés, 28 vaccins contre la grippe injectés. La campagne de vaccination commence bien...

- 2€36 la prise de sang au lieu de 6€08 ? Je comprends pas...

J'ai expliqué à mon patient le principe des soldes annuelles des libéraux. "1er soin facturé à 100%, le 2ème à 50% et les 3ème et suivants sont gratuits". You-Pi-♡

J'ai regardé la facturation de mes vaccins. Un tiers réalisés seuls et facturés 6€30 brut (3€15 net), un tiers réalisés en même temps que d'autres soins (m'obligeant à facturer mes prises de sang 1€18 net et mes injections 0€78 net, voire rien du tout en cas de 3ème acte mais en payant de ma poche le matériel utilisé) et un tiers réalisés gratuitement car dans le cadre d'un forfait AIS (aide à la toilette, surveillance hebdomadaire...). Gratuit pas cher, chouette.

Mon patient a été sympa, il m'a dit : "L'année prochaine, je prendrais deux rendez-vous pour que vous soyez payé de tout !". Il est sympa, mais il a la mémoire courte, car l'année dernière il m'avait promis la même chose.

Et puis il a ajouté :

- Mais en même temps, ça m'arrange...

"Ça m'arrange".

Bah oui, ça l'arrange. Comment lui en vouloir et lui expliquer que moi, ça ne m'arrangeait pas vraiment...

J'ai imaginé mon patient l'année prochaine au comptoir de sa pharmacie en train de réfléchir deux secondes à la proposition de son pharmacien de le vacciner dans l'officine. Et son "En même temps, ça m'arrange" et sa promesse de revenir me voir deux fois se transformera en un vaccin dans le bras dans l'arrière boutique d'une pharmacie. Parce que ça l'arrange...

Tu me diras, "oui mais vu ce que tu es payé, ça n'est pas bien grave !" Je te répondrais que ce n'est pas qu'un soin parfois mal rémunéré. Cette semaine, les vaccins m'ont permis de rencontrer six nouveaux patients qui ne me connaissaient pas. J'ai pu leur présenter mes soins, le cabinet et la possibilité d'y faire leurs prises de sang. Mes vaccins contre la grippe, c'est un peu la carte de visite que la sécu m'interdit d'utiliser...

Et c'est à se demander si ça, ça ne les arrange pas non plus...

vendredi 21 septembre 2018

Quand le blanc de la blouse rend transparent.



- Et ils ont prévu quoi pour nous, les infirmiers ?

J’ai lu les réformes de santé d’Emmanuel Macron à mon amie. Mais un peu en diagonale je l’avoue, les termes économiques et les phrases à rallonge m’ont toujours un peu perdu. Je cherchais les mots « infirmiers », « paramédicaux » ou même « auxiliaires médicaux » comme on aime nous appeler en ce moment. Mais rien, pas un mot, pas une réforme concernant les 680 000 infirmiers de France. C’est étonnant quand on sait que nous représentons la moitié des professionnels de santé.
J’avoue ne pas m’être penchée plus que ça sur les réformes du Président de la République et son plan « Ma Santé en 2022 ». Pourquoi ? Parce que mon avis de petite infirmière de campagne importe peu et que je n’attends plus rien d’un Gouvernement qui semble se foutre de ma profession. Parce que je suis transparente. « Mode pessimisme activé ».

Au départ ma blouse était blanche, belle et reluisante. En sortie de diplôme je fondais tous mes espoirs dans cet uniforme dont j’étais tellement fière, si tu savais. J’allais soigner les gens, les soulager de leurs maux, être reconnue pour exercer un métier difficile mais tellement utile et nécessaire. Et puis ma blouse s’est entachée de façon indélébile. A cause de la violence rencontrée pendant les soins, de l’épuisement de devoir faire toujours plus avec toujours moins ou du dépit de voir mes concepts de bienveillance et d’altruisme remplacés par la rentabilité et le besoin d’économie imposés par les structures de santé et le trou de la sécurité sociale qu’il faut absolument combler.
Ah, le fameux trou de la sécu’. C’est comme si tous les politiques s’étaient donné le mot pour relever l’ultime défi d’un quinquennat : « Celui qui arrive à reboucher le trou a gagné ! ». Alors ils se retroussent leurs manches les politiciens, et ils essayent. Suppression de postes, départs en retraites non remplacés, fermetures de service et d’hôpitaux… On tranche dans le vif comme on couperait le bras d’un mec qui souffre du doigt. Mais derrière, les soignants trinquent. Ils s’épuisent souvent, ils se suicident parfois. Et ils descendent des services et des maisons de retraites pour manifester leur colère dans les rues. Leurs blouses blanches sont colorées de slogans trashs et réalistes : « La santé n’est pas un chiffre », « Je suis malade de soigner », « J’en ai plein le cul de ne plus soigner avec mon cœur ». Et de réponse, nous n’avons eu que de l’indifférence. Et nos blouses blanches ont commencé à devenir transparentes...

