Affichage des articles dont le libellé est Les brèves et chroniques. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Les brèves et chroniques. Afficher tous les articles

jeudi 20 février 2020

La douce Elo'





- Elle était d’une douceur, tu sais…

Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver pour réconforter cette infirmière qui venait de perdre sa collègue et qui devait pleurer derrière son écran en m’écrivant son message ? « Elle était douce Elo’ », vous avez été plusieurs à me l'écrire...

Elodie était infirmière à l’hôpital psychiatrique de Thouars et le 13 février dernier, un de ses patients l’a poignardé. Elle est décédée malgré l’intervention de ses collègues. 

La douce Elodie…

Je ne regarde plus trop les médias, mais j’ai cru comprendre qu’ils n’en avaient pas beaucoup parlé à la télévision. Un peu sur le net peut-être, mais sans plus. Il semblerait qu'on préfère parler de coronavirus et de branlette sur internet, que du meurtre d'une infirmière... Loin de moi l’idée de faire des raccourcis ou de comparer des professions qui n’ont rien en commun (si ce n’est que ce sont des métiers de la fonction publique) mais ça me peine de me dire qu’on parlerait d’avantage d’un militaire tué en mission, d’un pompier assassiné dans ses fonctions ou d’une prof poignardée en pleine classe… La violence dans les soins n’a rien de nouveau et c'est devenu tellement banale qu'il semblerait que les médias ne soient plus à un coup de couteau près. Et puis, en tombant sur une vidéo de l’Assemblée Nationale, j’ai compris.

On y voit la député Caroline Fiat réclamer une minute de silence en s’indignant qu’aucun hommage n’ait été rendu à Elodie par les représentants de l’Etat. Elle voulait prendre cette minute sur son temps de parole, mais Richard Ferrand, le Président de l’Assemblée, le lui a refusé pour le motif que le meurtre d’Elodie, n’était pas un cas « exceptionnel et solennel ». Tout est dit. Accorder une minute de silence n’aurait rien coûté à l’Assemblée Nationale, et ça aurait pu leur faire gagner un peu d'humanité. Mais il semblerait que le Gouvernement n’est même pas le budget pour un acte gratuit de bienveillance…

Alors je suis allée voir du côté d’Agnès Buzyn alors encore Ministre de la santé. Il y a bien un tweet : « j’adresse mes pensées à la famille de l’infirmière décédée, ainsi qu’à ses proches ». Décédée, ce terme m’a fait grimacer. Madame Buzyn, Elodie n’est pas morte en heurtant un coin du bureau de sa salle de soins par « accident ». Elle a été assassiné par un de ses patients dans le cadre de sa fonction. Appelons un chat un chat et ce décès, un meurtre. Et puis, c’est pas si comme depuis cet été, le service d’Elodie n’avait de cesse d’alerter leur direction pour dénoncer le manque de moyens et de la possible dangerosité de leurs conditions de travail. C'est ce que m'ont rapporté ses collègues après m'avoir dit combien "elle était douce Elo', si tu savais"... La Ministre n'en savait rien. Ses condoléances ont été rédigés quatre jours avant qu’elle ne quitte ses fonctions et l’hôpital public en pleine crise pour lui préférer la conquête de Paris. Courage, fuyions ! Elodie, elle, n’en a pas eu le temps...

Alors, devant l’absence totale de reconnaissance de nos hautes instances, nous avons décidé entre nous, entre soignantes, de t’offrir une minute de silence rien qu’à toi. C’était aujourd’hui, le jeudi 20 février à 14h30, jour de ta sépulture.

Tu t’appelais Elodie. Tu avais 30 ans et tu étais infirmière, au service de l’Etat, de tes patients et de tes collègues. Tu étais maman de deux jeunes enfants, tu étais aimée et tu as été assassinée dans l’exercice de tes fonctions de soignante. Aujourd’hui, tes proches te disaient au revoir. Et nous, même si on ne te connaissait pas Elodie, tu sais, on a beaucoup pensé à toi.

A la douce Elo'...



(suite à une attaque massive de brouteurs, arnaqueurs et autres méchants du web envahissants les commentaires sous les articles, j'ai du me contraindre à enlever la possibilité de laisser des commentaires... Et j'en suis bien désolée !)

samedi 19 octobre 2019

Combien ça me coûte ?




- Tiens, l’autre jour…

Aïe. Je ne sais pas toi, mais moi, quand mes patients commencent leur phrase par « Tiens, l’autre jour… », c’est souvent pour m’annoncer un potin. Une nouvelle pas toujours fraiche et souvent liée au cancer d’un voisin, du fils du voisin ou de la belle-fille de la nièce de la voisine. Un potin, dont je suis souvent déjà au courent parce que je soigne la personne concernée ou parce que la patiente juste avant ma fana de ragots avait elle aussi commencée une phrase par « Tiens, l’autre jour… ».

J’étais accroupie en train de refaire le pansement de ma patiente dans une position qui ne m’était pas vraiment confortable et mes oreilles et mon cerveau étaient en mode filtre-à-ragots. Tout en la soignant avec les yeux fixés sur mes pinces, sa plaie et son pied, je l’entendais ranger ses papiers et pousser de la main le monticule de bazar qu’elle avait accumulé sur sa table. Je me demandais comment aurait réagi Marie Kondo, la star coréenne du rangement. Je pense qu’elle aurait gardé son agaçant sourire et qu’elle serait allée se mettre en PLS dans coin en imaginant devoir ranger le bordel sur la table et dans le reste de la maison. Puis ma patiente a ajouté :

- … J’ai jeté un œil sur mes relevés de sécurité sociale, pour voir les montants de vos soins… Mes oreilles et mon cerveau ont quitté leur filtre-à-ragots pour écouter la suite de sa phrase : … Ça vous fait une belle somme ! 

Bordel. J’aurais préféré l’entendre me parler du cancer du voisin. Ma patiente n’avait pas dit « ça fait une belle somme ! », non. Elle avait dit « ça VOUS fait une belle somme ! » et ça rendait le sens de sa phrase bien différent…

Cette dame chez qui je me rend quotidiennement n’avance pas ses soins. C’est le fameux 100%, le all-inclusive de l’affection de longue durée qui permet à la sécurité sociale de rémunérer directement les professionnels pour les soins nécessaires au bon maintien de l’état de santé de cette patiente. Elle sortait d’une longue hospitalisation de plusieurs semaines qui avait bien dû coûter plusieurs dizaines de milliers d’euros à la sécurité sociale. Mais ce qui semblait l’interroger ce n’était pas ce que me soins allaient coûter à la sécu’, c’était ce que cela allait me rapporter. Sur mon compte bancaire, dans mon porte-monnaie, dans ma poche à moi, son infirmière libérale. On était samedi, j’étais fatiguée. A cette heure, mon homme et nos filles devaient surement être à la piscine. Et même l’idée de les imaginer patauger dans un bouillon de culture tiède au milieu d’enfants incontinents me donnaient envie de rentrer les rejoindre. Je préférais jouer dans l’eau plutôt que d’avoir à rétablir les vérités de ce que je gagnais vraiment. Non pas que je me devais de justifier de mes revenus auprès de ma patiente, j’en avais juste marre d’entendre « oui mais toi, t’es libérale, tu gagnes bien ta vie ! ».

