D’un trois fois rien parfois.
Quand
on me dit « J’ai pas de veine ! » et qu’au regard du pli d'un
coude, je me dis que c’est moi qui n’en ai pas, de ne tomber que sur des veines
impiquables. Quand on me montre le bébé, le tout petit enfant paniqué et son petit bras potelé qu’il
faut prélever. Quand on me demande de me présenter
pour une prise de sang et que derrière la porte il n’y a personne qui m’attend…
D’un trois fois rien, j’ai le cœur qui bat. Un peu trop fort parfois.
J’ai passé la première en quittant
ta maison vide dont la porte était étrangement ouverte et je me suis dit « C’est bizarre… ». J’ai regardé à
gauche au stop et puis à droite et je me suis dit « C’est pas normal… ». Je me suis stationnée devant la maison du
patient suivant et lorsque dans mon agenda j’ai rayé ton nom de la liste de
ceux qu’il me restait à voir, je me suis dit « Quelque chose ne tourne pas rond… ». J’ai repensé à mon post-it
rose collé sur ta télécommande qui disait « Je suis passée, mais il n’y avait personne… Rappelez-moi !»
avec un gros point d’exclamation à la fin. Pour marquer l’urgence de rappeler,
pour notifier l’agacement de m’être déplacée pour rien, pour signifier que
ce n’était pas si grave. Au fond, c’est vrai qu’il y a tellement plus grave. Depuis
toutes ces années à m’occuper de toi, j’étais bien obligée de le croire. Et puis
ce n’était pas le premier lapin que tu me posais et à l’approche de la fin mars,
je l’attendais un peu mon lapin de pâques.
D’un trois fois rien, mon cœur s’est
mis à battre. Sans raison, sans comprendre vraiment pourquoi. Mais j’ai
continué ma route. Je suis passée de veines en pansements et de pansements en
injections. Et puis, alors que je sortais de chez un patient mon téléphone a
sonné, c’était ton numéro mais je n’ai pas voulu décrocher. « Pour te faire patienter ». Comme si
les patients n’étaient déjà pas assez patients. Je sais, c’est con. Tu n’as pas
laissé de message sur mon répondeur comme tu le fais habituellement pour t’excuser,
pour t’expliquer et pour gentiment me demander de repasser. J’aurais dit « J’arrive… »
comme à chaque fois où tu m’as appelé au secours.
Mais là, rien…
Mon téléphone a sonné à nouveau
alors que je changeais de commune, sur les routes pourries d’ici entre les virages
et les fossés humides. Je ne comprenais pas bien ce qu’il se disait, j’ai dû m’arrêter
un peu à l’arrache sur le bas-côté. Il y avait des larmes, beaucoup de larmes
dans une voix étranglée qui n’était pas la tienne. C’était ta sœur avec qui tu
vivais « Il est mort... Mort. Il est
mort... Ce matin. » Une heure avant que je passe te voir. J’ai repensé à
ta maison en bordel, à la porte ouverte, au chat qui était bien trop calme pour
une fois, à mon post-it rose et au gros point d’exclamation dessus. Et mon cœur s’est
mis à battre. Un peu trop fort peut-être. J’en sais rien, je m’en fiche…
Tu n’es plus là.
Je me sens con d’un
coup avec mon point d’exclamation accusant un homme dont le cœur ne bat plus. Con
que tu ne m’aies pas appelé au secours comme tu l’as si souvent fait. Con que
ça se termine comme ça. Con d’avoir sous-entendu que rien n’était grave. J’ai
le cœur qui bat fort, un peu trop fort peut-être. J’en sais rien, je m’en
fiche… Je suis un peu triste. Tu n’es plus là.
Et ce n’est pas pour trois fois rien.