Alors, j’ai laissé tomber les mots d’économistes que je ne comprenais pas bien et j’ai regardé l’intervention d’Emmanuel Macron. Il présentait ses réformes dans une longue vidéo. J’ai écouté, ai essayé de comprendre et à ses mots « vocation des soignants », je me suis étranglée et j’ai arrêté la vidéo. Pourquoi parler de formation de plusieurs années, de diplômes et d’expertise d’un métier de santé quand on peut limiter un infirmier à une soi-disant vocation qui le fera continuer à soigner peu importe les conditions ? Retour à la case nonne du siècle dernier. 

vendredi 22 juin 2018

Le point connard.


 

Cet après midi pendant que je faisais ma facturation au cabinet, j'ai installé le TP du jour de mon étudiante : "Ablation de sutures _ option point-connard".

Et comme c'est la mode du DIY (Do It Yourself) mais que je n'étais pas prête à me suturer moi même pour qu'elle se perfectionne sur de la vraie peau, j'ai fait au mieux.
Donne moi un gant, des cotons boules pour le remplir, un kit de suture et une agrafeuse chirurgicale et je te fabrique un cobaye du genre hyper patient !

Hier soir, j'ai mis mon Homme à contribution et il lui a fait tous les points face auxquels elle se trouvera confronté dans sa carrière d'infirmière. Agrafes, surjet, points simples, points serrés, mini-mini-points... J'ai même pu apprendre à faire des sutures (j'adore !) et j'ai fait à mon étudiante le fameux point-connard. Le genre à faire passer la cicatrice de ton patient pour un rôti. Le genre de surjet simple qui saucissonne, qui coulisse mal, qui donne des sueurs et qui m'a fait le nommer du seul mot qui me passait par la tête la première fois que j'ai eu à déssuturer un patient porteur de ce point !
- J'ai fait un trou à mon patient !!

Ah. Le fameux mini-mini-point sur lequel je voulais qu'elle s'entraîne. Celui qui m'a valu les mêmes sueurs hier alors que j'enlevais le cinquième point sur la tempe de ma patiente sous le regard de mon étudiante... Sans faire aucun trou ! 😉

mardi 5 juin 2018

Apprentissage.




Aujourd'hui c'était l'apprentissage de la dextérité pendant un prélèvement sanguin.
Tenir un corps de pompe et changer les tubes sans bouger l'aiguille dans la veine, ce n'est pas aussi simple que ça en a l'air !

Mon étudiante avait déjà réalisé des bilans sang et elle se débrouillait bien donc pas besoin de lui prêter mes veines (ouf ). Les patients apprécient ses soins mais il y avait juste de besoin d'un recadrage, un trois fois rien pour rendre la prise de sang plus confortable pour elle et pour ses futurs patients.

Donne moi un siège de prélèvement, une boîte de gants et des garrots pour tenir le tout et je te fabrique un faux dispositif pour apprendre à manipuler sans risquer de faire mal et sans craindre de mal faire

dimanche 3 juin 2018

Lui faire prendre l'air.



- Vous sortez ?

J'ai expliqué à mon patient que je ne pouvais pas continuer à faire son soin avec un papillon sur mon gant.
Quelques minutes plus tôt, alors que j'étais accroupie en train de défaire les bandages de sa jambe, j'ai senti un mouvement d'ailes près de mon oreille. Et puis un beau papillon, une écaille martre, est venu se poser sur ma main, pile entre mon pouce et mon index.

J'ai arrêté mon soin, pendant deux secondes.

Pendant deux secondes, ce papillon bien joli m'a coupé de ce soin qui ne l'était pas vraiment. Deux secondes pendant lesquelles je me suis dit que la vie envoyait parfois des signes magiques. Deux secondes pendant lesquelles j'ai trouvé que les tous petits rien étaient beaux et qu'ils habillaient joliment mes gants de soin

vendredi 27 avril 2018

A la poubelle.




- Je suis fatiguée tu sais…

Tu me salues toujours de cette manière-là, une petite plainte à chaque fois, juste après le « bonjour » de ta voix aussi éraillée que ta sonnette d’entrée. Toute voutée et dépassant de peu la hauteur de mon coude, tu t’agrippes à mon bras en soufflant ta fatigue jusqu’à la cuisine au son de tes chaussons que j’entends frotter le sol. Ces chaussons bleus avec un trou au bout du pied gauche, ces chaussons que tu ne veux jamais que je remonte derrière le talon parce que « c’est bon pour les vieux », pas pour toi. Je t’installe sur ton fauteuil en velours, le même de ceux qu’on ne voit plus que chez les anciens et tu me racontes ta journée au foyer logement. Tu aimes bien la monotonie d’ici, les journées qui se ressemblent comme si on avait arrêté le temps. Ce que tu n’aimes pas trop, ce sont les autres, « Les vieux » comme tu les appelles. Ceux qui partagent ta table le midi, qui radotent, qui entendent haut, qui boivent la soupe par les trous des dents qu’ils n’ont plus.
La dernière fois que je t’ai vu, tu m’as dit que tu étais fatiguée et je t’ai demandé pourquoi. Tu as plongé tes yeux bleus dans les miens et en fronçant les sourcils tu m’as répondu d’une voix grave « J’ai la maladie de l’usure ». J’ai trouvé ça génial et j’ai souri en te disant qu’à 95 ans, c’était le genre de maladie contre laquelle on ne pouvait pas grand-chose. Je t’ai demandé à quoi était dû cet étrange syndrome et tu as ajouté :

- La Vie. Mais ce n’est pas la vie qui m’use tu sais, ce sont les années qui me fatiguent… Tiens t’as vu, j’ai fait une soupe à l’oignon et elle a brulé !