Elle a terminé de ranger ses papiers en classant l’affaire d’un « Vous vous en sortez bien… » qui m’a agacé. J’ai eu envie de souffler à m’en vider les poumons pour me laisser couler au fond de la piscine, là où tout est calme et silencieux. Elle est récurrente cette question d’argent et elle me gonfle un peu avec le temps. Mais je comprends les gens qui me questionnent sur mes revenus. On associe l’argent au libéral comme on associerait le rhum à la Martinique. Dans tous les cas on est saoulé, on sait que l’un ne définit pas l’autre, mais c’est la première chose à laquelle on pense quand on en parle. C’est réducteur et ça ferme souvent le débat autour des vraies valeurs de mon métier (et de la beauté de cette île). Les libéraux encaissent les chèques de leurs patients malades, ils savent exactement ce que coûte la santé et le matériel de soin. Il y a un rapport à l’argent très étroit, presque mystérieux et gênant d’ailleurs. Et pour cause, nous sommes des chefs d’entreprise qui basons nos revenus sur la mauvaise santé des gens. Tout comme les cliniques, les hôpitaux et les HAD mais comme ce sont des structures et non des gens qui vous facturent en tête à tête, cela semble moins gêner les patients.

- Oui enfin j’ai 60% de charges à payer dessus…

« Ah bon ? Tant que ça ? » m’a-t-elle dit l’air visiblement surprise. Ça veut dire que pour une prise de sang à 6€08, je ne touche réellement que 40% de mon soin, soit 2€43. Que pour son soin d’hygiène complet et ses nombreux petits pansements gratuits (car inclus dans le forfait d’accompagnement de 18€40 de l’heure), je touche réellement 7€36. 7€ pour laver, essuyer, habiller, panser et écouter que je coute cher mais que je touche finalement une belle somme. Sept euros… Et encore, après ça, je dois encore payer mes impôts. Elle semblait tomber des nues alors que je terminais de l’habiller. Et comme j’avais le temps, parce que ses soins m’en demandait beaucoup, j’ai commencé à énumérer le montant de tout ce que je devais payer chaque mois pour pouvoir soigner mes patients :

mercredi 28 août 2019

Attendre la grosse vague.




- Je crois que j’ai plus la niaque.


Merde, sérieusement, je lui ai dit ça ? J’avais raccroché quelques minutes plus tôt mon téléphone en ne manquant pas de l’embrasser. Elle, c’était une réalisatrice. Depuis un an et demi, on discute d’un projet de documentaire très chouette sur la profession à travers mes tournées. Un film sur moi mais surtout sur mon métier, sur ce qui m’anime et me donne envie de passer les portes de mes patients pour les soigner. Une chaine semblait intéressée et on devait en rediscuter. Mais elle a le regard de la réalisatrice qui voit et surtout une oreille attentive qui décèle quand quelque chose ne va pas. Elle m’a demandé « tu veux toujours le faire ? »

Oui, non… Oui. Moi et ma putain d’indécision. Celle qui me fait douter à moitié à poil devant mon placard le matin : un gilet, oui, mais qui ferme ou pas au cas où il y a du vent ? Je vais peut-être prendre une écharpe en plus… Le genre de questionnements surfaits qui, même si l’option choisie n’est pas la bonne, ne changera rien au cours de ma vie, si ce n’est le risque d’avoir attrapé un bon rhume.

Et un documentaire, ça changera quoi à la mienne. Et à la leur ?

Oui, non… Oui. J’ai perdu la niaque, je crois qu’il faut que je me fasse une raison. Et si c’était juste la trentaine basculant gentiment vers la quarantaine qui m’enfonçait vers une certaine sagesse ? Celle qui me ferait fermer ma gueule, quand bien même ce serait justifié. Mais c’est tellement pas moi… Je crois que l’échec du FlashMobPostal m’a mis un coup dans l’aile et dans mon envie de me rebeller contre le système de soin pour soutenir la cause des soignants. Avant ça, je disais en souriant que la profession infirmière était difficile à mobiliser. Depuis le FlashMob, je le dis sur un ton grave et résigné : les infirmières n’y croient plus, elles attendent la grosse vague en espérant ne pas boire la tasse. Moi, j’ai déjà le petit goût salé et dégueulasse au fond de la gorge. Et les vagues, j’en ai toujours eu très peur. 
Je les vois comme ça les infirmières : à l’eau, au milieu de la tempête. Certaines s’accrochant à leurs collègues, d’autres à leur proche retraite, certaines à un changement professionnel qu’elles attendent avec impatience comme le matin de noël, quelques-unes s’accrochent à leurs patients, à une odeur de service, aux pauses clopes pleines d’espoir et d’autres sont seules avec leur cœur en bouée à attendre la grosse vague. Celle qui te claque la tête, te fait boire la tasse et te fait couler là où tout est si sombre que le blanc de ta blouse ne parait plus... Pendant longtemps je me suis cru sur la plage à les regarder galérer dans les rouleaux, cherchant un moyen de leur envoyer de l’aide pour les ramener sur le sable. Et puis, fatiguée en me retenant à mon cœur un peu dégonflé, j’ai fini par me retourner et comprendre que j’avais de l’eau jusqu’au cou. D’un côté je surveille la plage en cherchant de l’aide et de l’autre, j’attends la grosse vague comme les autres.

Oui, non… Oui. Ce n’est tellement pas moi tout ça. Attendre qu’on fasse quelques chose pour moi, pour mes collègues sans être sûr qu’on arrivera un jour à faire entendre raison au Gouvernement. A faire comprendre à nos patients que rien ne va plus. A faire entendre que la santé en France est malade et qu’il faut prendre soin des soignants sans trop tarder, avant de couler. Il n’y a pas une semaine où sur le blog, insta ou facebook, je ne reçois pas le mail d’une collègue en train de se noyer et qui envoie une bouteille à la mer via des mots sur un clavier. Je commence à avoir la trouille que personne ne trouve le moyen de nous ramener sur le bord à temps.

