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dimanche 6 novembre 2016

Coup de gueule infi' #23 : Tu le savais qu’on allait mal ?





- Quoi y'a encore une grève de prévue ?

J'ai reposé ma pince kocher et j'ai regardé mon patient. Il venait de lever les yeux vers son plafond et n'avait même pas remarqué qu'il m'avait blessé. Ce matin-là, j'aurais pu ne pas relever, ne pas me sentir touchée mais d'un coup j'ai repensé au mail que j'avais reçu sur mon blog et à cette infirmière qui m'avait écrit : "Ça fait du mal et ça fait du bien de te lire, parce que pour une fois je me rends compte que je ne suis pas la seule à avoir envie de me foutre en l'air". D'un coup, mon cœur qui s'était vrillé d'un petit trois fois rien a eu des relents de beaucoup trop...
Je l'ai regardé lui, qui avait les yeux figés sur son plafond, lui qui ne voyait pas plus loin que la peinture blanche au-dessus de sa tête, lui qui ne se doutait pas que nos blouses de la même couleur étaient entachées par ce même goût de sang amer que nous avions au fond de nos gorges de soignants. 

J'ai terminé mon soin dans un silence religieux à faire pâlir mes ancêtres les cornettes, puis en mettant mon blouson en cuir, je lui ai dit : "Mais vous savez que la santé est malade et que demain peut-être, vous serez condamné à devoir vous soigner tout seul ?".
Je lui ai dit combien sa réflexion ne m'étonnait pas, parce que Marisol Touraine devait elle aussi lever les yeux vers les moulures du plafond blanc de son bureau. Qu’elle devait être agacée en se disant combien il y avait plus grave à traiter en ce moment, en se disant qu’il y avait certainement des sujets de plus grande importance à tweeter comme les Pokemons qui font courir nos gamins ou le burkini qui couvre nos femmes… Sa loi santé elle, ne couvre pas les besoins en soin et fait courir les soignants mais ça, ça ne mérite pas 140 caractères.

J'aurai voulu lui dire tellement de chose à ce patient...

Mais d'un coup, je me suis sentie fatiguée de devoir me justifier de sortir dans la rue pour essayer de me faire enfin entendre du Gouvernement. Je me suis sentie lasse de devoir expliquer à celui que je soignais depuis des semaines pourquoi je ne serais peut-être plus là demain pour panser ses plaies. Je lui ai serré la main en lui souhaitant une agréable journée et je suis allée m'enfermer dans ma voiture. J’ai claqué la porte et je me suis retrouvée seule dans cet habitacle froid aux fenêtres pleines de buée :


- Bordel !!

Voilà tout ce qui est sorti de ma bouche une fois installée derrière mon volant de libérale. Génial. 
Cette grève, je savais d'avance que je ne pourrais pas y participer et d'un coup je me suis sentie complètement seule. Complètement inutile et seule. J'ai regardé mes mains qui tenaient mon volant et j'ai repensé à ces mêmes mains posées sur mon clavier d'ordinateur la veille. Ces doigts qui tentaient de répondre à cette infirmière qui m’avait vrillé le cœur. J’écrivais, puis j’effaçais, puis je réécrivais... Puis j’effaçais à nouveau. Qu'est-ce que j’aurais pu dire à cette soignante pour qu'elle ne se foute pas en l'air ? Qu'est-ce que j’aurais pu dire à ce patient pour qu'il cesse de lever les yeux en l'air ? J'aurais pu lui dire...

vendredi 21 octobre 2016

Coup de gueule infi' #22 : On me rajoute des casquettes et on me retire la blouse.




- Ton travail, c’est de me poser trop de questions !


La vieille dame a recalé son obésité en faisant grincer son fauteuil roulant. Je venais de lui demander si elle avait besoin de quelque chose avant que je parte et en réponse elle m’avait tendu sa liste de courses. Sympa. Alors agacée par le manque cruel de reconnaissance qu’elle exprimait depuis toujours pour mon travail d’infirmière libérale et fatiguée de cette mauvaise humeur avec laquelle elle m’accueillait chaque matin depuis des années, je lui avais posé cette simple question : " Mais vous savez ce que c’est mon travail au juste ? "

Assise face à sa table en formica marron recouverte d’une nappe délavée sur les bords elle a repoussé nerveusement une mouche de son mouchoir bleu à carreaux, une des rares qui avait échappé au papier tue-mouche accroché toute l’année dans sa salle à manger. Sans me regarder, la vieille patiente a répondu d’un aplomb calé au centimètre près dans ce fauteuil roulant trop petit : ton travail, c’est de me poser trop de questions ! 



Voilà ce qu’elle m’avait répondu. Et en gros, je l'ennuyais à faire valoir mes compétences.



C'était une punchline-badass-du-troisième-âge comme je les aimais habituellement. Mais ce matin-là, sans vraiment savoir pourquoi, j’ai été agacée de l’entendre me répondre qu’elle ne savait pas à quoi je servais. Ok elle est alcoolique, ok elle est probablement sénile, ok sa solitude la rend certainement aigrie, OK ! Mon diagnostique foireux en poche, je regardais ma vieille patiente s'acharner contre cette mouche qui ne voulait pas mourir et je me suis dit qu'elle se fichait bien de qui j'étais et de pourquoi j'étais là, tant que j'étais présente pour elle, ses bouteilles de rouge et son salon plein de mouches.



Je suis sortie pas franchement calmée de chez la vieille dame. Il faut dire que depuis quelques temps ma patience et ma bienveillance d’infirmière libérale étaient soumises à rude épreuve. 



Il y a eu les auxiliaires de vie et les aspirations endotrachéales qu’elles allaient maintenant pouvoir réaliser entre le ménage et les courses. Il y a eu les HAD et certaines perfusions et pansements dit "complexes" qu'elles avaient récupéré en estimant qu’ils ne relevaient plus de notre rôle de libérale et qui continuaient de grappiller toujours un peu plus de soins sur le terrain des IDEL. Il y avait maintenant les facteurs qui allaient pouvoir livrer les piluliers au domicile de mes patients entre leur commande Damart et leur facture EDF et il y a eu ce décret voté le 17 octobre dernier et qui autorise maintenant les pharmaciens à vacciner contre la grippe dans les officines.


La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...