Tu étais comme ça. Capable de me sortir des phrases magnifiques sur la Vie et me dire d’aller jeter un œil à ta plaque de cuisson. Tu as soufflé en regardant le fond de ta casserole qui avait cramé et sans relever le nez tu as ajouté « C’est foutu, elle n’est plus bonne à rien maintenant ! Y’a plus qu’à la jeter à la poubelle !». Avec ta paume, tu as frotté nerveusement le dessus de ton autre main tellement maigre que des creux se formaient entre chaque tendon. A ta voix j’ai compris que tu ne parlais plus de ta soupe à l’oignon…
Ce soir-là, pendant que je refaisais tes pansements, on a parlé de la mort, de la tienne. Sans tristesse aucune, juste un constat. Un bilan de presque cent ans d’une vie tout entière, assez chouette mais avec quelques regrets que d’un coup, tu avais l’impression de quitter un peu. Et tu m’as fait faire une promesse :

- Mes enfants, je ne les ai pas beaucoup revus depuis la vente de la maison. Mes petits-enfants ont pensé à récupérer ma voiture mais ils ont oublié mes anniversaires. Je sais que le jour de mon enterrement, il n’y aura pas grand monde. Mais même si je ne suis pas sûr qu’on ressente de la joie en étant mort, ça me ferait plaisir de te savoir là le jour où on me mettra en terre…

samedi 10 mars 2018

Et rebelote.




- Je suis devant sa porte, et toujours rien. Pourriez-vous me rappeler, rapidement…

Il commençait à faire nuit. Le ciel était couvert et la ville voisine donnait une coloration orangée aux nuages. C’était joli. Du moins c’était plus sympa à regarder que le crépis blanc sale de sa façade. Troisième fois que je repassais et troisième fois que je sonnais sans entendre le « Oui ouiiiiii !!» habituel. Je le connais bien et je connais ses rituels. Ses habitudes et tous les signes qui, en un simple regard en direction de sa maison, déclenchent cette certitude et cette petite pointe dans le plexus qui ferait dire à un n’importe quel soignant que quelque chose ne tourne pas rond. Des volets ouverts alors qu’à cette heure ils sont fermés, l’absence de lumière à travers la fenêtre de la porte d’entrée, une poignée de la porte non relevée comme il le fait à son habitude lorsqu’il la referme derrière lui.

La première fois que j’ai vu mon vieux patient, il m’a dit l’importance que représentaient pour lui ses nombreuses promenades dans le village et la conduite de sa voiture que je ne trouvais pas très prudente au vu son état :


- Je suis un peu comme un oiseau moi vous savez. Je l’aime ma liberté. Il y a juste que, quelques fois, je suis un peu perdu…

Mais ce soir alors que la nuit venait de se lever, mon oiseau n’était toujours pas rentré au nid. Mon vieux patient était un peu perturbé depuis quelques jours et je craignais que son Alzheimer l’ait empêché, pour une fois, de retrouver le chemin de son nid. Ou pire, qu’il soit tombé quelque part, en train de mourir dans un fossé. Ou pire, qu’un accident de voiture gravissime l’ait empêché d’appeler les secours et qu’il soit en train de mourir au bord de la route. Oui, dans ces cas-là, je suis capable d’établir des scénarios de films d’angoisse. Je regardais le crépi de sa façade en écoutant une énième fois le répondeur de son fils… Et je commençais à m’inquiéter.
Alors j’ai pris ma voiture et j’ai refait son trajet habituel. Celui que je connais par cœur parce que je l'entends me le décrire chaque jour comme s’il me l’expliquait pour la première fois. Et comme à chaque fois, je l’écoute sans lui répondre « Vous me l’avez déjà dit ! » qui ne servirait qu’à l’angoisser. Parce qu’en plus du chemin, il y a sa pelouse toujours trop longue, son ancien travail à l’usine, ses concours de belote où il a la main chanceuse et cette voisine bavarde quelques rues plus loin qui lui tape la discute et qui l’empêche de faire sa balade « Vous savez ce chemin que je prends, je vais vous expliquer… ». Et chaque jour, chaque matin, chaque soir, mon oiseau me raconte ces sujets qui sont devenus pour lui des repères qui rassurent. Alors je ne lui dis pas qu’il me l’a déjà dit, je me dis simplement que tant qu’il m’en parle, c’est que tout va bien.

Mais ce soir, personne.

mercredi 28 février 2018

Pour les enfants anxieux (et les fesses récalcitrantes)


- Encore une...