Oui, non… Oui. Mon indécision et la crainte de mon avenir dans le libéral grandit de jour en jour. Je me dis que plutôt que chercher à tout prix à regagner la plage, je devrais utiliser les vagues qui cherchent à me couler pour me donner l’impulsion nécessaire afin de retourner à terre. Les vagues finissent toujours par s’écraser sur le sable non ? J’espère seulement qu’elles ne me feront pas trop boire la tasse avant…



vendredi 2 août 2019

On a pas le temps.




- Vous êtes en communication avec le CHU. Veuillez patienter, nous recherchons votre correspondant. Vous êtes en communication avec…


Cinq minutes que je suis au téléphone avec le service dont ma patiente est sortie. La nana que j’ai eu bout du fil me fait régulièrement patienter en me balançant sans prévenir l’énervante musique d’attente quand ce n’est pas le son de ses discussions avec ses collègues qu’elle m’impose. « Tu pars en vacances ce soir toi ? ». Bordel, si elle savait comme je m’en fous. Je bois une gorgée de thé dans la tasse posée sur la table basse devant moi. Il est froid et c’est con, mais ça m’agace. Peut-être parce que je n’ai pas fait ma sieste. Peut-être parce que j’en suis à mon onzième jour travaillé non-stop. Peut-être parce que moi, mes vacances, elles sont déjà passées...

- Ca a été faxé à la pharmacie !

Quoi ? Je venais de reprendre une gorgée de thé et j'ai manqué de m’étouffer. Je la fais répéter. Mon ordonnance d’actes infirmiers serait faxée à la pharmacie de ma patiente à douze kilomètres aller-retour de mon cabinet. . Quand j’ai demandé à la personne que j’avais au téléphone pourquoi mon ordonnance de réfection de pansements (dont j’avais  pourtant demandé l’envoi par la poste une semaine plus tôt) avait été faxée à la pharmacie, elle m’a répondu : pour gagner du temps.

Du temps et de la patience, je commençais sérieusement à en manquer. Je lui ai demandé si on pouvait carrément lever le secret professionnel autour des soins de ma patiente en envoyant également la feuille de transmissions infirmières qui va bien au pharmacien, parce que je ne l’avais pas reçu non plus. La collègue à l’autre bout du téléphone s’est offusquée : « La patiente est bien sortie avec un courrier médical, non ? ». J’ai confirmé. Une vingtaine de lignes écrit par un médecin pour un autre médecin expliquant pourquoi ma patiente était passée par les soins intensifs avant d’être hospitalisée trois semaines chez eux. Cette patiente chez qui j’allais chaque jour depuis deux ans et qui a disparu du jour au lendemain de mes tournées de soins après un gros malaise à domicile. Et puis, plus de nouvelle ni d’elle ni du service qui ne m’avait pas appelé pour me prévenir de sa sortie. La semaine dernière, ma patiente m’a appelé :

- Je suis rentrée chez moi en début d’après-midi. Il faudrait repasser demain matin…

J’ai écarquillé de grands yeux qu’elle ne pouvait voir, lui ai posé deux, trois questions. Ce n’était pas la grosse forme, quelques pansements à refaire, mais elle était soulagée d’être de retour chez elle, et moi d’avoir enfin de ses nouvelles. Quoique, un peu dégoûtée de ne pas avoir été prévenue par le service qui aurait pu en profiter pour me faire un rapide topo de la situation par téléphone. J’ai ouvert mon agenda, effacé des patients dont les noms étaient écrit au crayon de bois pour les décaler autour de midi en croisant les doigts pour qu’ils ne me reprochent pas un retard contre lequel je ne pouvais rien. J’ai noté le nom de ma patiente sans trop savoir ce qui m’attendait chez elle en plus de sa toilette habituelle qui ne durait jamais plus de trente minutes.

mardi 4 juin 2019

Tout va bien madame la Ministre




- Tout va bien madame la Ministre !


C’est certainement ce que vous aimeriez entendre dans nos bouches de soignants madame Buzyn ? Parce que c’est vraiment l’impression que j’ai eu en vous écoutant intervenir ce matin sur France Inter dans l’émission de Nicolas Demorand. Vous faisiez suite à la grève inédite de Lariboisière (le personnel des urgences s’est mis en arrêt maladie) en expliquant que « ça n’était pas bien ». Pas bien d’avoir ajouté du travail aux autres (à ceux qui ont dû gérer les patients déplacés vers d’autres hôpitaux ou services) sans même vous poser la question du pourquoi les soignants de ce service d’urgence en étaient arrivés à cet extrême là : se mettre en arrêt pour faire entendre qu’ils étaient malade de soigner. 

« Il faut surtout lui redonner de l’espoir… »

Ça, ce sont vos mots pour essayer de rassurer ce papa inquiet qui appelait la radio pour vous parler du cas de sa fille, infirmière. Sans vous voir, je vous ai senti vous crisper. Les infirmières, encore… Ce père vous explique que sa fille de 23 ans, diplômée depuis seulement un an, est épuisée. Épuisée de parfois devoir faire trois heures supplémentaires, parce que dans son service elles ne sont que deux infirmières alors qu'elles devraient être trois ou quatre, que sa fille ne rentre qu’à minuit chez elle et qu'elle est si mal de ses conditions de travail qu’elle ne peut plus dormir sans somnifères. Après avoir passée trois ans à apprendre un métier et seulement un an à le pratiquer elle est au bord du burn-out. Pas parce qu'elle n'aime pas son travail d'infirmière non, parce qu'elle n'aime pas les conditions dans lesquelles elle l'exerce. Et là, j’ai tendu l’oreille. Par la fenêtre déjà, parce que la patiente qui m'attendait, aussi adorable soit-elle, déteste tellement mes retards qu’elle me dit que je suis « en avance » quand je suis à l’heure. J’ai tendu l'oreille pour écouter ce que vous alliez répondre à ce papa très inquiet qui aurait finalement pu être le mien :

- Et il faut surtout lui redonner de l’espoir… 

C’est beau, mais on veut pas de l'espoir, on veut juste pouvoir bien soigner nos patients.... Avant d’enchaîner sur un « il y a tout un champ de possibilités ! » tel un beau slogan pour nous faire bouffer des gâteaux à nous en étouffer. Oui, j'ai toussé parce que vous n’offrez à ce papa qu’une solution pour sa fille :  bouger. Bouger vers le libéral (mais en oubliant de dire qu’il faut travailler 2 ans et demi à temps plein en structure avant et qu’on ne s’installe pas en claquant des doigts), vers les PMI (sans penser à préciser qu’il faut avant un diplôme universitaire pour devenir infirmière puer’ ou un gros bagage d’expériences impossible à acquérir en sortie de diplôme si on veut y intégrer un poste d’IDE « classique ») ou vers les nouvelles IPA (Infirmières en Pratiques Avancées dont les premières débutent tout juste leur formation sans savoir à quelle sauce elles vont être mangées). La réponse que vous avez donné à ce papa était en gros (je vous résume hein, parce que vous semblez avoir des difficultés à exprimer vos idées) : « Si votre fille infirmière n’est pas contente de ses conditions de travail à l’hôpital et bien, qu’elle s’en aille ! Y’en aura bien d’autres pour la remplacer... ». 

