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samedi 17 mars 2018

Le millefeuille.




- Et prenons le grain de blé : nous pourrions le laisser ainsi et ne rien en tirer. Ou nous pourrions décider de le mettre en terre, le voir mourir et permettre de faire naitre la vie.

Je n’ai jamais bien compris les métaphores catholiques pendant les messes de sépulture. Les mains jointes posées sur mes genoux et le corps replié en avant, j’ai baissé le regard vers le sol en me demandant combien de personnes avant moi s'étaient ennuyées au point de se poser la même question. Des milliers probablement. Quatre rangs derrière moi, il y a un petit cœur pailleté collé sur le dossier d’une chaise prie dieu, peut-être que quelqu’un s’ennuie au même moment que moi et se demande qui a bien pu oser en coller un cœur au sein d’une église. Je voudrais me lever, me retourner et lui dire « Moi ! C’est moi ! », il y a un an tout juste tu vois, lorsque j’ai enterré ma Chouchou de patiente. Là, je termine mon roulement de sept jours en en enterrant un autre et en écoutant un curé parler de blé, alors que je sais que mon patient aurait sourit et préféré une métaphore de la vie avec du houblon. 

Toute la semaine j’ai écouté les gens parler de toi. De ce que tu avais été mais je n’ai rien appris de plus que tu ne m’avais déjà confié depuis toutes ces années. Un peu agacée, j’ai entendu « les fouines » comme je les appelle, me poser des questions sur toi. Ces gens qui veulent savoir comment tu étais mort, où tu étais mort et pourquoi tu étais mort. « Non mais c’était un ami hein, c’est juste que je me demandais ce qu’il avait ! ». Moi dans ces cas-là je fais la niaise et je réponds mon habituel « J’sais pas, j’sais rien. Si vous le connaissiez si bien, vous n’auriez pas à me poser cette question… ». Tu souffrais depuis des années, un vrai pote l’aurait su. Un ami l’aurait vu et serait venu se faire payer un café ou une bière chez toi pour en parler ou juste pour être là.
Le curé continuait à lire ses textes bibliques avec un ton de prof de collège. Un peu comme s’il essayait de nous faire la dictée en articulant bien chaque syllabe « Jé-sus-et-sa-mi-sé-ri-cor-de » ou qu’il tentait de nous faire la leçon « Sortez vos cahiers, aujourd’hui interro sur la Genèse ! », oh bordel, je l’ai pas révisé celle-là. Et il a reparlé de la métaphore du blé. Du blé qui germe, du blé qui donne la vie et du blé qui doit mourir, être remis en terre et revivre. La dame devant moi était en train de chercher les refrains trois et quatre dans son livret de messe. Un peu angoissée, elle tournait les pages en jetant un œil sur son voisin qui lui, avait déjà trouvé. On s’est rassit et j’ai regardé le livret posé à côté de moi que je n’avais pas ouvert. Pour moi la vie, ce n’est pas une question de blé qui germe. La vie, c’est un millefeuille. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que certain en tienne une bonne couche.

La veille, un patient s’est présenté à mon cabinet. C’était un ami à toi, un vrai avec de la vraie peine dans les yeux. Il m’a demandé :


- Mais comment peut-on en arriver là ?

Je me suis sentie un peu con face à cette petite question qui aurait nécessité une réponse en douze chapitres avec une conclusion et une ouverture. J’ai regardé ses yeux tristes et je lui ai seulement répondu « Parce que la vie c’est un millefeuille ». Alors entre une aiguille, des tubes de sang et un coton boule nous avons parlé de la Vie. Je lui ai dit que pour moi, on commençait notre existence avec une base et qu’on y mettait bien ce qu’on voulait ou ce qu’on pouvait autour. Qu’au fur et à mesure des échecs, des réussites, des coups durs ou des coups de cœurs on se rajoutait des couches comme dans un millefeuille. Finalement, peu importe que l’on ait été obligé de se plier en quatre pour réussir notre vie, que l’on ait parfois fait les choses sans envie, que l’on ait regretté souvent, pleuré parfois. Ce qui compte c’est de croquer notre existence en nous disant qu’elle n’est pas trop dégueulasse. Alors oui, la vie est parfois sans saveur, elle fait mal au bide, on la vomi parfois et on voudrait la jeter souvent en se disant qu’elle ne mérite pas d’être dégustée. Mais la vie c’est un peu comme une pâtisserie, plus il y a de couches, plus il y a de saveurs et le goût qu’elle a, est simplement celui qu’on a bien voulu lui donner.

lundi 12 mars 2018

Et j'ai le coeur qui bat.




D’un trois fois rien parfois. 