Mon vieux patient est parti s'installer sur son canapé en soufflant tout le ras le bol qu'il ressentait à me voir sortir encore une fois seringue et aiguilles. C'est qu'il commence à en avoir marre des piqûres dans la fesse et je le comprends...

Mais heureusement, l'après midi même j'avais pensé à lui en mettant de côté un des nouveaux pansements achetés pour mes petits patients. Je trouvais ça triste de leur coller un vilain coton boule au plis du coude alors j'ai voulu égayer tout ça (va voir dans les commentaires, j'ai publié des photos de ces mignonneries de pansements !) en achetant des pansements avec des licornes, des princesses, des chats et des petits mots drôles.

Pour la petite histoire, mon vieux patient, à qui j'avais montré les mignonneries de pansements, a fait la bougie en me voyant arriver avec ma seringue. Mais pas à cause de la piqûre en elle même non, il était juste décu de ne pas avoir eu le droit à sa licorne. Du coup, il est presque pressé d'être à la prochaine injection pour avoir le droit à une belle décoration sur sa fesse.

mercredi 14 février 2018

Pas de soin, pas de pain au chocolat.






- Tu as dit à Charline ce qu'on avait prévu pour elle ?

Le petit garçon qui avait été présenté comme "timide et douillet" est descendu du siège de prélèvement où je l'avais installé sur les genoux de son père. Il s'est approché du sac en papier qu'il avait emmené "Tiens, regarde !".

Quelques jours plus tôt, une vilaine chute lui avait ouvert le menton et c'était le grand soir : c'était son baptême d'ablation de sutures (you-pi !) non sans appréhension pour le petit garçon qui allait devoir regarder le plafond pendant que je lui trifouillerai le menton.
- Si tu m'enlèves mes points au menton sans que j'ai mal, tu gagnes un pain au chocolat !

Alors je me suis appliquée, parce que c'était le soir et que j'avais très faim. Et parce que quelques jours plus tôt sur ce même fauteuil j'enlevais les points de suture d'un autre petit garçon. En pleurs, en cris, énervé, intouchable, tout rouge de colère avec une mère qui ne savait plus comment faire. J'ai du le bloquer avec mes bras pour faire au plus vite sans le blesser, sans me blesser avec ma lame, en esquivant les coups de pieds, en perdant un peu de mon audition...J'ai galéré mais j'ai réussi. Mais j'ai détesté faire ce soin.

Alors avec lui qui m'écoutait le menton relevé, j'ai parlé de ses cinq ans pendant que son père lui bisouillait le front. On a discuté de l'école et des gamelles des copains et de toutes ses cascades à lui qui allaient me faire prendre du poids.

Et tu sais quoi ? J'ai gagné mon pain au chocolat ! Le soin s'est tellement bien déroulé qu'il aurait pu m'offrir la boulangerie toute entière !

Des soins comme ça, moi j'en veux bien tous les soirs ! 😉

vendredi 9 février 2018

Je vous les emballe les parts de tarte ?




- Je veux bien, sinon je vais devoir les manger à même le tapis de sol de ma voiture !

Ma vieille patiente m'a gentiment fait remarquer que les deux parts de tarte au pomme étaient pour mes filles et elle m'a montré du doigt celle qu'elle m'avait préparé sur un sopalin. Elle a ajouté : "Tiens mange donc, 'pis ressers toi un autre verre !". Je crois qu'elle cherche à me saouler...

Peu de temps avant, après avoir sonné et avoir entendu son "Ouiiii" éraillé, j'ai entrouvert la porte en ne laissant passer que le pot de bégonias que je lui avais acheté pour son anniversaire. Elle m'a ouvert avec des yeux qui n'avaient plus 95 ans. Le visage était ouvert et heureux et elle plongeait son nez dans les fleurs sans parfum :

- Va dans le couloir devant la porte du garage, j'ai préparé trois bouteilles, choisis ce que tu veux boire. Je te sors ta part de tarte du frigo !

J'ai entendu les chaussons frotter le sol en s'éloignant. Pétillant, rouge ou rosé, les trois petites bouteilles bien alignées contre ma porte attendaient que je les débouche.

Ses 95 ans, elle les avait fêté seule pour des raisons que j'ignore et que je ne cherchais pas à comprendre. Je lui ai simplement demandé comment allait la vie et elle m'a répondu : "Le temps qui passe n'est jamais aussi long que lorsque l'on sait qu'on en a plus pour longtemps. Mais j'ai des bégonias rouges...".

lundi 9 octobre 2017

Bon bah dans le doute...




... Je vais prélever tous les tubes !

- Hein ? Parce que ?!
- Parce que votre médecin a dû éternuer en rédigeant votre prescription vu comme c'est illisible !

Le patient a fait une moue. Celle qui lui a fait tordre sa bouche de travers pour me faire comprendre qu'il était moyennement d'accord. Moyennement d'accord avec le nombre de tubes que je préparais pour sa prise de sang. Huit. Toutes les couleurs et plus encore pour éviter le risque de recevoir un appel du laboratoire me demandant de repiquer mon patient parce que "Charline tu as oublié un tube EDTA pour doser sa VS !", mais où ? OÙ EST CE QUE C'ÉTAIT PRESCRIT BORDEL ?!