Ce discours là madame la Ministre, vous ne l’avez pas inventé. Je suis désolée pour vous, mais vous n’êtes pas très originale. Vos prédécesseurs nous l’avaient soufflé bien avant vous. J’ai moi-même fait partie de celles qui n’en pouvaient plus et qui ont quitté l’hôpital en espérant que quelqu’un de bien prendrait ma place… Si tant est que mon départ soit remplacé, ce qui n’est pas toujours le cas, vous le savez bien. Je suis fatiguée de tant de condescendance de votre part. Pourtant, j’ai eu espoir à votre arrivée au Gouvernement. Sans vous connaitre au départ je me suis dit « Tiens, un médecin Ministre ! On va peut-être ENFIN être entendu… ». Bon j’ai aussi cru qu’il me suffisait de mettre mes cours de l’école d'infirmière sous mon oreiller pour les apprendre, que je gagnerais une fois libérale plus du SMIC pour aider mes patients à rester propre chez eux et que j’arriverai à terminer un mois de soins sans avoir un seul rejet de la CPAM… Il faut croire que je suis trop naïve.

Et puis, je vous entendais sourire dans ma radio ce matin, comme vous le faites souvent. Et ça m'a agacé. C’est con, parce que moi je souris beaucoup au travail et généralement je sens que ça fait du bien à mes patients (même à ceux qui gardent leurs sourires au fond d’eux-même vous voyez). Mais vous, quand vous souriez en disant qu’utiliser les arrêts maladie pour faire entendre un mal-être c’est mal, quand vous souriez à un papa en disant qu’il y a tout un champ de possibilités à sa fille sous somnifère pour se barrer de son service, quand vous souriez en affirmant que votre loi santé vise à améliorer les conditions de travail à l’hôpital alors que nous, soignant, savons que c’est faux… Moi, ça me fait perdre mon sourire. Vos sourires n’apportent aucune douceur à vos propos, ils ne font qu’augmenter l’agacement des soignants qui ont l’impression d’être pris pour des cons.

Vous savez hier soir, je lisais un mail que j'ai reçu sur mon blog. C'était une étudiante infirmière qui me disait "je suis totalement dégoûtée du métier...". Elle avait alerté ses formateurs en leur parlant de ses conditions d'encadrement et des conditions de travail qui l'inquiétaient. Elle n'a eu comme réponse qu'un "il faut t'y habituer et si tu n'arrives pas à faire face à ça maintenant c'est peut être que le métier n'est pas fait pour toi". J'étais peinée et embêtée hier soir parce que je n'ai pas su quoi lui répondre. J'avais envie de lui dire que les vrais soins ce n'était pas ça et que non, nous n'étions pas en train de créer une génération de soignants blasés dès l'école, prêt à tout encaisser pour pouvoir soigner.

Vous avez créé une génération d’infirmières cassées, parfois trop épuisées pour oser partir soigner ailleurs pour tenter de recommencer en mieux alors qu’elles ont connu le pire. Vous persistez à ne pas écouter ceux qui soignent par défaut et par dépit parce que vous ne nous donnez pas les moyens de bien soigner. Vous êtes la conséquence de tout ça. Vous aurez beau accusez les gouvernements précédents d’avoir mal fait. Vous êtes la Ministre de la Santé que j’ai écouté ce matin dans ma voiture et vous n’avez fait que m'exaspérer davantage. Je suis triste pour mes collègues de service de voir que leurs  mauvaises conditions de travail restent si peu considérées. Je suis dépitée pour les patients que je récupère en bout de chaîne à domicile et qui pâtissent des mauvaises conditions de soins que vous maintenez en place. Non, rien ne va bien Madame la Ministre.

Alors, au lieu de sourire et de nous expliquer qu’on peut aussi partir si nos conditions de travail ne nous conviennent pas : donnez-nous les moyens de rester et arrêtez de nous donner des raisons de nous barrer !


vendredi 26 avril 2019

Leur dire des choses...

(Handmade Human Heart - Charlotte Le Bon)



- Vous auriez dû me dire. Me dire qu’il allait mourir…

J’ai relevé les yeux de la veine de ma vieille patiente que j’étais en train de prélever. Elle avait parlé avec une voix douce, presque susurrée. Ses yeux étaient tristes sans être déprimés, lumineux mais pas franchement joyeux. Elle avait le regard de ceux qui font leur deuil, de ceux qui donnent le change en répondant « ça va ! » alors que non, ça ne va pas. Mais ça fait tellement longtemps que ça ne va plus, qu’ils ont peur d’emmerder les gens. Elle fait son deuil ma patiente. Qu’elle est conne cette expression... « Faire son deuil, ça prend du temps !», on dirait les conseils pour réussir une bonne tarte. Le deuil, on ne le fait pas, on fait avec, point. Et tu auras beau surveiller dedans de temps en temps pour être sûr que rien ne brûle, que rien ne foire, le deuil aura toujours ce goût dégueulasse qui ne donne pas envie de se resservir une part.

Deux ans plus tôt, c’était la veine de son mari que je prélevais pour la première fois. Il était fatigué alors le médecin avait prescrit un bilan sang complet, au cas où, et il avait eu le nez fin. Je suis repassée peu de temps après pour prélever le bilan pré-scanner et puis ensuite régulièrement pour prélever chacun des bilans sang avant ses chimio'. Sa veine, je la revois encore. Celle de gauche, pas celle de droite. L’angle parfait, pénétrer de temps et pas plus pour faire jaillir le sang. Je la connaissais par cœur. Un peu comme lui, depuis, avec le temps…
Et puis un jour, j’ai vu que rien n’allait plus. Je savais depuis le départ que ce jour allait arriver. Comme si au premier bilan j’avais compris, anticipé, capté qu’il était condamné. Je déteste avoir raison parfois. Le diagnostic du médecin était bon, mais le pronostic était mauvais. Mon patient avait écouté l’oncologue mais il n’avait pas entendu. Il n’avait pas compris ou ne voulait pas comprendre. Cancer, métastase, tumeur… Et puis c’est quoi ces mots ? « Tumeur » ? Il suffit de trancher le mot en deux pour avoir peur… Avec mon collègue, nous avancions à son rythme. Il préférait parler de « problème » plutôt que de « cancer », soit. Il aurait pu dire truc, machin, chose ou même l’appeler « mon connard » comme l’avait fait un ancien patient, j’aurais utilisé le même langage que lui. On ne va jamais plus vite que ce que le patient est capable d’entendre, c’est un principe.