Quand on me dit « J’ai pas de veine ! » et qu’au regard du pli d'un coude, je me dis que c’est moi qui n’en ai pas, de ne tomber que sur des veines impiquables. Quand on me montre le bébé, le tout petit enfant paniqué et son petit bras potelé qu’il faut prélever. Quand on me demande de me présenter pour une prise de sang et que derrière la porte il n’y a personne qui m’attend… D’un trois fois rien, j’ai le cœur qui bat. Un peu trop fort parfois.

J’ai passé la première en quittant ta maison vide dont la porte était étrangement ouverte et je me suis dit « C’est bizarre… ». J’ai regardé à gauche au stop et puis à droite et je me suis dit « C’est pas normal… ». Je me suis stationnée devant la maison du patient suivant et lorsque dans mon agenda j’ai rayé ton nom de la liste de ceux qu’il me restait à voir, je me suis dit « Quelque chose ne tourne pas rond… ». J’ai repensé à mon post-it rose collé sur ta télécommande qui disait « Je suis passée, mais il n’y avait personne… Rappelez-moi !» avec un gros point d’exclamation à la fin. Pour marquer l’urgence de rappeler, pour notifier l’agacement de m’être déplacée pour rien, pour signifier que ce n’était pas si grave. Au fond, c’est vrai qu’il y a tellement plus grave. Depuis toutes ces années à m’occuper de toi, j’étais bien obligée de le croire. Et puis ce n’était pas le premier lapin que tu me posais et à l’approche de la fin mars, je l’attendais un peu mon lapin de pâques.

D’un trois fois rien, mon cœur s’est mis à battre. Sans raison, sans comprendre vraiment pourquoi. Mais j’ai continué ma route. Je suis passée de veines en pansements et de pansements en injections. Et puis, alors que je sortais de chez un patient mon téléphone a sonné, c’était ton numéro mais je n’ai pas voulu décrocher. « Pour te faire patienter ». Comme si les patients n’étaient déjà pas assez patients. Je sais, c’est con. Tu n’as pas laissé de message sur mon répondeur comme tu le fais habituellement pour t’excuser, pour t’expliquer et pour gentiment me demander de repasser. J’aurais dit « J’arrive… » comme à chaque fois où tu m’as appelé au secours. 

Mais là, rien…

Mon téléphone a sonné à nouveau alors que je changeais de commune, sur les routes pourries d’ici entre les virages et les fossés humides. Je ne comprenais pas bien ce qu’il se disait, j’ai dû m’arrêter un peu à l’arrache sur le bas-côté. Il y avait des larmes, beaucoup de larmes dans une voix étranglée qui n’était pas la tienne. C’était ta sœur avec qui tu vivais « Il est mort... Mort. Il est mort... Ce matin. » Une heure avant que je passe te voir. J’ai repensé à ta maison en bordel, à la porte ouverte, au chat qui était bien trop calme pour une fois, à mon post-it rose et au gros point d’exclamation dessus. Et mon cœur s’est mis à battre. Un peu trop fort peut-être. J’en sais rien, je m’en fiche…

Tu n’es plus là. 

Je me sens con d’un coup avec mon point d’exclamation accusant un homme dont le cœur ne bat plus. Con que tu ne m’aies pas appelé au secours comme tu l’as si souvent fait. Con que ça se termine comme ça. Con d’avoir sous-entendu que rien n’était grave. J’ai le cœur qui bat fort, un peu trop fort peut-être. J’en sais rien, je m’en fiche… Je suis un peu triste. Tu n’es plus là. 

Et ce n’est pas pour trois fois rien.

mercredi 15 novembre 2017

Sans un bruit.



- …

Un peu sonnée, j’ai relevé le visage vers celui de ma patiente, mi-satisfaite, mi-vexée de voir que je ne souriais pas à l’énoncé de son dernier potin fraichement rapporté du bourg dans lequel elle était allé chercher son pain. Elle le savait pourtant depuis le temps que je la soignais que les ragots m’agaçaient plus qu’ils n’excitaient ma curiosité. C’était son truc à elle et elle me les faisait partager à chaque soin bien malgré moi. J’ai toujours détesté écouter les gens parler de la vie des autres, surtout quand la phrase commence par un « Oh, et puis vous ne savez pas la dernière ? » et qu’elle se termine par un « Rooooh » guttural et satisfait d’une bouche qui semble se nourrir du malheur de l’autre. Je lui ai seulement répondu « C’est bien triste… ». 
Trois petits mots qui se voulaient pudiques, comme pour garder un peu de toi en en partageant le moins possible avec la mangeuse de malheurs. Trois petits mots pour résumer trois années à tes côtés, c’est vrai, c’est bien triste.