J'ai décrypté quasi toute l'ordonnance mais il restait encore deux ou trois lignes qui ressemblaient à une quinte de toux du médecin (le pauvre devait être vraiment très malade). Le dernier tube prélevé, j'ai conclu la prise de sang par un joyeux :

- Et pour votre plus grand plaisir nous allons nous revoir car vous allez devoir prélever vos selles dans des petits pots pendant 3 jours, regardez c'est noté là et puis là ! Et ça, ce sont les petits pots cadeaux. 

Sa mou tordue d'un côté s'est transformée en grimace qui avait contaminée toute sa bouche. Et puis mon patient a enfilé la dernière manche de son manteau tout en regardant les petits-pots-à-caca que j'avais posé près de sa carte vitale et les yeux plein de malice il m'a dit : "Finalement dans cette histoire, vous n'aurez pas été la seule à en chié !".
 
J'adore mes patients !

vendredi 22 septembre 2017

Et c'est reparti...



Voiture garée devant le cabinet, bisou au collègue fatigué, transmissions terminées, re-bisou pour dire " au revoir !" au collègue qui n'a qu'une envie celle d'aller se coucher, voiture démarrée... J'avoue, j'ai la flemme, je suis claquée et je traîne un peu de la mallette.
Premier virage, premier trottoir grimpé pour se garer au plus près (je vous avais dit que j'avais la flemme ?), première porte frappée, je baille un peu et premier sourire de la toute première patiente faisant écho au mien apparu comme par magie sur mes joues et qui me tire par le bras pour me montrer son parterre en fleurs... Je suis toujours claquée mais je suis contente de la revoir.

Certains diront que je suis gnangnan ou cul-cul quand je parle des gens que je soigne (je l'ai entendu) mais c'est une belle réalité : j'aime ceux dont je m'occupe, surtout les plus vieilles qui me font remarquer que les dahlias jaunes tant attendus sont en fleurs maintenant. Pour être tout à fait honnête je m'en fiche un peu mais je suis touchée de voir ma quasi-centenaire heureuse comme une gamine au milieu des fleurs...
C'est reparti pour un roulement de 7 jours non stop avec un beau coucher de soleil et une belle surprise à la clé que je vous annonce ce week-end !


mardi 29 août 2017

Couper du travail et essuyer sa bouche.




- Et sinon, vous arrivez à couper avec votre travail pendant votre repos ?

C'était une question au milieu d'autres que la journaliste m'avait posé pour étayer son interview. J'ai posé ma tasse de thé, un peu embêtée par la question à laquelle je n'avais pas vraiment de réponse. Enfin si, j'en avais bien une mais je crois qu'elle ne me plaisait pas vraiment : "Je ne suis pas sûr de réussir à couper en fait...".

- ... Mais bon, continuais-je, c'est quoi en fait la définition de "couper avec le travail" ? 

D'un coup, je me suis demandée si "couper avec le travail" c'était de ne plus penser du tout à mon métier d'infirmière libérale. Ne plus y penser alors que j'avais profité de mon jour de repos pour aller déposer mes chèques à la banque en emmenant mes filles chez le coiffeur. Ne plus se prendre la tête en pensant aux papiers à traiter pour le cabinet alors que mon agenda qui pèse trois kilo et demi, gît, là sur ma table basse depuis le début de mes vacances et que j'intime mentalement d'aller se faire voir à chaque fois qu'il attire mon attention. Couper et ne pas se dire "Tiens, elle est belle la Marjolaine de Marie-Jo' cette année !" ou "Le Fushsia de Monique est superbe !" à chaque fois que je me promène dans mon jardin et que je croise les plantes accompagnées d'un écriteau aux noms de mes patients-donnateurs. Et je ne parle pas du cageot de prunes transformées en confitures offert par celui à qui j'ai injecté le dernier anticoagulant, des potirons, des tomates, des salades ou des chocolats offerts par ceux que je soigne lorsqu'ils me raccompagnent à la porte de chez eux et qui égayent les goûters et les autres repas de toute ma famille...

Couper avec le travail... Ne plus penser à ceux que je soigne et essuyer la bouche de ma fille... "Lapin ! Lapin Maman !". De son petit doigt potelé elle me montre le lapin brodé sur son bavoir rose pâle. Elle l'adore et moi tellement plus encore... 

Couper avec le travail... Et ne plus penser qu'au goûter de ma fille et puis d'un coup repenser à elle avec ce sentiment qui tape pile dans les pensées émues et joyeuses, tu sais ce ressenti bizarre qui te fait cette petite pointe au cœur lorsque tu repenses à quelqu'un que tu as aimé et perdu. Elle, celle qui est devenue une patiente-bonus, une patiente-chouchou, une patiente-Amie venue tacler sans crier gare cette relation soignant-soigné qu'on veut préserver avec une distance qu'on pense nécessaire. Avec elle, j'ai vécu le bonheur et l'enfer ponctué d'annonces joyeuses et terribles, de grossesse et de cancer, de naissance et de mort, de nausées et de thé avec toi à discuter de rien, de "Bonjour !" et de " A demain !" jusqu'à ce jour où j'ai dû te dire au revoir sans plus jamais repasser la porte de chez toi...