On aimerait leur dire des choses à ceux qu’on soigne. 

Leur dire « vous avez un cancer, vous allez mourir ». Leur avouer « on ne peut rien pour vous, la partie est perdue », comme si c’était un jeu, comme s’il y avait quelque chose à gagner. J’aimerai leur dire combien je me sens parfois impuissante de leur tenir la main et de les écouter me dire que ça ira mieux demain, parce qu’ils sont simplement fatigués… J’aimerai leur dire combien je me sens mal parce que leur truc, leur machin, leur connard est en train de les priver de la vie et que je ne peux rien leur dire parce qu’ils ne sont pas prêts, parce qu’ils refusent d’entendre, parce qu’ils veulent garder leurs œillères pour profiter de leur vie, à leur façon, sans savoir…
J'aimerais dire à certains patients que je suis fatiguée de les entendre se plaindre d'un rien alors qu'il se passe tellement de choses tristes deux maisons plus loin. Leur dire que ce matin je n'avais pas envie d'aller les soigner parce que chez eux ça pue l'angoisse, parce que leur maison me déprime, parce que même lorsqu'il fait beau ils trouvent le moyen de dire que ça ne durera pas. J'aimerai dire à d'autre que je les aime de ces sentiments si étranges qui naissent parfois entre une compresse et une aiguille. Leur dire qu’égoïstement je voudrais qu'ils ne guérissent pas trop vite, qu'ils ne meurent pas non plus... Parce que ma tournée de soins sans eux sera tellement triste. 

Mon vieux patient est mort sans comprendre qu’il était mourant. Sa femme ne l’avait pas compris non plus. Ça a été brutal d'ouvrir les yeux d'un coup. Comment se résigner à voir l’autre partir pour de bon quand on l’a vu revenir chaque jour pendant presque soixante ans de sa vie…

J’ai retiré l’aiguille de la veine de la vieille dame. Et alors que je scotchais le coton boule au plis de son coude, je lui ai dit :

- J’aurais voulu vous dire tellement de choses…

Elle a posé sa main sur mon avant bras et a souri. Un sourire triste et heureux. Un sourire étrange tout droit sorti de son deuil. Elle avait compris, sans que je lui en dise davantage, que parfois le pire pour un soignant, c’est justement parfois devoir garder le silence…


[ Photo : Charlotte Le Bon ]

mardi 26 février 2019

En attendant.



Cet après midi, entre mes deux tournées de soins, j'ai passé 40 min dans cette salle d'attente. 40 min à attendre qu'on vienne me chercher pour me faire passer une écho. Mais l'attente, le coup de barre, la vessie pleine et le ventre creux depuis le matin n'étaient pas un problème, j'avais emporté un bon livre...
.
J'avais un peu peur de ce qu'on pourrait m'annoncer. Un truc moche qui expliquerait mes douleurs au ventre. Celles qui durent depuis quatre jours et qui m'ont pliées en deux à en chialer, calée contre un coussin, en PLS sur mon canapé. Obligée de me faire remplacer par mon collègue, une première en cinq ans d'installation. .
J'ai passé l'examen. On m'a d'emblée demandé si j'étais stressée en ce moment. J'ai répondu "non, mais j'ai uriné du sang...". Ah. C'était une colique néphrétique et comme un grand, mon rein s'en est débarrassé tout seul la veille. Mon rognon droit est apparemment mal formé mais il n'en est pas moins balèze ! 💪🏻
.
Finalement, je vais bien. Enfin, si rien ne s'arrange il me faudra passer d'autres examens mais je n'y pense pas.
Je vais bien.

Il n'empêche, pendant les 40 minutes où j'attendais qu'on vienne me chercher, je me suis posée une question un peu con : et si c'est grave, je fais comment pour le taf ?

J'ai une tournée de bourrin à assurer ce soir et 90 jours de carence incroyable que je peux abaisser à 11 jours. 11 jours de carence "seulement" si je négocie avec mon assurance pro (qui va vraiment finir par me coûter un rein) et le chef de service parce qu'il me faut pour ça être hospitalisée deux nuits. Deux nuits sinon je n'ai le droit à aucune compensation d'arrêt d'activité. C'est pas normal de ne pas être tranquille dans une salle d'attente parce que j'ai peur de perdre de l'argent et ma santé en même temps.

Je hais ce système mal branlé. Je hais ce statut de libéral qui me stress d'avance à l'idée de tomber malade.

Mais je vais bien. Heureusement.

vendredi 22 février 2019

Les demi-teintes.



- Et ton livre, tu le sens comment ?- Bleu Roi...

Depuis toujours, je vois ma vie et celle des autres en couleurs. Les sentiments, les sons, la musique, les reliefs sous mes doigts, les gens. Au delà de ce que je vois, ressens ou entends, j'ai dans le cerveau une symphonie de couleurs qui se mélangent. C'est assez difficile à expliquer car c'est pour moi aussi instinctif que de respirer.

Mais soyons honnête. Même si c"est chouette dit comme ça, ça n'a jamais été très utile de voir la vie autrement qu'en rose. Quoique... Il y a les changements de teintes. 

Les demi-teintes.

Il y avait cette dame chez qui j'allais chaque matin pour réaliser des soins. Rien de bien extraordinaire, des injections pour prévenir un risque de phlébite après une opération sans complication. Elle auréolait un orangé depuis le début des soins. Un orangé un peu fatigué, un peu pâle sans être triste pour autant. 
Un matin, elle m'a ouvert la porte. Pas plus fatiguée que la veille, pas moins agréable, elle n'a pas eu besoin de me parler pour que je comprenne que quelque chose n'allait pas : elle avait perdu une demi teinte.

Elle avait eu sa fille habitant à l'autre bout du monde au téléphone et ça avait suffit pour la déprimer un peu. Au point de lui faire perdre une demi teinte qui la tirait maintenant sur le marron...

Moi, je n'ai pas de couleur. Quand je me regarde dans un miroir, je ne me vois pas tel que je vois les autres... C'est ni fade ni triste. Je suis juste décolorée.

Mon deuxième livre lui est bleu roi et j'en suis ravie car c'est une couleur que j'adore. J'aime l'écrire, je me sens bien entre ses lignes. Il y a peu, il a été validé par mon éditrice qui, avec ses mots émus, a apporté à mon livre cette jolie teinte de bleu. Il me reste à écrire la fin...

J'espère maintenant qu'il vous colorera le coeur... Rendez vous dans quelques mois 💙

vendredi 15 février 2019

Ça ne sert à rien.



