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vendredi 9 décembre 2016

La loose, les roses et le nez la nuit.








- Je ne vais pas réussir à être à l’heure, c’est ma mère qui va venir chercher les filles… J’en vois pas le bout de cette tournée...


Ça, c’est le texto que j’étais en train d’envoyer à la nourrice de mes filles. J’étais assise dans ma voiture, stationnée dans le noir devant le cabinet du médecin que je venais de quitter. Dans l’obscurité de mon habitacle, l’écran de mon portable m’agresse les pupilles. Mes yeux me piquent. Je ne sais pas si c’est parce que je suis fatiguée, parce que je suis agacée, parce que j’ai envie de chialer. 
Deux minutes plus tôt je frappais à la porte du médecin traitant du village qui est aussi mon voisin pour lui faire une transmission expresse tout en chuchotis dans la porte entrouverte : « Urgent, très mal, veut mourir, inquiète, ce soir, non ce soir, vraiment.»


- Rien ne va plus, j’ai envie de me foutre en l’air… J’ai une vie de merde, j’en peux plus plus… J’en peux plus… 

Voilà ce qu’il m’avait balancé au beau milieu de son salon avec les mains nerveusement jointes, le regard perdu sur ses pompes. Assis dans son canapé mou, l'homme est une masse sombre, une boule de souffrance qui s’essuie le nez avec le revers de son pull. Quelques mots maladroits et simples pour me dire que ce soir il n'a pas envie de voir le matin de demain. Je l’ai écouté poser des mots simples sur un mal-être complexe. Je n’ai quasiment rien dit pour laisser le silence marquer le temps qu'il voulait voir s'arrêter. Je me suis sentie impuissante. Je sentais bien qu’il voulait que je l'aide, mais je ne savais pas quoi faire pour le protéger, pour ne pas qu’il se perde à en mourir…


Et puis, j’ai repassé la première, tout en soufflant pour me re-phaser. Souffler pour me remettre à zéro avant d'ouvrir la porte suivante.

jeudi 15 septembre 2016

Coup de gueule infi' #20 : Moi, infirmière.




- Bah alors, vous faites pas grève comme vos collègues à la télé ?


D’un mouvement de menton auréolé d’un large sourire, mon patient m’indiquait son écran de télévision et le journal de 13h diffusant un rapide reportage sur les grèves des hospitaliers. On pouvait voir quelques soignants regroupés avec des banderoles et des messages de revendications. Tout en préparant mon matériel, je lui ai répondu « Bien sûr que je fais grève, mais comme la majorité de mes collègues je continue de travailler ! ». Il a eu ce petit rire-soufflé par les narines, le genre de son auquel je ne prête habituellement aucune attention mais qui m’a énervé, un peu, beaucoup ce matin-là. 

Le suicide des cinq infirmiers de cet été il n’en avait pas entendu parler, ni dans les journaux, ni à la télé. Ce n’était pas de sa faute après tout puisque tout le monde semblait s’en foutre. Il ne savait pas que les aides-soignants se suicidaient aussi, tout comme les médecins, ou même les kiné’ qui assuraient les rééducations comme la sienne. Non. Lui, il avait simplement vu qu’on faisait grève à la télé avec quelques banderoles faites avec des draps blancs et il s’était peut-être dit que les soignants n’étaient que des gueulards, comme tout bon français qui se respecte.

Semblant satisfait de sa dernière réflexion, mon patient tout sourire m’a salué pour me dire au revoir. Et alors que je m’apprêtais à partir je lui ai dit : « Vous savez, peut-être que demain, je ne serais plus là… ». Son sourire est retombé. Je me suis expliquée et je lui ai raconté. Je lui ai raconté ce que c’était que d’être soignante, ce que c'était d'être infirmière, ce que c'était d'être moi.

Moi étudiante infirmière, j’ai fait trois ans d’études pour m’occuper des gens, pour soigner mes patients. Trois années pour apprendre les concepts d’empathie et de bienveillance, pour soigner au mieux, pour soulager comme on peut. Trois ans pour apprendre les bons gestes pour guérir parfois, pour soutenir souvent, pour accompagner toujours et vers la mort quelques fois. 
Moi étudiante infirmière, j’ai été formée pour comprendre que ce métier je l’aimais autant que j’aimais ceux que j’avais au bout de mes pinces kocher et de mes aiguilles aiguisées. 
Une formation pour intégrer au plus profond de moi-même les plus belles valeurs du métier d’infirmière que je tenterais ensuite d'amener naïvement sur le terrain tel un petit Bisounours rose "Force-in-Love" avec un cœur sur le ventre blindé d'envie d'aider l'autre et à la motivation boostée par ce sentiment d'utilité. Mais voilà, le diplôme en poche et la réalité en pleine face j'ai pris mes fonctions et mon Bisounours a perdu son p'tit coeur arc-en-ciel...

jeudi 25 août 2016

Coup de gueule infi' #19 : "Combien faudra-t-il de morts Marisol ?"




Bonjour Marisol, comment vas-tu ?

Oui, tu remarqueras que je te tutoie et que je m’inquiète de ton état. Un peu comme je le fais avec mes patients, ceux que j’apprécie bien. Mais ce n’est pas vraiment la sympathie qui me fait te dire « tu », c’est plutôt l’émotion qui me ferait oublier le protocole tu vois. Je me dis qu’en te tutoyant et en te demandant comment tu vas, tu t’intéresseras enfin à moi, enfin à nous, les infirmiers. Je t’imagine déjà lever les yeux vers les moulures du plafond blanc de ton bureau en te disant surement « Mais qu’est-ce qu’ils ont encore ? Pourquoi vont-ils râler cette fois ? ». Pour trois fois rien, je te rassure… Enfin juste pour deux trois morts, cinq pour être précis.


Je viens de passer sur ton compte Twitter et tu sembles toute peinée du décès de Sonia Rykiel. C’est vrai que c’était une chouette nana qui a sacrément œuvré pour la mode en France et j’aurais vraiment adoré qu’elle fasse quelque chose pour nos blouses blanches mal taillées et pour ce code barre ingrat qu’ils persistent à nous coller sur le haut de nos pantalons à l’élastique trop serré. Mais Madame Rykiel avait d’autres préoccupations dans son milieu de la mode, un peu comme toi dans ton ministère… 


13 juin, 24 juin, 5 juillet, 23 juillet, 13 août… 

Ce ne sont pas les dates de sortie de Pokemon Go, celle de la détérioration des baies vitrées de l’hôpital Necker ou encore celle de l’arrivée sur nos plages du Burkini qui avaient réveillé chez toi un réel intérêt, non. A ces dates, cinq infirmiers se sont « simplement » donné la mort, trois fois rien. 
Je dis « simplement » parce que ça ne t’a vraisemblablement pas touché, enfin pas au point d’en faire un Twitt’ de 140 caractères en tout cas. Ils se sont suicidés parce que leurs conditions de travail étaient telles qu’il leur était devenu inenvisageable de continuer de soigner, et de vivre. Et ils en sont mort, cinq fois cet été. Cinq morts Marisol. Ils ne s’appelaient pas Sonia, on ne connait d’ailleurs pas leur prénom, c’était simplement des soignants, des blouses blanches mal taillées. 

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...