J'ai finit d'essuyer la bouche de ma fille et j'ai repensé à mon retour après mon congé maternité. Des semaines que je ne t'avais pas vu. Tu étais tellement mal et en même temps tellement heureuse de me revoir. Nos tasses de thé étaient posées sur la table basse et je sentais flotter dans ton salon cette odeur de pain grillé et de cire pour meuble caractéristique de cette ambiance cosy que j'aimais tant chez toi. J'étais assise à tes côtés sur le canapé, tes mains entouraient les deux miennes dans lesquelles tu avais déposé un petit cadeau emballé : un joli bavoir rose pâle sur lequel était brodé un lapin.

Couper avec le travail, je ne sais pas faire parce que j'ai l'impression qu'il me fait en partie voire toute entière parfois. Parce que je travaille auprès de personnes qui ont ce magnifique pouvoir de me rendre un peu plus différente chaque jour, et en mieux. Tout me rappelle à ce métier, comment l'oublier... Alors non, je ne sais peut-être pas couper, mais pour être honnête, je ne sais même pas ce que cela veut dire. Je suis heureuse d'être infirmière et je ne le suis pas moins d'être en repos quand bien même je pense à ceux que je n'ai plus, à ceux que je suis en train de perdre et à ceux que je ne connais pas encore mais qui changeront d'une manière ou d'une autre celle que je suis aujourd'hui.

jeudi 17 août 2017

Dessine-moi un coeur pailleté.



Il y a quelques semaines, je terminais le pansement de main de cette petite gamine par mon rituel "Bon alors, qu'est ce que je te dessine sur ton pansement aujourd'hui ?". C'était tout con, mais ce petit dessin de rien l'aidait à accepter son pansement qu'elle ne supportait plus vraiment.
 
La veille, elle m'avait demandé un bonhomme qui sourit et quelques jours plus tôt c'était un hamster que j'avais dû dessiner dans le creux de sa main. Paye ton défi chaque matin ! Et puis un jour elle m'a regardé et elle m'a dit : "Je veux un coeur avec des paillettes, parce que c'est chouette quand il y a des paillettes 💖 !". J'ai fait au mieux, c'était vraiment moyen mais ma petite patiente était contente, c'était le principal.
 
Et puis l'autre jour en vidant un tiroir de chez moi je suis retombée sur mon scotch rose-pailleté. J'ai repensé à cette petite gamine, à sa main bandée et dans un délire inexpliqué j'ai accroché le rouleau à mon sac à main avec l'idée d'en disperser un peu partout. Depuis, chaque jour je découpe, je colle et je disperse des coeurs pendant ma tournée de soins à chaque fois que le mien prend dur ou quand il s'illumine pendant un soin. Ainsi, je me dis que le lendemain si j'ai un coup de mou je tomberai dessus et je serai pailletée de nouveau.

Et puis qui sait, un passant tombera peut être dessus à son tour et pensera comme ma toute petite patiente que les cœurs c'est décidément plus chouette quand il y a des paillettes ! 😁💖

dimanche 30 juillet 2017

Les laisser, un peu.




- R'garde Maman, c'est trop drôle !!

Les DVD Pixar et les gosses ça marchent toujours, surtout en fin de journée quand tu veux être tranquille... 😊

J'ai loupé la vanne soit disant drôle du film que regardaient mes poussins parce que mes yeux étaient rivés sur mes boots que j'étais en train de lasser. Je devais retourner bosser, repartir soigner mes gens.
Certains aiment travailler le dimanche pour sa tranquillité, moi je préfère rester chez moi, tranquillement auprès des miens, auprès de mes poussins... Ce soir j'ai la flemme, j'ai pas envie de les quitter.


- La tournée est légère, je ne rentre pas tard mes biches. Je vous laisse, un peu. Pas longtemps...

mardi 18 juillet 2017

Sur ma joue.



35 degrés dehors, étouffant à l'intérieur. Je roulais la fenêtre ouverte en me rendant chez cette patiente qui m'avait donné du fil à retordre la veille avec sa perf' et j'avoue que je m'y rendais sans trop d'envie.

Je longeais un champ de blé pas encore moissonné et l'air par la fenêtre venait frapper sur ma joue des mèches de cheveux détachés de ma queue de cheval. Et puis, une mèche semble-t-il un peu plus forte est venue toucher ma pommette. Par réflexe j'ai porté mes doigts à mon visage et j'ai senti quelque chose de fragile coincé dans mes cheveux. Sur mon index, il y avait des pigments colorés et nacrés comme du fard à paupière.

Un papillon avait terminé sa course sur ma joue avant de trouver refuge dans une mèche de mes cheveux.