Comme pour me protéger de ce qu’elle pourrait me dire de toi, je me suis enfermée dans ma bulle tout en restant à disposition de ma patiente dont je défaisais les bandages sales. Et puis, alors que j’enroulais la compresse stérile autour ma pince kocher avec un geste rapide et sûr, j’ai repensé à toi et à la toute première fois que tu m’avais vue le faire. Un « Oooh !» admiratif était sorti de ta bouche devant ce geste qui était devenu pour moi une habitude mais qui faisait toujours son petit effet la première fois. Tu avais souri en grand quand je t’avais répondu « Ah bah c’est un métier Monsieur, trois ans d’études pour apprendre ça ! ». Ton sourire, c’était un peu ta marque de fabrique. Le temps, tu t’en fichais pas mal. Qu’il fasse beau ou qu’il fasse moche tu souriais au ciel. Mes retards, t’importaient peu car tu savais que d’une manière ou d’une autre, je finirai par franchir la porte de ta maison en m’excusant platement avec ce sourire de travers comme pour m’excuser d’une connerie que j’aurais faite. Et toi, tu souriais et tu m’accueillais en serrant avec force et douceur ma main en m’appelant ta Petite Charline alors que je te dépassais d’au moins deux têtes.

vendredi 18 août 2017

J'ai la trouille.




Cette poignée je la regarde et je n’ose même pas y toucher. C’est con quand on sait combien de poignées de porte mon métier d’infirmière libérale me fait toucher. Il y a les portes qui grincent, celles qu’il faut forcer un peu, celles qui nécessitent un petit coup d’épaule, celles qui s’ouvrent sans trop d’effort, et il y a la tienne. 
Le service est calme et j’entends à peine les soignantes discuter au fond du couloir. J’ai pris une grande inspiration et je me suis avancée le bras tendu pour toucher la poignée, et d’un coup la porte s’est ouverte. Celle qui sortait de ta chambre a ouvert de grands yeux quand elle m’a vu, un peu surprise peut-être de me voir ici, ta mère.


- Oh ! Vous êtes venus le voir ! 

En fait je ne venais pas vraiment te voir, je venais te dire au revoir. Ta mère est tellement belle et triste si tu savais. Elle a toujours cet air de star de cinéma, mais avec aujourd'hui ce côté Deneuve en deuil. Appuyée contre le mur tout près de moi elle me chuchote des mots terribles à entendre de la bouche d’une mère, même quand le fils aurait l'âge d'être grand-père. Mort, enfant, peine, tristesse, et puis Amour aussi et tendresse beaucoup.
Avec ta mère, je reste à discuter de longues minutes de la mort, de la tienne en fait. Elle s’inquiète et se demande comment ça va se passer. Moi je lui explique ce que j’ai vu lorsque je travaillais en soins palliatifs. Je lui explique qu’une fois le corps en souffrance apaisé, il y a comme une prise de conscience de l’inconscient, que l’âme semble dénouer les derniers nœuds d’une existence et que l’esprit semble prendre du recul, un recul sur sa vie :


- La mort, je la vois un peu comme l’ultime lâché prise d’une vie. On peut lâcher prise et sauter à l’élastique, partir à l’autre bout du monde ou tout plaquer et recommencer en mieux, mais je crois que le lâcher prise le plus difficile dans une vie reste celui de devoir quitter la sienne.

- ... Je crois que je lâcherais plus facilement prise sur ma propre vie que sur celle de mon fils…

mardi 15 août 2017

La petite mort.


Rentrer de l'hôpital et la trouver là, au sol dans mon salon, ses plumes dispersées autour d'elle... Maudire mon chat et son instinct aussi.

Ouvrir la porte de ta chambre et te trouver d'un coup si petit et fragile dans ce grand lit d'hôpital. Perdu dans ces draps qui ne sentent pas cet adoucissant qu'adore ta femme, tu sais le "fraîcheur des montagnes" dont tu t'amusais à me dire qu'il te rappelait vos vacances au ski. Et puis maudire la mort, et la vie aussi.

Tenir la fragile mésange encore tiède et souple au creux de ma main, les plumes de ses ailes prêtes à s'ouvrir, mais les yeux clos et les serres fermées.

Reposer ta main sur la couverture, me dire que c'est la dernière fois que je la sentirais aussi chaude sous ma paume et enlever de mon esprit l'image glauque de ta mort qui n'a jamais été aussi proche pourtant.

Être triste de ces Adieu et laisser exprimer mon bonheur ressenti d'avoir eu a te soigner. Ma fierté d'être ton infirmière, sans oser en parler au passé. Tes larmes que je te demande de ne pas verser en te rappelant le sourire que tu as eu en me voyant te tenir la main à ton réveil.

Tenir la presque mort sous ma paume et la bien réelle au creux de mes deux mains jointes. Deux morts fragiles qui a l'échelle de la Vie importe tellement ou tellement peu finalement...

Mon métier je l'aime et je le déteste tellement dans ces moments là, quand il me donne au fond de la gorge des goût de petites morts, des goûts de plus jamais, d'au revoir qu'on ne sait jamais conclure autrement qu'en reposant sa main sur la couverture.

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...