- Je voulais vous remercier pour les soins que vous avez fait à mon mari. Deux ans de soins, mais au final... Ça n'a servi à rien...

Parce qu'il est mort. 
Voilà ce que la vieille dame n'arrivait pas à me dire. 

"Ça ne sert à rien, les soins."

Si seulement elle savait combien de fois je me suis faite cette réflexion...

Me demander ce que je foutais là à écouter une dépressive me parler de sa vie qui va mal tout en sachant qu'elle n'ira pas mieux demain. Regarder ce mec toxicomane me dire qu'il n'a pas replongé alors qu'il suffisait que je plonge mes yeux dans les siens pour comprendre qu'il mentait comme un gosse face à sa mère. Toucher de mes mains un corps dont la vie s'échappe et me demander si j'ai encore le droit de dire que mes soins "soignent" alors qu'elle est en train de mourir...

La vieille dame a glissé devant moi le dossier dans lequel je cochais chacun de mes soins depuis deux ans. Un post-it avait été collé dessus par un de ses enfants pour ne pas que l'hôpital nous l'égard... Machinalement, je l'ai feuilleté. Beaucoup de surveillances et de soins cochés. Devant le sourire pudique et l'air triste de la vieille dame je lui ai dit :

- Il est resté chez vous, il a pu vous accompagner dans votre maison de vacances une dernière fois, il a pu aller au café chaque matin et rire avec les copains, il s'est réveillé dans vos bras, vous a pris la tête, vous a cassé les pieds... Et vous a brisé le coeur parce qu'il est mort. Alors non, tout ça, ça n'est pas rien...

Je suis une soignante qui ne soigne pas toujours et je me demande souvent à quoi ça sert tout ça. Mais j'essaye de faire comme ci pour ne pas que ça serve à rien.

mercredi 16 janvier 2019

On a bien le temps de regarder le temps.




J'étais pressée ce matin, un peu speed. Du retard à cause d'une veine impiquable ou de moi qui ne sais plus piquer, je ne sais pas...

Et puis, je suis allée dans cette ferme. Je l'aime bien cet endroit. Les vaches sont restées au chaud dans l'étable,des vapeurs éphémères sortent de leurs naseaux et j'entends le cliquetis des barrières contre lesquelles elles se frottent à mon approche. Ça sent le foin, la vache et le froid sec.

Zéro degré. Qu'il est beau le soleil ce matin...

Chez elle, ça sent le lait chaud. Ma vielle patiente en a fait chauffer une casserole pleine pour son petit déjeuner. Direct des voisines productrices à la consommatrice de l'autre côté du mur. Je suis en retard mais elle s'en fiche pas mal la dame : "J'ai bien le temps de le voir passer va !". Elle est un peu poète... Elle a la peau fine ma vieille patiente, elle est tannée par les années à la ferme et tout en elle sent le lait chaud. Des murs de sa maison, à l'odeur de sa peau...

On parle de sa santé, de son chien de ferme qui est mort, de son chat qui se sent seul, du lever de soleil et de broutilles qu'on arrive à caler entre quatre tubes à remplir de sang et un coton boule scotché au pli du coude.

Je la quitte et je salue le chat cradeau installé au soleil sur mon capot. Avant de monter dans ma voiture, je m'arrête et je prends une photo. C'est tellement beau ici.

Je vais deux fois par an chez elle, une fois l'été, une fois l'hiver et je suis à chaque fois pressée d'y retourner. Pour sentir à nouveau les odeurs de la ferme et du lait, pour prendre en photo le soleil et les champs. Et pour l'entendre me dire qu'il faut prendre le temps de le regarder passer. Elle a tellement raison ma poète qui sent le lait...

jeudi 3 janvier 2019

Les voeux de mon comptable.




Quand l'humour soignant déteint sur celui qui gère mes comptes de libérale 😄

Je crois que je préfère les cartes de voeux de mon comptable à ses relances pour me rappeler que je ne lui ai toujours pas envoyé ma compatibilité de fin d'année 😉

Faire sa comptabilité de fin d'année, c'est vraiment la plaie ! 

lundi 31 décembre 2018

H.A.D. Le petit cadeau de fin d'année.



- ... Et pendant que je vous ai au téléphone je voulais vous dire que...

C'est le genre de phrase que l'infirmière coordonatrice de l'HAD aurait pu terminer par :
♡ : Je voulais vous remercier pour vos soins auprès de ce patient lourdement handicapé
♡ : Vous êtes apprécié de ce patient donc on a décidé de vous contractualiser plus souvent!
♡ : Nous avons augmenté vos rémunérations pour fêter la nouvelle année...

Mais l'infirmière m'a dit "dès demain, au 1er janvier, nous appliquons une nouvelle convention qui nous obligera à décoter vos soins comme vous le faites déjà avec la sécu..." (tu sais le fameux "1er soin payé entièrement, le 2ème à moitié prix et les suivants étant gratuits" que m'impose la nomenclature de la sécu. Joie)

Hein ?!

Pour rappel, l'HAD (Hospitalisation  À Domicile) contractualise les infirmières libérales et les paye selon notre nomenclature (en général) mais à taux plein. "3 soins réalisés, 3 soins rémunérés, You-pi".

Et puis là, d'un coup, on me parle d'une nouvelle convention, on me dit que c'est pour "harmoniser les pratiques", que c'est décidé par la direction de l'HAD et que l'infirmière coordonnatrice n'a plus qu'à l'appliquer...

... Et moi à fermer ma gueule et à perdre les trois quart de mes revenus chez eux. Le patient en question est handicapé lourdement. Sondes (oui,  avec un "s"), préparations et administrations de traitements, évacuations des selles (oui, avec un "s"), pansement, soutien moral au patient et à sa famille +++. 4 à 5 soins chaque matin, 2 soins chaque midi, 2 à 3 soins chaque soir. 1h30 de soins par jour qui, à partir de demain, me seront payés au rabais comme si je n'en faisais qu'un et demi... Et bonne année 😠.

Ils veulent harmoniser les soins mais pas les revenus. A partir de demain, l'HAD baisse les paiement de mes soins mais eux continueront de toucher le même forfait de 200€ par jour pour mon patient. On harmonise les soins mais pas les coups. Je suis dégoutée et en colère...

samedi 29 décembre 2018

C'est dans la boite (et dans le coeur aussi)



- Ah oui j'allais oublier, il faut passer chez mon voisin. Il a une bronchite et est tout perdu dans les médicaments que lui a prescrit le médecin !

Le monsieur en question est un de mes très vieux patients. J'ai reposé la tasse de thé que m'avait offert ma patiente et j'ai filé le voir pour jeter un oeil à ses traitements... Gratuitement.