Je l'ai surveillé du coin de l'œil dans le rétroviseur jusqu'à mon arrivée chez ma patiente avant de le décrocher délicatement et de le déposer au creux de ma main. Il n'a pas survécu et il est mort là, comme ça au contact de ma peau... .
Je l'ai déposé dans le parterre de fleur à l'entrée de la maison de ma patiente. Ce parterre devant lequel son mari s'agenouille pendant des heures parce que la maladie de sa femme rend l'intérieur de sa maison un peu plus pesant chaque jour.

Je me dis que si il tombe dessus ce soir en grattant ses fleurs il se dira que la Vie est belle et fragile... Ou peut être qu'il ne verra rien et qu'il le jettera un peu plus loin parce que rien n'importe plus que ce qui se joue entre les murs de sa propre maison...

lundi 17 juillet 2017

Trois gorgées de bière et deux morceaux de fromage.



- Une bière ! Je te promets, j'étais à deux doigts de lui demander de me payer une bière !

J'étais en plein débriefe concernant la fin de ma tournée du soir avec mon conjoint. C'était notre petit rituel sur la terrasse et j'avoue que ce soir là, j'avais bien besoin de bière et de fromage de savoie pour décrocher de la tournée du soir qui avait débutée comme ça :


- Mais genre " maintenant maintenant " ou ça peut attendre la fin de ma tournée de soins ?

A priori ça pouvait attendre. Garée à l'arrache sur un trottoir, j'ai pris une fiche de route pour noter les informations de ma nouvelle patiente fraichement sortie de l'hôpital et dont les soins débutaient ce soir :

" Intramusculaire d'antibio' + sous cut' d'anticoagulant 
+ prise de sang x2 cette semaine + 
Pose de bandes de contention : tous les jours pendant 10 jours "


Cette série d'actes allait me forcer à solder une nouvelle fois mes soins étant donné que je ne pouvais pas facturer plus d'un soin et demi. J'ai profité de l'avoir au téléphone pour aborder avec ma patiente le fait que la pose de ses bandes de contention n'allaient pas lui être remboursé par la sécu' :

- Ah bon ? Mais j'ai pourtant une ordonnance de l'angiologue ! (grand classique du médecin non formé à la nomenclature...)

" C'est que la sécu refuse d'inclure la pose de bandes de contention dans la nomenclature qui nous permet de facturer nos soins. Je peux vous les poser, je suis formée pour, mais ça vous sera facturé non remboursé. C'est nul, je sais et ça m'énerve je vous le promet, mais..."

Mon téléphone a bipé, j'ai coupé court en promettant de passer la voir au plus tôt pour débuter ses soins et j'ai pris l'appel d'une patiente que j'avais perfusé le matin-même :

- Votre perfusion s'est... Déperfusée ?

J'ai rajouté "Arf !" mais dans ma tête ça sonnait "Fait chier !" et je lui ai répondu que je venais au plus vite. J'ai fait un soin rapide qui était sur la route et puis avant d'entrer chez ma patiente rebelle-de-la-perf j'ai envoyé un texto à ma nourrice pour prévenir que ma mère viendrait chercher mes filles, retard oblige. J'ai constaté le cathéter déperfusé, j'ai re-préparé une perf', j'ai repiqué et reperfusé en les quittant d'un joyeux "Si je dois repasser tout à l'heure, vous me préparez l'apéro !" avant de refermer leur maison. 30 minutes de retard.

J'ai continué ma route pour me garer devant chez ma nouvelle patiente non prévue. On a rediscuté de la pose des bandes de contention : elle acceptait de payer la pose tout en admettant que c'était con, pour elle et pour moi que la nomenclature ne soit pas mieux adaptée. Je n'ai pas pu la contredire et j'aurais adoré avec la Ministre de la Santé sous un bras et le grand patron de la Sécu sous l'autre..

Je suis repartie de chez elle au ralenti, un peu fatiguée. Ce premier jour de reprise prenait fin et pourtant la fin de ma tournée me semblait loin, mais loin ! Encore 18 jours... Les vacances semblaient bien loin d'un coup.

J'ai retraversé deux communes pour me rendre chez ma dernière patiente, ma grognon-chronique. Toujours de mauvaise humeur, un peu-beaucoup alcoolique, toujours en colère contre la vie, franchement démente, et ce soir... Complètement imbibée d'alcool, jusque dans son lit qu'elle avait trempée d'urines. 
Il faisait chaud elle avait bu, mais pas de l'eau. Elle, ce qu'elle aimait c'était le vin rouge, celui qui tâche ses robes à fleurs. Ma patiente était perdue de ne plus savoir si c'était la fin de journée ou le matin et j’ai maudit le soleil qui la perturbait autant les soirs d'été. Elle était agacée de me voir arriver en retard et j'ai maudit sa démence-alcoolisée qui me reprochait mes avances, mes retards et peut-être ma présence tout court. Moyennant négociation, j'ai réussi à la mettre au propre et je l'ai quitté en pleine guerre contre les mouches qui envahissaient toute l'année cette maison qui sentait l'urine de chat et la pâté pour son vieux chat roux.

Déjà 45 minutes de retard, j'avais envie de rentrer bisouiller mes filles pour bien clôturer ma journée avant qu'elles aillent se coucher et puis mon téléphone a sonné :

- Devinez quoi... Qu'est ce que vous aimez boire à l'apéro ? ... Je me suis re-redéperfusée.

Oui, débriefer de tout ça valait bien trois gorgées de bière et deux morceaux de fromages.

mercredi 26 avril 2017

Une goutte d'eau dans un océan de soins.




- Il a tellement changé, si tu le voyais… Il a le visage tout déformé…

Elle est passée tout contre moi, frôlant mon épaule gauche en lâchant près de mon oreille ces quelques confidences qui n’étaient destinée qu’à celui qu’elle avait au bout du fil. J’ai regardé mon téléphone : j’ai quinze minutes, ça va être chaud. J’ai longé le trottoir et je me suis arrêtée devant le passage piéton pour laisser passer une ambulance. Un jeune couple s’est arrêté près de moi. Le sac à main de la femme tapait contre mon bras, agaçant :

- Mais comment je s’rais vénère moi si j’étais à la place de ta mère, sans déconner ! Attends, sa voisine de chambre elle passe son temps à râler et en plus elle ronfle. Bordel, je pèterai trop un boulard ! ‘Pis ‘toute façon j’aime pas l’hôpital, jamais tu me laisses ici. Ja-mais !

J’ai esquivé deux ou trois personnes qui bloquaient l’entrée du bâtiment duquel je devais passer les portes. Chacun enfermé dans sa bulle. En passant près d’eux, j’entendais des brides de leurs conversations téléphoniques. Des «Il dit que ça va, mais moi j’vois bien que ça va pas…» avec autant de mots mâchonnés d’angoisse qu’un ongle rongé entre deux dents rendaient difficile à comprendre. Des «On sait pas, on sait pas. Même les médecins savent pas ce qu'il a !» lâché entre deux nuages de fumée de cigarette et un mordillement de lèvre. Des bulles d’angoisses dont je me protégeais machinalement en traversant la foule le nez plongé dans mon foulard. Réflexe à la con qui ne protégeait de rien…

J’ai frappé à sa porte. La 214, celle au bout du couloir. Celle avec un panneau «Isolement : SHA + mettre des gants » :

- Dis donc, je vais finir par croire que tu préfères tes infirmières de service à moi, je vais être jalouse !

vendredi 21 avril 2017

Coup de gueule infi' #30 : 2€20 la prise de sang.






- Ouais, bah je vais reprendre un carré de chocolat moi…


Je me suis levée du canapé en emmenant avec moi l’emballage vide de la tablette de chocolat et j’ai laissé le comptable débuter le bilan annuel de mon conjoint. 
Il venait de terminer l’explication tout en chiffres de mon année de travail d’infirmière libérale. Et pour une dyscalculique comme moi, cette séance annuelle s’apparentait à une quasi-torture des méninges que seul le chocolat savait calmer. Des nombres et des pourcentages dans des colonnes. Des lignes et des courbes pour comparer N avec le N-1 de mon activité et de celles des autres libéraux. L'angoisse.
Et puis en bas du diaporama, il y avait un chiffre. Il m’avait fait l'effet d'une pichenette derrière ma deuxième tête, celle de droite. L'une de celles de la bête à deux têtes que moi, infirmière libérale j'avais souvent l'impression d'être :


- 3€62. Quand tu soignes tes patients et que tu gagnes 10€, en réalité tu n’empoches que 3€62 net…


J’ai repris un carré de chocolat. Appuyée contre le plan de travail de ma cuisine, ma tête de droite, celle qui calcule, celle qui veut savoir si c'est rentable, a pris un papier et mon portable. Je me suis mis en tête de calculer ce que me rapportait réellement une prise de sang à 6€08. Produit en croix... Ma tête de gauche a pris le dessus. Elle c'est la voisine, celle qui bosse uniquement avec le cœur, peut importe combien elle perd, peut importe l'heure, elle soigne quitte à y perdre parfois des petits bouts de palpitant. "C'est pas si important combien ça rapporte au final, non ? On s'en fiche, tu vis convenablement".  Fronçage de sourcils. Carré de chocolat. Calcul sur le portable…
 

2€20. Bam. 


Je me suis gratté le coté droit du crâne. 

J’ai repensé à la prise de sang de l’impossible la semaine précédente. Une dame chimiotée jusqu’à la racine des cheveux qu’elle n’avait plus et des veines minuscules et fragiles avec lesquelles il fallait batailler en douceur pour récupérer trois petits tubes de sang. J’y avais passé trente minutes. Parce qu'il fallait prendre le temps. Parce qu'on ne prélève pas une patiente avec un cancer qui bouffe le ventre comme n'importe quelle autre. Trente minutes de mon temps pour 2€20 net la demi-heure."T'avais qu'à y passer moins de temps et tu aurais été rentable !". Ma tête de gauche n'a pas aimé la réflexion de sa voisine de droite...

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...