Gratuit pas cher parce que je n'ai pas le droit de facturer un passage en plus de celui que je fais déjà chaque semaine pour refaire son pilulier. Saleté de bronchite et de nomenclature ! Un peu halluciné de m'entendre lui dire que j'étais là gratuitement, il m'a offert la belle grosse boite sur laquelle je lorgnais et dans laquelle je me voyais déjà mettre mes bébés phasmes fraîchement éclos... Pilulier modifié, salutations, gratouilles au chien et je suis repartie. 

Arrivée à ma voiture, j'ai voulu prendre ma grosse boite en photo. Et là j'ai entendu "Oh, Charline ! Je suis contente de te voir !".

Elle, c'est la femme de mon Patient-Chouchou décédé l'année dernière et qui a laissé un trou à l'emporte pièce dans mon coeur de soignante. C'est marrant parce que j'ai pensé à lui hier soir en retombant sur une publication qui lui était dédié "Et ce soir, je trinque". Un article dans lequel je buvais un verre de vin rouge en pensant à lui la veille de son enterrement...

Et sans que je m'y attende, elle s'est effondrée dans mes bras. Là, sans prévenir elle m'a dit combien c'était difficile en cette fin d'année de devoir en commencer une nouvelle sans lui, sans toi. Et moi de lui dire que j'avais souvent l'impression de te voir... Comme deux couillonnes à se dire combien tu nous manques.

"Il n'y a pas de hasard si tu es là..." m'a-t-elle dit en me souriant. Moi j'ai pensé au thé que j'avais bu et qui m'avais retardé, à la bronchite de mon patient, à ses traitements à trier, à sa boîte offerte et à la photo que j'avais prise et qui m'avait attardée devant ma portière ouverte...

Je ne sais pas si c'est le fruit du hasard, un croisement d'étoiles ou Toi mais moi je crois aux signes de la Vie qui donnent parfois des pincements au coeur ❤

lundi 24 décembre 2018

Mes listes de Noël pour mes patients




Chaque Noël, mes tournées de soins prennent un goût particulier. Les maisons de mes patients se chargent de décorations et éclairent mon arrivée avec des guirlandes lumineuses sur les façades. On me donne des idées de recettes pour le dîner du réveillon, on me montre la crèche mise en place par les enfants et je quitte les maisons de mes patients avec un goût de chocolat que je n’ai pas osé refuser. J’aime bien Noël, même si c’est une fête qui me rend toujours un peu nostalgique. Surtout lorsque je pars de chez eux…
Eux, ce sont ceux dont je passe la porte chaque jour et chez qui rien ne bouge. Qu’il gèle sur les toits, qu’il pleuve dans le jardin ou que le soleil tape fort sur les fenêtres. Les saisons défilent et rien ne bouge. Pas une guirlande de noël, pas une misérable boule pour donner un semblant de fête. Il y a des maisons où les habitants semblent se foutre de tout, comme une nostalgie contrainte qui se répéterait chaque année. Il y a des maisons dans laquelle la tristesse n’a pas de saison et où Noël n’a plus aucune raison.

Chez mes vieux patients chroniques, je fais des listes. Des listes de cadeau que je souhaiterai que leurs proches leur achètent pour les fêtes. Pour leur confort et pour le mien un peu aussi. Il y a ce savon que j’aimerai que ma vielle patiente reçoive enfin. Un truc tout con, un savon de Marseille afin d’amener un peu de soleil du sud dans mon soin et un peu moins de rougeurs sur sa peau que lui procure ce savon bas de gamme que son fils s’entête à lui acheter. Il y a ce vieux monsieur et sa paire de chaussons détendus et troués sur un côté. J’ai peur qu’il tombe en perdant une savate alors j’ai noté « Une paire de chaussons sécurisés » sur la liste des courses entre le lait entier et le beurre demi-sel. Il y a celle chez qui je réclame une simple paire de chaussettes supplémentaire. Tout est minimaliste chez ma vieille dame. Une paire de chaussettes, trois serviettes, deux robes, deux maillots. C’est la famille qui gère le linge. Et moins il y a de linge... Moins il y a de machine. 

Et puis il y a elle… Il y a une chose que je voudrais noter sur sa liste : « partir de chez vous ». Oui, je ne souhaite qu’une chose à ma vieille patiente. Qu’elle quitte sa maison.

Je suis accroupie devant elle. Je lui souris doucement en lui caressant l’épaule. J’essaie de ne pas lui montrer que je bouillonne, que je suis en colère. Que j’ai de la peine, et que je me sens tellement désemparée, que je suis un petit mélange de plein de sentiments dégeulasses qui ne devraient pas avoir leur place pendant ce soin plein de douceur qu’est l’aide à la toilette. Ma patiente ne lève pas les yeux vers moi, elle n’en a plus envie. La vieille dame ne cherche plus le regard, elle le refuse presque. Alors elle fixe les barreaux de son lit. Toute recroquevillée dans son fauteuil roulant, on sent depuis quelques mois la maladie l’enfermer de plus en plus dans son corps. Comme si elle se repliait, comme si elle cherchait à former une boule pour s’enfermer un peu dedans elle-même. Les soins d’hygiène deviennent compliqués. Le maintien à domicile aussi et le mari ne nous aide pas. Elle parle de moins en moins et les mots qu’elle prononce sont difficilement compréhensibles.

Elle se grabatairise. Ce terme moche et presque indécent pour qualifier le tournant d’une vie. La vie d’une personne que son corps ne porte plus, le corps d’une personne qui ne supporte plus la vie.

Elle me parle, elle essaie. Elle bafouille, elle se fatigue. Je la fais répéter parce que je sens que c’est important. Elle veut me parler de ce qui vient de se passer dans le salon. Mais je ne comprends rien à ses mots… Je lui demande de se calmer alors que c’est moi qui en ai besoin. Je m’excuse et je file dans la salle de bain pour chercher de l’eau chaude et souffler un peu devant le lavabo. Dans le miroir, je croise mes yeux et mes sourcils froncés. Je suis en colère. D’une oreille, je surveille les bruits dans la pièce d’à côté. Le mari semble s’être calmé. Ma respiration aussi… Mon reflet s'embue dans le miroir avec les vapeurs qui le recouvre d'un coup. Comment rester calme alors qu’il vient de la frapper...

- Mais c’est quoi votre problème !!

Je lui ai arraché la canne qu’il tenait dans la main. Il venait de frapper trois coups sur la tête de sa femme alors que j’attendais patiemment qu’elle repose sur la table la serviette qu’elle avait sur les genoux. Pas assez rapide, son mari l’a frappé. Devant moi. Je n’ose imaginer ce qu’il lui fait une fois la porte refermée et qu'il est seul avec elle. Ça n'avait pas été des coups au point de l’assommer. Mais le geste avait été violent. Il avait porté la main sur elle. J’ai perdu le contrôle, ça ne m’était jamais arrivé. Je me suis regardée faire sans maîtriser. Sans maîtriser ma fatigue, mes paroles, ma colère contre ce mari violent que l’on savait maltraitant sans jamais l’avoir vu. Qu’on savait insultant pour l’avoir trop souvent entendu. Je voyais ses yeux noirs me défier. Et sans me démonter je l’ai menacé. Intérieurement, je me suis dit « Vas-y, lève-toi. Ose t’approcher d’elle et de moi. Donne-moi une raison de te frapper ». Je me suis fait peur. J’ai emmené sa femme dans leur chambre et j’ai refermé la porte derrière nous…

jeudi 20 décembre 2018

Le FlashMob Postal, c'est fini.


J’y réfléchis depuis plusieurs jours et j’ai dû me rendre à l’évidence : le FlashMob Postal n’a pas fédéré autant qu'il aurait dû. Pourtant j’y ai cru, bordel, mais tellement… 

Je pensais avoir trouvé une solution simple pour nous faire entendre. Un nouveau moyen pour nous rassembler, bon ok, chacun chez soi, mais un peu ensemble quand même. Un outils unique pour faire remonter au plus haut un ras le bol de soignant qui dure depuis trop longtemps… Ecrire au Président. C’était tellement fou.

Après un démarrage complètement dingue (Plus de 3500 participants dès le 2ème envoi). De nombreuses infirmières de structure ou du libéral ont envoyé leurs courriers au Président. Les étudiants et les aidants nous ont rapidement suivi moyennant un courrier, encore une fois modifié pour eux… 

Il y a eu vos photos géniales. Vos sourires de guerrières derrières vos selfies-cernes. Toutes vos lettres empilées en tas parfois bien épais. J’y ai cru, vraiment. J’ai pensé que ça décollerait mais l’engouement est retombé… Pour enregistrer à peine plus de 600 participants au 6ème FlashMob Postal.

Alors que nous sommes plus de 600 000 infirmières en France.

600 participants....

Qu’est ce que j’ai foiré ? 

Je te promets, je me pose cette question depuis des jours, des semaines pour être honnête. J’essaie de comprendre où j’ai merdé. Le courrier mal foutu ? Le manque de relance de ma part ? La fatigue qui m’empêche de vous motiver ?

Depuis le 1er FlashMob Postal du lundi 8 octobre, j’ai reçu beaucoup de messages. Plus de mille je pense. De soutien pour la plupart. Mais dans le lot il y a eu des menaces. Des insultes. Des menaces de mort où l’on me disait qu’on allait « me cramer et m’égorger ». Des messages où l’on me disait que je faisais dans le « bobo des villes macronien » avec mon écriture inclusive. Des messages où l’on me disait que j’avais perdu ma flamme et qu’au lieu de faire dans le mignon, je faisais dans le politique et que j’avais déçu « T’écris plus rien sur tes patients, t’es devenue une infirmière à fric ! ». D’autres qui me disaient que je rendrais service aux autres à me reconvertir. Tu sais, j’ai pleuré des fois de les lire ces mots durs. Même si ils étaient rares. Moi, je voulais être utile à ma profession. Je voulais juste aider à faire entendre la voix des collègues. Je me suis trompée, je n’en ai pas les capacités.

Pour avancer, mieux vaut ne pas tenir compte de ceux qui vous freinent. 

C’est le genre de mantra qui ce soir ne me motive plus.

J’ai pris la décision d’arrêter le FlashMob Postal. Je suis épuisée. Je n’y arrive plus. J’ai l’impression de perdre un peu ce qui me donnait envie de gueuler à la face du monde que ce putain de métier est tellement beau qu’il mérite qu’on se batte pour le faire exister aux yeux des autres. Mais ce soir, je n’y arrive plus… J’ai cru aux députés, j’ai cru aux médias, j'ai cru en mes collègues. J’ai passé 6h avec une équipe de France 2 qui au finale ne diffusera probablement pas le reportage de 2min au JT pour cause d’actualité. Parce que le mal-être des soignants n’est plus d’actualité. Je me demande même s’il a au moins été un jour… Nos conditions de travail n'intéressent personnes. Pas même les premiers concernés : les soignants.

Je vais faire une pause. Me recentrer. Lâcher un peu tout ça. Prendre du recul sinon, je sens que je vais perdre cette flamme qui m'aide depuis toujours à m’insurger contre ce que je ne trouve pas juste. Et c’est ce qui forge une partie de mon caractère. Je ne veux pas le perdre…

Mais avant de partir un peu, je voulais te dire merci.

Merci à toi qui a fait partie des 18 000 autres participants des FlahsMob Postaux. Merci à toi d’avoir fermé cette lettre qui a rejoint les 60 000 autres. Merci à toi de m'avoir écrit des mots doux à m’en brouiller les yeux. De m'avoir confié tes conditions de travail qui te font perdre pied. Merci à toi de m’avoir dit « J’ai l’impression de faire quelques chose d’utile pour la 1ère fois en écrivant au Président ». Merci à toi d’avoir été là et d’y avoir cru comme moi. MERCI.

Le FlashMob Postal n’est pas mort. Les courriers existent toujours et ils vous appartiennent. Vous pouvez continuer de les envoyer, vous pouvez en rire, souffler dessus en vous disant que ça ne servira à rien. Ils sont à vous. Ils sont pour vous.

On trouvera une solution. Celle-ci n’était peut-être pas la bonne c'est tout, mais on trouvera. Parce que j’ai envie d’y croire encore un peu.

Je vous embrasse. Prenez soin de vous. Ne vous oubliez pas. ❤

PS : Je vais continuer de faire ce que je fais depuis le départ sur cette page : écrire quand j'en ressens le besoin, sans pression ni rien. Si dernièrement il n'y a plus d'article c'est uniquement parce qu'il ne se passe "rien" dans mes tournées qui méritent d'être partagées ici. Pour les déçus qui se sont permis de me dire que j'avais oublié pourquoi j'avais ouvert ma page je répondrais que j'écris avec le cœur et que c'est un organe pour lequel je ne peux rien imposer. Pour l'instant il est tourné vers un livre et je me plais à passer du temps à l'écrire...

PS bis : Je continuerai de partager vos brèves rien qu'à vous avec votre mal-être dedans. Parce que vos mots sont beaux et douloureux et parce qu'ils ont besoin d'être lu pour ne pas être oubliés. J'ai du retard, j'en suis navrée. Je reçois une trentaine de messages par jour, je suis un peu dépassée

PS ter : 🧡

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...